Vous êtes-vous déjà demandé jusqu’où pouvait aller la redéfinition d’une frontière en plein conflit ? Hier, en pleine bande de Gaza, le chef d’état-major israélien a donné une réponse claire, presque brutale. La « ligne jaune », cette démarcation temporaire née d’un cessez-le-feu fragile, n’est plus une simple ligne sur une carte. Elle est devenue, selon ses propres mots, la nouvelle frontière d’Israël. Une frontière qui protège, mais qui peut aussi servir à attaquer. Difficile de ne pas y voir un tournant majeur.
Une déclaration qui fait l’effet d’une onde de choc
Imaginez la scène. Des réservistes épuisés, le sable collé aux treillis, le soleil qui tape dur. Et là, devant eux, le plus haut gradé de l’armée annonce calmement que la zone où ils se trouvent n’est plus une « temporaire ». C’est chez eux, désormais. Enfin, chez Israël. La phrase exacte résonne encore :
« La Ligne jaune constitue une nouvelle frontière – une ligne de défense avancée pour les localités israéliennes et une ligne d’attaque. »
Lieutenant-général Eyal Zamir, chef d’état-major
Autrement dit, on ne parle plus de retrait progressif comme prévu dans l’accord de trêve. On parle d’annexion de fait d’une partie du territoire gazaoui. Et le plus troublant ? C’est dit sans détour, presque comme une évidence.
D’où vient cette fameuse « ligne jaune » ?
Pour bien comprendre, il faut remonter à octobre 2025. Le cessez-le-feu entre dans sa phase active. Les forces israéliennes, qui occupaient une grande partie de la bande de Gaza acceptent, sous pression internationale, de se replier par étapes. La première étape ? Se retirer derrière cette fameuse ligne jaune, tracée grossièrement à travers le territoire, coupant Gaza en deux zones distinctes.
À l’origine, tout le monde y voyait une mesure transitoire. Une sorte de respiration avant un retrait total, ou au moins plus important. Sauf que, deux mois plus tard, l’armée israélienne n’a pas bougé d’un iota. Pire : elle fortifie, elle creuse, elle installe des postes avancés. Et maintenant, elle officialise le tout.
Une frontière à double usage
Ce qui frappe dans les mots du général Zamir, c’est cette double définition : défense avancée et ligne d’attaque. Autrement dit, on ne se contente pas de protéger les kibboutz et villes du sud d’Israël. On se donne aussi les moyens de repartir à l’offensive si nécessaire, sans avoir à franchir à nouveau toute la bande de Gaza.
C’est une stratégie que certains analystes militaires comparent à ce qu’Israël a fait au Golan après 1967, ou au Sud-Liban dans les années 80-90. Une « zone de sécurité » qui finit par durer des décennies. Sauf qu’ici, on est en plein cœur d’un territoire palestinien densément peuplé.
- Elle protège les localités israéliennes des roquettes à courte portée
- Elle coupe les axes de ravitaillement nord-sud du Hamas
- Elle offre une profondeur stratégique en cas de reprise des hostilités
- Elle complique terriblement tout futur État palestinien viable
Les conséquences immédiates sur le terrain
Sur place, ça change tout. Les habitants de quartiers comme Shujaiya ou Zeitoun, qui se trouvaient juste derrière la ligne, se retrouvent désormais en territoire considéré comme israélien, du moins militairement. Des familles entières sont coincées, ne savent plus où aller. Certains tentent de revenir chez elles, mais se heurtent à des check-points. D’autres ont tout simplement fui plus au sud, aggravant la crise humanitaire à Rafah et Khan Younès.
J’ai pu échanger avec plusieurs observateurs sur place (je ne citerai personne pour des raisons évidentes de sécurité). Tous décrivent la même chose : une fracture définitive de la bande de Gaza. Le nord, déjà ravagé, devient une zone tampon militarisée. Le sud, surpeuplé, tente d’absorber les déplacés. Et au milieu, cette ligne jaune qui ressemble de plus en plus à un mur.
Que dit la communauté internationale ?
Pour l’instant, le silence est assourdissant. Washington, qui avait pourtant poussé pour ce cessez-le-feu, se contente de « prendre note ». L’Union européenne parle de « préoccupations », mais sans menace concrète. L’Égypte, gardienne du passage de Rafah, a simplement rappelé qu’elle n’accepterait aucun déplacement forcé de population. Quant à l’ONU… on attend toujours une résolution forte.
Seule voix discordante notable : la Turquie et quelques pays du Golfe qui parlent déjà d’« annexion illégale ». Mais on sait tous que sans pression américaine réelle, Israël a les mains relativement libres.
Et le Hamas dans tout ça ?
Ironie du sort, quelques jours avant cette déclaration, des responsables du Hamas laissaient entendre qu’ils étaient prêts à discuter d’un désarmement… à condition que « l’occupation cesse totalement ». Autant dire que cette annonce enterre définitivement cette piste, du moins à court terme.
Du côté palestinien plus large, l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas se retrouve dans une position intenable. Comment négocier un État quand une partie du territoire que vous réclamez est officiellement devient, de facto, une frontière israélienne ?
Un précédent dangereux ?
L’aspect le plus inquiétant, à mon sens, c’est le précédent. Si Israël parvient à imposer cette ligne jaune comme frontière définitive sans conséquence majeure, cela ouvre la voie à d’autres redécoupages unilatéraux. Cisjordanie ? Jérusalem-Est ? Tout devient possible.
Et puis il y a cette question qui me trotte dans la tête depuis hier : quand une ligne temporaire devient permanente, qui décide ? L’armée ? Le gouvernement ? Ou simplement le fait accompli ?
Vers quelle issue ?
À court terme, trois scénarios se dessinent :
- La communauté internationale finit par accepter la nouvelle réalité (le plus probable hélas)
- Une nouvelle escalade militaire force tout le monde à revenir à la table des négociations
- Une mobilisation diplomatique massive (avec sanctions) oblige Israël à revoir sa position (le moins probable)
Mais une chose est sûre : la carte de Gaza, telle qu’on la connaissait depuis 2005, n’existe plus. La ligne jaune n’est plus une ligne. C’est un mur. Et les murs, on sait tous comment ça finit l’histoire : soit on les consolide, soit on les fait tomber. Pour l’instant, Israël a choisi la première option.
Et nous, simples observateurs, on ne peut que constater, analyser, et parfois se demander si la paix aura encore une chance dans cette région. Parce qu’aujourd’hui, chaque annonce comme celle-ci nous en éloigne un peu plus.
(Article mis à jour le 7 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
