Imaginez un instant marcher dans une ville où plus rien ne ressemble à une ville. Les rues ont disparu sous les gravats, les maisons se sont effondrées comme des châteaux de cartes, et le silence est parfois rompu par des bruits qu’on n’attend pas : des aboiements faibles, des miaulements plaintifs. C’est là, au milieu de ce chaos, qu’un petit groupe d’irréductibles continue un combat qu’on pourrait juger dérisoire face à l’ampleur de la catastrophe humaine. Pourtant, il touche au plus profond.
Ils s’occupent des animaux. Chiens, chats, ceux que la guerre a rendus orphelins, blessés, ou simplement affamés. Dans la bande de Gaza, un seul refuge tient encore debout – ou du moins, tente de tenir. Et ses responsables ont une phrase qui revient comme un mantra : « Nous ne partirons pas sans eux. »
Un refuge né bien avant la tempête actuelle
Tout a commencé il y a près de vingt ans. À l’époque, la situation était déjà compliquée, mais un homme a décidé qu’il était temps d’agir pour les animaux errants qui peuplaient les rues. Il a fondé ce qui deviendra le seul véritable refuge animalier de l’enclave. Un endroit où l’on stérilise, soigne, nourrit, et tente de trouver des familles d’adoption quand c’est possible.
À ses débuts, l’association luttait contre des problèmes « classiques » : surpopulation animale, maladies, manque de moyens vétérinaires. Rien qui ne ressemble à ce qu’ils vivent aujourd’hui. Pourtant, ces années de galère ont forgé une équipe rodée, habituée à faire beaucoup avec peu. Une résilience qui, aujourd’hui, fait toute la différence.
Le fondateur, un homme dans la cinquantaine au regard fatigué mais déterminé, explique souvent que les animaux souffraient déjà avant. La guerre n’a fait qu’amplifier une souffrance préexistante. Et il a raison : quand les ressources manquent pour les humains, elles deviennent quasi inexistantes pour les bêtes.
Une journée type au milieu des ruines
Le refuge se trouve dans le sud de la ville principale, un quartier qui n’a pas été totalement rasé. Autour, c’est un paysage lunaire. Pourtant, dès l’aube, l’activité commence. Quatre salariés permanents et une vingtaine de bénévoles se relayent pour les tâches quotidiennes.
Il faut d’abord nourrir tout le monde. Avec quoi ? Pas toujours avec de la vraie nourriture pour animaux, évidemment. On mélange du riz cuit avec du thon en boîte quand on en trouve. Parfois, c’est juste du pain trempé dans de l’eau. Les plus faibles reçoivent les portions les plus riches en protéines. Priorité aux chiots, aux chatons, aux blessés graves.
- Nettoyage des enclos improvisés dans les bâtiments à moitié debout
- Soins des plaies infectées – souvent causées par des éclats ou des effondrements
- Injections des rares médicaments encore disponibles
- Rondes pour récupérer les nouveaux arrivants signalés par les habitants
- Tentatives de stérilisation quand le matériel le permet
Chaque journée est une course contre le temps et contre l’épuisement. Les bénévoles viennent souvent après avoir tenté de subvenir aux besoins de leur propre famille. Certains marchent des kilomètres parce qu’il n’y a plus de carburant pour les véhicules.
« Les animaux souffraient déjà avant la guerre. Ce conflit a démultiplié leur souffrance. »
Un responsable du refuge
Les blessures qu’on ne voit pas tout de suite
Les plaies physiques sont évidentes. Un chien boiteux, un chat avec une oreille arrachée, un autre qui tremble de fièvre. Mais il y a aussi tout ce qu’on ne voit pas immédiatement : la malnutrition chronique, les parasites qui prolifèrent dans des conditions sanitaires déplorables, le stress post-traumatique qui rend certains animaux agressifs ou totalement apathiques.
J’ai été particulièrement marqué par les histoires de chiens qui refusent de manger pendant des jours après avoir perdu leur maître. Ils restent prostrés près de l’endroit où se trouvait leur maison. Les bénévoles doivent parfois les porter jusqu’au refuge pour les sauver d’une mort certaine.
Et puis il y a les empoisonnements. Dans le chaos, certains habitants, dépassés, ont recours à des méthodes radicales pour limiter la population de chiens errants qu’ils perçoivent comme une menace. Les équipes du refuge passent alors des heures à tenter de sauver ceux qui ont ingéré du poison.
Comment tout cela tient encore debout ?
La réponse tient en deux mots : obstination et solidarité. L’obstination des équipes locales qui refusent d’abandonner, malgré les risques quotidiens. Et la solidarité venue de l’extérieur, principalement sous forme de dons financiers qui permettent d’acheter les rares médicaments et aliments qui passent les contrôles.
Ces dons viennent souvent de personnes touchées par les images ou les vidéos diffusées sur les réseaux. Une photo d’un chiot blotti contre un bénévole, un chien enfin remis sur pied après des semaines de soins… Ces images voyagent loin et réveillent la compassion, même dans les contextes les plus polarisés.
Le refuge a aussi développé des astuces de survie incroyables. Ils récupèrent l’eau de pluie, fabriquent des pansements avec ce qu’ils trouvent, improvisent des cages avec des matériaux de récupération. Rien ne se perd, tout se transforme pour le bien des animaux.
Pourquoi refuser de partir sans les animaux ?
Cette phrase, « nous ne partirons pas sans eux », n’est pas une simple déclaration. Elle reflète une vision profonde de la responsabilité. Pour ces hommes et ces femmes, abandonner les animaux qu’ils ont recueillis reviendrait à trahir une promesse implicite. Celle de protéger les plus vulnérables, même quand tout s’écroule.
Certains y voient aussi une forme de résistance. Dans un contexte où tout semble perdu, continuer à soigner des êtres vivants, c’est affirmer que la vie a encore du sens. Que la compassion n’est pas un luxe, mais une nécessité absolue.
Et puis, il y a cette idée que les animaux font partie de la communauté. Ils ont grandi avec les enfants, protégé les maisons, tenu compagnie aux personnes âgées. Les laisser derrière reviendrait à effacer une partie de l’histoire collective.
« Les maisons se sont effondrées, les routes ont été ravagées, tout est détruit. »
Un membre de l’équipe
Les défis qui s’accumulent chaque jour
Le manque de nourriture adaptée n’est que la partie visible. Il y a aussi le manque criant de médicaments vétérinaires spécifiques. Les antiparasitaires, les antibiotiques, les vaccins… Tout cela devient rare et hors de prix quand ça arrive.
- Accès limité aux zones les plus touchées pour récupérer les animaux signalés
- Risques sécuritaires pour les bénévoles lors des déplacements
- Épuisement physique et moral des équipes
- Difficultés à maintenir une hygiène minimale dans les installations
- Impossibilité de procéder à des opérations chirurgicales complexes
Malgré tout, ils continuent. Parce que chaque animal sauvé est une petite victoire. Parce que chaque vie préservée rappelle qu’on peut encore agir, même à très petite échelle.
Et demain ? Une lueur d’espoir fragile
Personne ne sait quand la situation s’améliorera. Mais l’équipe du refuge garde une forme d’optimisme têtu. Ils parlent déjà de reconstruction, de nouveaux enclos plus solides, d’un programme de stérilisation élargi une fois la paix revenue.
Ils rêvent aussi d’un réseau plus large d’aide internationale dédiée spécifiquement aux animaux dans les zones de conflit. Parce que, comme ils le disent, la souffrance animale est souvent la grande oubliée des crises humanitaires.
En attendant, ils continuent jour après jour. Avec leurs moyens dérisoires, leur fatigue accumulée, et cette conviction chevillée au corps que chaque geste compte. Que même dans l’enfer, on peut choisir d’être humain – ou plutôt, d’être humain envers tous les êtres vivants.
Leur histoire nous rappelle quelque chose d’essentiel : la compassion n’a pas de frontières, pas de hiérarchie. Dans les moments les plus sombres, elle peut devenir une lumière, même petite, même vacillante. Et parfois, c’est précisément cette lumière qui nous aide à ne pas sombrer complètement.
(Note : cet article vise à mettre en lumière une initiative locale peu médiatisée. Toute aide, même modeste, peut faire une différence pour ces animaux et ces personnes qui refusent de baisser les bras.)
