Imaginez une mère qui n’a plus rien à manger depuis des jours et qui sent pourtant la vie bouger en elle. Elle sait que chaque bouchée qu’elle ne prend pas, c’est son bébé qui en paie le prix. À Gaza, en cette fin d’année 2025, cette scène n’a plus rien d’exceptionnel. Elle est devenue le quotidien de dizaines de milliers de femmes.
J’ai lu les derniers chiffres hier soir et, franchement, j’ai eu besoin de poser mon café. Ce n’est pas seulement une crise humanitaire de plus. C’est une génération entière qui risque de naître déjà abîmée, avant même d’avoir ouvert les yeux.
Une explosion silencieuse qui ne fait pas la une tous les jours
On parle beaucoup des bombardements, des cessez-le-feu qui tiennent à peine, des négociations qui patinent. Mais il y a une autre guerre, plus sournoise, qui se joue dans les ventres des femmes et dans les couveuses des hôpitaux surchargés : celle de la faim.
Avant octobre 2023, environ 5 % des bébés naissaient avec un faible poids de naissance (moins de 2,5 kg). Un chiffre déjà préoccupant, mais dans la moyenne de beaucoup de zones en développement. Aujourd’hui ? On est passé à 10 % en moyenne sur les six premiers mois de 2025, et même à 15 % entre juillet et septembre. Concrètement, ça veut dire qu’en plein été, c’est quinze bébés par jour qui arrivent au monde trop petits, trop fragiles, trop tôt.
Quand le corps d’une mère n’a plus rien à donner
Le mécanisme est cruellement simple. Une femme enceinte a besoin d’environ 300 calories supplémentaires par jour au dernier trimestre. À Gaza, beaucoup n’atteignent même pas les 1 500 calories quotidiennes totales. Résultat : le corps puise dans ses propres réserves pour faire grandir le fœtus. Quand il n’y a plus de réserves… le bébé naît prématuré ou hypotrophique.
« J’ai vu des nouveau-nés qui ne pesaient même pas un kilo. Leur petite cage thoracique se soulève à peine, comme s’ils luttaient déjà pour chaque respiration. »
– Une infirmière en unité néonatale à Gaza, témoignage recueilli cet automne
Cette phrase m’a poursuivi toute la nuit. Parce qu’on parle de bébés qui n’ont rien demandé à personne.
Les chiffres qui font mal
Pour que ça soit clair, voilà où on en est :
- Avant la guerre : 250 bébés de faible poids par mois (5 %)
- Janvier-juin 2025 : 300 par mois malgré moins de naissances (10 %)
- Juillet-septembre 2025 : 460 par mois (record absolu)
- Mortalité le premier jour de vie : +75 % par rapport à 2022
- 38 % des femmes enceintes contrôlées cet été présentaient une malnutrition aiguë
- Octobre 2025 : 8 300 femmes enceintes ou allaitantes prises en charge pour malnutrition sévère
Et derrière chaque pourcentage, il y a un prénom, une maman qui n’a pas dormi, un papa qui n’a plus de larmes.
Le sacrifice invisible des mères
Ce qui me bouleverse le plus, c’est ce que disent les femmes elles-mêmes. Beaucoup sautent des repas volontairement. « Si je mange moins, mes grands enfants auront quelque chose », expliquent-elles. Elles se privent pour les aînés, sans savoir que c’est le bébé qu’elles portent qui en souffre le plus directement.
C’est un calcul déchirant : nourrir ceux qui crient déjà, au détriment de celui qui ne peut pas encore crier.
Des soins qui arrivent au compte-gouttes
Et puis il y a tout le reste. Les cliniques détruites. Les routes coupées. Les convois humanitaires bloqués des jours entiers. Le matériel médical essentiel – les poches de nutrition parentérale, les incubateurs dernier cri – qui reste coincé aux frontières.
Résultat ? Des bébés qu’on pourrait sauver avec quelques grammes de lipides en intraveineuse meurent parce que le camion n’a pas eu l’autorisation de passer.
Je ne vais pas vous faire un cours de géopolitique, mais quand on sait qu’un point de passage stratégique reste fermé des semaines entières, on comprend que la malnutrition n’est pas seulement une conséquence malheureuse du conflit. Elle en devient parfois un outil.
Les conséquences à long terme qu’on refuse de voir
Et puis il y a l’après. Un enfant né avec un faible poids, même s’il survit, traîne souvent des séquelles à vie :
- Retards de développement cognitif
- Système immunitaire fragilisé
- Risque accru de diabète et maladies cardiaques à l’âge adulte
- Difficultés d’apprentissage
On est en train de programmer une génération entière pour des problèmes de santé chroniques. Et ça, personne n’en parle assez.
Y a-t-il encore de l’espoir ?
Paradoxalement, oui. Parce que la malnutrition, quand on agit vite, est réversible. Des programmes de supplémentation ciblée (plumpy’nut pour les mamans, lait thérapeutique pour les bébés) marchent extrêmement bien quand on arrive à les distribuer.
Le problème, ce n’est pas la science. C’est la politique.
Chaque jour où les camions restent bloqués, chaque jour où on refuse l’entrée de matériel médical « pour des raisons de sécurité », ce sont des dizaines de bébés qui basculent dans la zone rouge.
Et pourtant, des solutions existent. Ouvrir les passages. Laisser passer les nutriments spécifiques. Autoriser plus de personnel médical. Ce n’est pas de la science-fiction. C’est juste une question de volonté.
Ce qu’on peut faire, nous, de loin
On se sent souvent impuissant face à ce genre de drame. Moi le premier. Mais il y a des gestes concrets :
- Soutenir les ONG qui ont encore un accès terrain (certaines arrivent encore à faire passer des convois)
- Relayer l’information – oui, même un simple partage peut faire bouger les lignes
- Interroger nos responsables politiques sur les conditions d’accès humanitaire
Parce qu’un bébé qui naît à 900 grammes à Gaza en décembre 2025, il n’a pas choisi son lieu de naissance. Il mérite juste de vivre.
Et nous, on a le devoir de ne pas détourner le regard.
(Article mis à jour le 9 décembre 2025 – sources humanitaires et médicales de terrain)
