Vous est-il déjà arrivé de voir un général de brigade, tout droit sorti d’un défilé du 14 juillet, troquer ses rangers contre des chaussons et se mettre à lancer une boule qui fait des zigzags improbables ? Moi, franchement, jamais. Et pourtant, c’est exactement ce qui s’est passé un soir de novembre dans un petit village du Maine-et-Loire.
L’histoire est tellement improbable qu’elle ressemble à un scénario de comédie française. Et en même temps, elle dit quelque chose de profondément humain sur nos territoires et sur ceux qui les dirigent, qu’ils portent l’uniforme ou l’écharpe tricolore.
Quand l’uniforme rencontre la tradition ligérienne
Tout commence après la cérémonie du 11 novembre. La petite commune de La Lande-Chasles, 119 habitants au compteur, vient de rendre hommage aux anciens combattants. Le vin d’honneur a lieu dans la société locale, là où trône la piste de boule de fort, ce jeu typique de l’Anjou et du Saumurois qui se pratique en intérieur, en chaussons, avec une boule asymétrique qui part en courbe comme si elle avait bu un peu trop de coteaux-du-layon.
Le général qui commande les écoles militaires de Saumur est invité. Il vient tout juste de prendre ses fonctions en août. Il connaît encore mal le coin, ses habitants, ses coutumes. Et là, au milieu des verres qui s’entrechoquent, quelqu’un lui dit : « Mon général, vous voulez essayer ? »
Ce qui aurait pu rester un moment anodin entre deux gorgées de rouge va devenir viral.
Des chaussons et une caméra : la recette du buzz
Le maire du village, fin connaisseur des réseaux sociaux, dégaine son téléphone. Le général enlève ses chaussures, enfile les chaussons réglementaires – oui, il y a un règlement, la piste déteste les semelles qui marquent – et se met en position. Genoux fléchis, regard concentré, geste ample. La boule part, décrit sa courbe caractéristique et… s’en sort plutôt pas mal.
« Il s’est très bien débrouillé. Preuve qu’il s’intègre déjà parfaitement dans le territoire. »
Le maire, quelques jours plus tard
La vidéo est postée dans la foulée. En cinq jours, plus de 482 000 vues. On voit le haut gradé, impeccable dans son uniforme, se prêter au jeu avec une décontraction désarmante. Les commentaires fusent : « Trop classe », « L’armée de terre version chill », « Enfin un général qui sait vivre ».
Moi qui ai passé pas mal de temps dans l’Anjou, je sais à quel point la boule de fort, c’est plus qu’un jeu. C’est une institution. Un rite. Un prétexte à se retrouver. Voir un général y toucher, c’est comme voir un Parisien réussir un aligot sans faute : ça marque les esprits.
Ambassadeur d’une commune de 119 habitants : le titre le plus rare de France ?
Devant le succès, le conseil municipal ne rigole pas longtemps. Réunion extraordinaire. Vote à l’unanimité : le général devient ambassadeur officiel de La Lande-Chasles. Une distinction qui existe depuis quelques années et qui compte une petite vingtaine de personnalités.
La mission ? Parler en bien du village. Partout. Tout le temps. Le général a accepté avec le sourire. Il a reçu son diplôme et… une paire de chaussons brodés aux armes de la commune. Promis, juré, il reviendra pour une vraie partie.
- Objectif numéro un : ne dire que du bien de la commune (il a l’air bien parti)
- Insignes officiels : un diplôme et des chaussons de compétition
- Engagement : revenir jouer une vraie partie avec les locaux
Entre nous, je trouve ça génial. Dans un monde où on oppose souvent l’armée à la population, où on parle de fracture, de distance, voilà un officier supérieur qui accepte de rentrer dans le jeu – littéralement – d’un tout petit village. C’est tout sauf anodin.
La boule de fort, c’est quoi au juste ?
Pour ceux qui ne connaissent pas – et ils sont nombreux hors des Pays de la Loire –, la boule de fort est un jeu de boules… mais en intérieur. On joue sur une piste en terre battue ou en résine, longue d’une vingtaine de mètres, légèrement bombée. La boule est en bois, plombée d’un côté, ce qui lui donne cette trajectoire en arc de cercle si particulière.
Et surtout : on joue en chaussons. Pas de chaussures de ville, pas de baskets. Des pantoufles ou des chaussons dédiés. Question de respect pour la piste, mais aussi d’ambiance : on est là pour passer un bon moment, pas pour faire la guerre.
Il existe des centaines de sociétés dans la région. Certaines pistes datent du XIXe siècle. On y joue le dimanche matin, le vendredi soir, après le travail. C’est un mélange de sport, de convivialité et de troisième mi-temps permanente.
Pourquoi cette histoire nous fait tant sourire
Parce qu’elle casse les codes, tout simplement. Un général, c’est censé être distant, solennel, un peu intimidant. Là, on le voit humain, accessible, prêt à se prêter au jeu. Et ça marche. Les gens adorent.
Dans un contexte où l’image de l’armée est parfois abîmée par les débats sur les budgets, les interventions extérieures ou les restructurations, cette séquence fait un bien fou. Elle rappelle que derrière l’uniforme, il y a des femmes et des hommes qui vivent aussi sur le même territoire que nous.
Et puis, il y a ce côté « petit village contre le reste du monde ». 119 habitants qui font le buzz national grâce à un général en chaussons. C’est David contre Goliath version angevine. Et David gagne.
L’intégration réussie d’un nouveau commandant
Arrivé en août 2025, le général avait déjà multiplié les rencontres avec les élus locaux, les entreprises, les associations. Mais là, il passe au niveau supérieur. Se mettre en chaussons devant tout le monde, accepter d’être filmé, laisser la vidéo tourner : c’est un acte fort.
Dans les armées, on parle souvent de « lien armée-nation ». Eh bien là, on est en plein dedans. Pas avec un grand discours, pas avec une cérémonie compassée, mais avec une boule qui roule en faisant des courbes improbables.
Et quelque part, c’est peut-être la plus belle façon de dire : « Je suis des vôtres. »
Et après ?
Le maire l’a déjà prévenu : la prochaine partie est pour bientôt. On attend le général avec ses chaussons brodés. Et qui sait, peut-être qu’un jour on le verra disputer un concours officiel, représenter la commune dans un tournoi départemental.
En attendant, l’histoire continue de tourner. Les journaux locaux en parlent, les réseaux sociaux en redemandent. Et quelque part dans un petit village de 119 habitants, on se dit que oui, parfois, une simple boule peut faire tomber bien des barrières.
Alors la prochaine fois que vous passerez près de Saumur, arrêtez-vous dans une société de boule de fort. Commandez un petit blanc. Et qui sait, peut-être que vous croiserez un général en chaussons. Ce ne sera plus une légende.
(L’histoire vraie d’un moment de grâce entre l’uniforme et le terroir – et la preuve que, parfois, les plus belles victoires ne se gagnent pas sur un champ de bataille, mais sur une piste en terre battue, une boule à la main et le sourire aux lèvres.)
