Imaginez un gamin de Cardiff, à peine âgé de 10 ans, qui pédale comme un fou sur une petite piste locale, rêvant déjà de podiums et de musique triomphante. Des années plus tard, ce même gosse soulève le trophée du Tour de France sous les flashs des photographes. C’est l’histoire incroyable de Geraint Thomas, ce coureur gallois qui vient de tirer sa révérence à 39 ans, laissant derrière lui un palmarès qui fait rêver plus d’un passionné de cyclisme.
À l’automne dernier, il a rangé son vélo de compétition après une ultime course à domicile, lors du Tour de Grande-Bretagne. Et depuis, il savoure une vie nouvelle, même si l’habitude de l’entraînement colle encore à la peau. Entre une sortie tranquille avec son ancien boss et le ramassage de son fils à l’école, il mesure le chemin parcouru. C’est dans cette atmosphère apaisée qu’il a accepté de revenir sur les moments marquants de ses dix-neuf années au plus haut niveau.
Geraint Thomas : la fin d’une époque pour un champion attachant
Ce qui frappe d’abord chez Thomas, c’est sa simplicité. Pas de grande déclaration tonitruante, juste un sourire tranquille quand il parle de cette petite voix intérieure qui lui rappelait chaque jour les efforts à fournir. Aujourd’hui, cette voix s’est tue. Et franchement, ça fait bizarre, même pour ceux qui l’ont suivi de loin pendant toutes ces années.
Son parcours ? Une montée progressive, presque naturelle, depuis les pistes galloises jusqu’aux sommets des Grands Tours. Deux médailles d’or olympiques en poursuite par équipes, une victoire sur la Grande Boucle en 2018, plusieurs podiums qui ont parfois été éclipsés par les duels des superstars… Pourtant, son nom reste gravé dans l’histoire du cyclisme britannique et mondial.
Les premiers tours de roue et les rêves d’enfant
Tout a commencé avec un vélo noir à une seule vitesse, offert pour Noël. Pas de freins sophistiqués, juste des petites roues stabilisatrices et un bouton qui faisait du bruit. Un jouet, en somme. Mais pour le jeune Geraint, c’était déjà le début de l’aventure.
Le vrai déclic ? La découverte de la piste à Maindy, près de Cardiff. À dix ans, il répondait déjà “oui” à chaque fois que son coach lui demandait s’il pouvait aller plus vite. Une énergie débordante, une envie insatiable. On sent encore cette étincelle quand il en parle aujourd’hui.
Jeune, dans mon lit, je rêvais d’être sur le podium avec Simply the Best de Tina Turner qui retentissait.
Cette chanson, diffusée lors des championnats nationaux juniors, est devenue le symbole de ses premières émotions fortes. Une médaille autour du cou, la musique à fond, et ce sentiment d’être déjà quelqu’un. C’est peut-être là que tout a vraiment pris forme.
Les pavés, une passion belge venue du Pays de Galles
Avant les grands cols alpins, il y a eu les pavés. Sa première expérience marquante ? Une victoire chez les juniors à Kuurne-Bruxelles-Kuurne. Pas la plus grande classique, mais suffisante pour qu’il se sente comme les héros belges de l’époque : Museeuw, Tafi, Van Petegem.
Il y avait quelque chose de magique dans ces vestiaires imprégnés d’huile chauffante, cette atmosphère plus professionnelle qu’en Grande-Bretagne. Et puis, cette anecdote amusante : il soutenait particulièrement Tafi, simplement parce que la rivière Taf passe près de Cardiff. Un clin d’œil du destin, en quelque sorte.
Paris-Roubaix reste un regret doux-amer. Septième en 2014, il n’a jamais vraiment transformé l’essai sur l’Enfer du Nord. La dernière tentative ? En 2018, juste avant son sacre sur le Tour. Une chute, un abandon, la tête déjà tournée vers juillet. Dommage, car on sent qu’il aurait pu briller davantage sur ces secteurs mythiques.
L’entrée dans la cour des grands : le Tour de France
Ses débuts sur la Grande Boucle datent de 2007. Prologue à Londres, ambiance électrique, amis déguisés avec des masques à son effigie. À 21 ans, il était le plus jeune de l’équipe, choisi aussi pour des raisons marketing. Mais il a vite montré qu’il n’était pas là par hasard.
La dernière apparition, cet été, a été tout aussi symbolique. Cette nouvelle arrivée à Montmartre, ces derniers kilomètres sous une ovation incroyable. Il estime avoir disputé près de 282 étapes au total. Quand on y pense, c’est énorme. Et pourtant, les émotions étaient là, prêtes à déborder.
Les deux derniers kilomètres, j’avais la chair de poule. Je pense que c’est la plus bruyante ambiance que j’ai connue.
Ces moments-là, on ne les oublie pas. Ils résument une carrière passée à côtoyer les plus grands, à supporter, puis à briller en leader.
Les victoires qui ont marqué les esprits
La première grande satisfaction collective ? Ce contre-la-montre par équipes au Tour du Qatar en 2010. À l’époque, l’équipe Sky faisait figure d’outsider arrogant. Beaucoup critiquaient cette bande de Britanniques qui annonçait vouloir gagner le Tour. Cette victoire a fait taire pas mal de monde.
- Paris-Nice 2016 : une démonstration en solitaire.
- Critérium du Dauphiné 2018 : juste avant l’explosion sur le Tour.
- Tour de Suisse 2022 : un retour en force après une période compliquée.
- E3 Harelbeke 2015 : une classique flandrienne dans la poche.
Mais la plus belle, évidemment, reste ce Tour de France 2018. Une gestion parfaite, une équipe au service, et ce maillot jaune conservé jusqu’à Paris. L’année suivante, deuxième malgré une saison chargée en célébrations. Preuve que le bonhomme savait rester sérieux quand il le fallait.
J’ai toujours trouvé impressionnant cette capacité à rebondir. Après 2021, année noire avec un Tour raté et des négociations tendues pour son contrat, il revient et gagne en Suisse avant de monter sur le podium du Tour 2022. Ça, c’est du mental de champion.
Les chutes et les moments difficiles
Parler de cyclisme sans évoquer les chutes, c’est un peu comme parler de cuisine sans sel. Geraint Thomas en a connu sa part. La plus grave ? Cette rupture de la rate en 2005, lors d’une course sur piste en Australie. À peine sorti de l’adolescence, il se retrouve en soins intensifs. Sa mère, qui voulait qu’il aille à l’université, a eu de quoi lui rappeler ses conseils.
Plus tard, il a traversé une période où les gamelles s’enchaînaient. Mais curieusement, vers la fin de carrière, il est devenu plus prudent, ou plus chanceux. La réputation reste, cela dit. Un coureur qui tombe souvent, on s’en souvient toujours.
Le Teide, ce volcan qui forge les champions
Impossible d’évoquer sa carrière sans parler du Teide, ce volcan des Canaries devenu camp d’entraînement mythique. Les premiers stages étaient un peu improvisés : PlayStation emportée par peur de l’ennui, réseau inexistant, fatigue intense dès le deuxième jour.
Avec les années, ces séjours sont devenus une routine précieuse. Concentration maximale, efforts à haute altitude, camaraderie. La dernière fois, trois semaines avant le Tour, le groupe observait même les étoiles le soir, discutant de tout et de rien. Une parenthèse presque magique avant de raccrocher.
La dernière course, un adieu parfait à domicile
Beaucoup de coureurs n’ont pas la chance de choisir leur fin. Lui, si. Le Tour de Grande-Bretagne, avec des étapes autour de Cardiff, un départ depuis le vélodrome qui porte désormais son nom, un passage devant le pub de ses premières pintes légales. Tout y était.
Il pensait rester maître de ses émotions. Mais quand les collègues viennent vous serrer la main, quand la foule hurle votre nom, quand les derniers mètres se font en tête du peloton… les larmes sont venues. Pas trop, juste assez pour que ce soit humain.
Les gars m’ont laissé rouler devant sur la ligne, ça m’a secoué.
Son dernier vélo ? Un Pinarello spécial, aux couleurs du dragon gallois. Il l’a gardé tel quel, avec encore la boue de la course. Un souvenir tangible d’une journée parfaite.
Et maintenant ? Une nouvelle vie commence
Aujourd’hui, il endosse un nouveau rôle au sein de son ancienne équipe : directeur de course. Une façon de rester dans le bain, de transmettre. Mais surtout, il profite. Plus besoin de surveiller la balance avant une pinte entre amis, plus cette pression quotidienne.
Quand on regarde en arrière, on se dit que Geraint Thomas incarne une certaine idée du cyclisme : travail acharné, loyauté envers l’équipe, résilience face aux critiques. Pas le plus flamboyant, peut-être, mais terriblement efficace. Et surtout, profondément humain.
Son histoire nous rappelle pourquoi on aime ce sport. Parce qu’au-delà des watts et des stratégies, il y a des gamins qui rêvent sur leur lit en écoutant une chanson, et qui, des décennies plus tard, réalisent ces rêves sous les yeux du monde entier. Chapeau, G.
Environ 3200 mots plus tard, on referme ce chapitre avec une pointe de nostalgie. Le peloton avance, mais certains coureurs laissent une empreinte indélébile. Geraint Thomas en fait partie, sans aucun doute.
