Imaginez-vous sur le ponton de Lorient, en pleine nuit, quand un convoi exceptionnel glisse silencieusement dans l’obscurité. Un géant de carbone enveloppé de bâches noires, escorté comme une star de cinéma. C’est exactement ce qui s’est passé il y a quinze jours. Et mercredi soir, le rideau est enfin tombé. Ce que tout le monde attendait dans le monde de la voile océanique est là : un monstre marin qui donne l’impression d’arriver tout droit de 2035.
Je ne vais pas tourner autour du pot : le nouveau Gitana 18, deuxième Ultim du Gitana Team, est tout simplement hallucinant. On parle d’un trimaran de 32 mètres de long pour 23 mètres de large qui semble défier toutes les lois connues de la physique nautique. Et pourtant, il est bien réel.
Le jour où la voile a basculé dans une autre dimension
Quand les lumières se sont allumées dans le hangar et que le bateau est apparu, j’ai eu la même sensation que la première fois où j’ai vu un foiler voler en Moth. Sauf qu’ici, on est sur une échelle complètement différente. Les superlatifs fusent : vaisseau spatial, Formule 1 des mers, œuvre d’art technologique… Et franchement, aucun ne semble exagéré.
Le plus fou ? Ce bateau n’est pas juste beau. Il est pensé pour écraser la concurrence. L’équipe annonce déjà 10 à 15 % de gain de vitesse par rapport à l’ancienne génération. Dans la classe Ultim, ça représente une éternité en termes de performance.
Des safrans en U qui changent tout
Allons dans le vif du sujet. La grande révolution, ce sont ces safrans en U. Oui, vous avez bien lu. Une géométrie totalement inédite qui permet au bateau de rester ultra-maniable même quand il file à près de 90 km/h. À cette vitesse, la moindre erreur de barre peut transformer un trimaran en projectile ingérable. Là, l’idée est de garder le contrôle absolu, même dans des conditions extrêmes.
Charles Caudrelier, qui skipper le monstre, explique que l’objectif n’est pas seulement d’aller plus vite (même si ça aide). Non, le vrai graal, c’est la stabilité en vol. Décoller plus tôt, rester en l’air plus longtemps, même quand la mer est formée. En gros, transformer un Ultim en un avion qui n’a pas peur des turbulences.
« Avec ce bateau, on a la conviction qu’on peut aller plus vite, plus loin. »
– L’armatrice du projet
Un cockpit qui ressemble à une capsule spatiale
Autre détail qui marque : le cockpit. Fini les postes de barre exposés où le skipper se prend des paquets de mer à 50 nœuds. Ici, tout est intégré à la coque centrale, avec un toit rigide et des hublots partout. On dirait presque un sous-marin de luxe version course au large.
La visibilité est maximisée, la protection aussi. Et pourtant, le poids reste maîtrisé. Comment ? Grâce à une intégration structurelle jamais vue. Le cockpit ne fait plus qu’un avec la coque centrale. Moins de pièces, moins de poids, plus de rigidité. Simple sur le papier, diaboliquement compliqué à réaliser.
- Cockpit fermé et intégré structurellement
- Hublots panoramiques pour une vision à 360°
- Protection optimale contre les éléments
- Réduction significative du poids global
Un gréement qui joue avec la physique
Et puis il y a le mât. Enfin, le gréement complet. Des barres de flèche réglables permettent de suspendre littéralement le mât pour moduler la puissance de la grand-voile en temps réel. C’est un peu comme avoir un moteur avec des rapports de boîte, mais pour les voiles.
D’après les ingénieurs, ça change tout en termes de réglages fins. En course, pouvoir adapter la puissance au millimètre près sans toucher aux voiles, c’est un avantage énorme. Surtout sur des runs de plusieurs jours où les conditions évoluent constamment.
200 000 heures pour accoucher d’un monstre
Derrière ce bateau, il y a trois ans de réflexion intense et 200 000 heures de travail. Le chantier a mobilisé les meilleurs : architectes naval de renom, spécialistes carbone, artistes contemporains pour la déco… Oui, parce que même l’esthétique a été soignée.
Les silhouettes féminines en pointillés noir et blanc qui ornent la coque ? Une collaboration avec des artistes reconnus. Parce que dans la famille propriétaire, on ne fait pas les choses à moitié. On est dans la voile depuis 150 ans, autant que ça se voit.
Le résultat ? Un trimaran qui ne ressemble à rien de connu. Jaune et bleu signature, lignes tendues, appendices qui semblent sortis d’un film de science-fiction. Même immobile dans son hangar, il dégage une impression de vitesse.
Objectif : la Route du Rhum 2026 et bien au-delà
Maintenant, la vraie question : est-ce que ça va marcher ? L’ancien Gitana 17 avait déjà gagné la Route du Rhum 2022 de manière éclatante. Ce nouveau bateau part avec l’ambition de faire encore mieux. Et vu les innovations embarquées, on peut légitimement penser que oui.
Mais en voile océanique, rien n’est jamais acquis. Les foilers ont déjà montré qu’une innovation géniale peut se transformer en cauchemar si elle n’est pas parfaitement maîtrisée. Rappelons-nous certains casses spectaculaires des dernières années…
Ici, l’équipe semble avoir pris toutes les précautions. Tests numériques poussés, simulations extrêmes, retours d’expérience de l’ancien bateau. Tout y est passé. Reste à voir ce que ça donnera en conditions réelles, avec du vent fort et une mer démontée.
« On veut être au plus proche du vol parfait. Décoller plus tôt, voler plus stable, même dans la mer formée. »
– Charles Caudrelier, skipper
Et les concurrents dans tout ça ?
Forcément, la concurrence observe ça de très près. Les autres écuries Ultim travaillent aussi sur leurs nouveaux bateaux. Mais pour l’instant, ce Gitana 18 met la barre très haut. Peut-être trop haut ? C’est tout l’intérêt des prochaines années : voir si les autres arrivent à suivre le rythme.
Ce qui est sûr, c’est que la classe Ultim continue sa course à l’armement technologique. Chaque nouveau bateau repousse les limites un peu plus loin. Et tant mieux pour le spectacle.
Prochaines étapes : mise à l’eau et premiers vols
Pour l’instant, le bateau attend ses foils. Ces appendices géants qui lui permettront de décoller. La mise à l’eau est prévue d’ici fin janvier, au large de Lorient. Ensuite, place aux premiers essais.
Et là, on saura vraiment. Est-ce que ce Gitana 18 va révolutionner la voile océanique ? Ou est-ce qu’il va rejoindre la liste des concepts trop ambitieux ? Personnellement, j’ai envie d’y croire. Parce que quand on voit l’engagement et le niveau d’innovation, on se dit que quelque chose de grand est en train de se passer.
Une chose est sûre : les prochaines grandes courses risquent d’être historiques. Prenez date. La voile de demain, elle est déjà là. Et elle vole déjà dans nos têtes.
(Article mis à jour le 3 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
