Vous imaginez prendre votre retraite tranquille, petit pavillon, parties de pétanque et voyages organisés ? Et puis un jour, le téléphone sonne. Une voix que vous connaissez depuis trente ans vous propose « un dernier coup ». 4 000 ou 5 000 euros pour quelques heures de route. Facile. Sauf que voilà, ça se termine menottes aux poignets au péage de Tain-l’Hermitage avec 200 kilos de résine dans le coffre. C’est exactement ce qui est arrivé à deux Lyonnais de 55 et 61 ans il y a quelques jours. Et franchement, cette histoire m’a scotché.
Quand les anciens reviennent sur le devant de la scène
On nous rabâche sans cesse que le narcotrafic rajeunit, que les réseaux recrutent des gamins de 15 ans sur Snapchat pour faire les guetteurs ou les chauffeurs. C’est vrai. Mais cette affaire montre l’autre facette : parfois, les commanditaires préfèrent faire appel à l’ancienne école. Des types qui connaissent la route, qui savent garder la bouche cousue, qui n’ont plus vingt ans pour paniquer au premier contrôle.
Les deux hommes interpellés ne sont pas des enfants de chœur. Les fichiers de police les connaissent bien, reliques d’un banditisme lyonnais à l’ancienne, celui des braquages de fourgons et des règlements de comptes en BMW Série 5. On les pensait rangés, loin des affaires. Raté.
Le scénario classique, version senior
Tout commence comme dans un mauvais film des années 2000. Un SUV Peugeot 5008 volé à Saint-Étienne, fausses plaques, coffre aménagé. Devant, un fourgon Opel Vivaro qui fait l’ouvreuse : il roule en éclaireur, repère les patrouilles, donne l’alerte par talkie-walkie si besoin. Chargement à Banyuls, près de la frontière espagnole, puis cap plein nord direction l’agglomération lyonnaise.
Les enquêteurs de l’office antistupéfiants avaient l’info depuis la veille. Ils laissent filer, attendent le bon moment. 21 h 20, péage de Tain-l’Hermitage. Le SUV se présente, la barrière se lève… et reste levée. Les gendarmes surgissent de partout. Le conducteur n’a même pas le temps de comprendre. Quelques kilomètres plus loin, le fourgon est stoppé à Gervans. Game over.
Dans le coffre : cinq grosses valises rigides, le grand classique marocain, bourrées à craquer de pains de résine. 200 kilos exactement. Valeur à la revente : plusieurs centaines de milliers d’euros.
Pourquoi reprendre à cet âge-là ?
C’est la question que tout le monde se pose. Lors de leur garde à vue, les deux hommes ont expliqué avoir été contactés par « quelqu’un » – on ne saura pas qui, ils n’ont pas lâché le morceau – qui leur a proposé ce convoyage express. Rémunération : entre 4 000 et 5 000 euros chacun. Pour une soirée de travail.
Quand on connaît le prix du pain (le vrai), des loyers, des mutuelles qui flambent quand on prend de l’âge… 5 000 euros cash, sans déclaration, ça fait réfléchir même un ancien braqueur repenti. Sans parler de ceux qui n’ont jamais vraiment raccroché et qui voient là une façon de boucler les fins de mois difficiles.
J’ai discuté avec un ancien policier spécialisé dans les stups il y a quelques années. Il me disait déjà : « Les retraités, c’est la nouvelle cible des réseaux. Ils ont l’expérience, pas de casier actif récent, et surtout ils ont besoin d’argent. » L’histoire lui donne malheureusement raison.
L’évolution du go fast : plus discret, plus organisé
Le go fast à l’ancienne, c’était deux Audi RS qui fonçaient à 250 km/h en klaxonnant les autres voitures. Aujourd’hui, c’est devenu presque discret. Véhicules lambda, chauffeurs qui respectent plus ou moins les limitations (enfin, jusqu’à un certain point), plaques clonées ultra-réalistes.
- Véhicule volé ou loué sous fausse identité
- Plaques clonées d’un modèle identique
- GPS brouillés ou retirés
- Téléphones jetables à carte
- Parfois même un troisième véhicule « nettoyeur » qui ferme la marche
Et surtout, on mélange les générations. Les jeunes pour la logistique 2.0 (applications cryptées, drones de surveillance), les anciens pour le savoir-faire sur la route et la discrétion en audition.
La route de la résine reste une autoroute à ciel ouvert
L’axe Espagne > France sud-est reste le grand tube à cannabis de l’Europe. Chaque semaine ou presque, on apprend une nouvelle saisie. 500 kg par-ci, 300 kg par-là. Fin 2025, les équipes lyonnaises ont démantelé un réseau qui faisait monter 500 kg en une seule fois vers Saint-Étienne. Même schéma : go fast surveillé depuis le chargement jusqu’à l’arrivée.
Le plus fou ? Malgré les moyens énormes déployés (hélicos, géolocalisation en temps réel, coopération européenne), seule une petite partie des convois se fait intercepter. Les trafiquants le savent et jouent sur le volume : même en perdant 20 % de leurs livraisons, ils restent largement gagnants.
Et maintenant ?
Les deux sexagénaires ont été placés en détention provisoire. Ils passent en comparaison immédiate différée ce lundi au tribunal correctionnel de Lyon. Peine encourue : jusqu’à 10 ans de prison et amendes colossales. À leur âge, une condamnation lourde, c’est souvent la fin de l’histoire.
Mais l’aspect le plus intéressant, c’est ce qu’elle nous dit de la société. Quand des anciens braqueurs se retrouvent à convoyer de drogue parce que la retraite ne suffit plus, ou parce que l’adrénaline manque, ou les deux… ça pose question. Le narcotrafic ne recrute plus seulement dans les cités. Il ratisse large. Très large.
Et quelque part, c’est peut-être ça le plus inquiétant.
Alors la prochaine fois que vous doublerez un SUV un peu chargé sur l’A7, avec un conducteur aux tempes grises qui jette des regards nerveux dans le rétro… vous saurez peut-être pourquoi.
