Imaginez la scène : un homme politique au pouvoir depuis près de vingt ans, accusé de corruption, décide soudain de demander publiquement une grâce au président de son pays. On pourrait croire que cela déclencherait une vague d’indignation unanime. Eh bien non. En Israël, l’affaire est bien plus nuancée, et franchement, passionnante à observer.
Une demande qui tombe au pire (ou au meilleur) moment
Ce dimanche matin, le Premier ministre israélien a franchi le pas. Lettre officielle envoyée au président Isaac Herzog : il souhaite une grâce pour clore définitivement les procédures judiciaires qui le poursuivent depuis des années. Son argument ? Ces procès « déchirent le pays de l’intérieur » et empêchent Israël de se concentrer sur les vraies priorités – sécurité, économie, guerre à Gaza.
Le timing est, disons-le, audacieux. Nous sommes en pleine trêve fragile avec le Hamas, les otages toujours pas tous libérés, l’économie qui tousse après deux ans de conflit, et voilà que le chef du gouvernement remet son avenir judiciaire au centre du débat. Stratégie de diversion ou réelle volonté d’apaisement national ? Chacun y va de son interprétation.
Ce que disent vraiment les chiffres
Un sondage tout frais, réalisé auprès de l’ensemble de la population – juifs et arabes confondus – donne une photographie assez nette de l’état d’esprit actuel :
- 49 % des Israéliens sont opposés à l’octroi d’une grâce
- 32 % y sont favorables
- 19 % se déclarent neutres ou sans opinion
Autrement dit, près d’un Israélien sur deux dit clairement non. Ce n’est pas une majorité absolue, mais c’est suffisamment massif pour que le président Herzog y réfléchisse à deux fois. D’autant que le clivage ne suit pas uniquement les lignes partisanes classiques.
« La poursuite du procès nous déchire de l’intérieur »
Extrait de la lettre officielle du Premier ministre
Trois dossiers qui pèsent lourd
Petit rappel pour ceux qui auraient décroché : Netanyahu fait face à trois affaires distinctes, regroupées sous les numéros 1000, 2000 et 4000. Rien que les titres donnent le ton.
L’affaire 1000, c’est celle des cadeaux. Plus de 260 000 dollars en cigares de luxe, champagne millésimé et bijoux, offerts par des milliardaires amis. En échange ? Des faveurs politiques, selon l’accusation. L’affaire 2000 et 4000 concernent des tentatives présumées d’obtenir une couverture médiatique favorable dans deux grands journaux en échange de régulations avantageuses pour leurs propriétaires.
Aucun verdict définitif n’a encore été rendu, mais les audiences se succèdent depuis 2020. Et chaque témoignage fait la une. Difficile, dans ces conditions, de faire comme si de rien n’était.
Le facteur Trump qui change tout
Et puis il y a cet élément qui a fait bondir plus d’un observateur : le soutien explicite de Donald Trump. Le président américain réélu a personnellement écrit au président Herzog pour plaider la cause de son vieil allié. Une intervention rarissime – certains diraient gênante – dans les affaires judiciaires d’un pays souverain.
Pour les partisans de Netanyahu, c’est la preuve que même à l’international, on reconnaît l’acharnement dont il serait victime. Pour ses opposants, c’est la démonstration que le Premier ministre est prêt à tout, même à mettre Israël en porte-à-faux diplomatique, pour sauver sa peau.
Pourquoi les Israéliens sont-ils si divisés
J’ai discuté ces derniers jours avec plusieurs personnes en Israël – des amis, des collègues, des chauffeurs de taxi (les meilleurs sondeurs du pays, croyez-moi). Et le sentiment dominant, c’est la fatigue.
D’un côté, ceux qui disent : « Assez. Laissons-le finir son mandat, on réglera ça aux élections. Le pays a besoin de stabilité. » Ce sont souvent des électeurs de droite, religieux ou traditionnels, qui voient en Netanyahu le seul rempart contre le chaos régional.
De l’autre, ceux qui répondent : « S’il est innocent, qu’il aille jusqu’au bout du procès et soit blanchi. Une grâce, c’est admettre qu’il y a un problème. » Ce camp rassemble une partie du centre, la gauche, et une frange non négligeable d’électeurs de droite laïque qui en ont marre du « Bibi roi ».
Et au milieu, une jeunesse qui, pour beaucoup, rêve surtout de tourner la page d’une ère politique qui dure depuis leur adolescence.
Que peut faire le président Herzog ?
Constitutionnellement, le président israélien a le pouvoir de gracier. Mais dans les faits, cette prérogative est rarement utilisée pour des figures politiques de premier plan en exercice. La dernière grâce notable remonte à… jamais, en réalité, pour un cas comparable.
Herzog, connu pour son profil consensuel et son discours d’union nationale, se retrouve dans une position impossible. Accorder la grâce ? Il passe pour faible et soumis à la pression politique. La refuser ? Il devient l’homme qui a fait tomber Netanyahu, avec toutes les conséquences que cela implique.
Certains juristes estiment qu’il pourrait proposer une solution intermédiaire : suspendre les procédures jusqu’à la fin du mandat, sans effacer les charges. Une sorte de cessez-le-feu judiciaire. Mais même cela serait perçu comme une victoire énorme pour le Premier ministre.
Et après ?
Peu importe la décision finale, une chose est sûre : cette demande de grâce a déjà modifié l’équation politique israélienne. Les partis d’opposition appellent à des manifestations. La coalition au pouvoir montre déjà des signes de nervosité. Et les prochaines élections – prévues au plus tard en 2026 – risquent de se jouer en grande partie sur cette question : faut-il ou non tourner la page judiciaire de Benjamin Netanyahu ?
Personnellement, je trouve fascinant de voir comment un homme peut à ce point incarner à la fois le leadership incontesté et la division absolue d’un pays. Netanyahu aura marqué l’histoire israélienne, c’est certain. Reste à savoir si ce sera comme le plus grand stratège de sa génération… ou comme celui qui aura poussé trop loin le système démocratique.
Une chose est sûre : les prochains mois vont être passionnants. Et tendus. Très tendus.
(Article mis à jour le 30 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
