Vous êtes déjà monté dans un bus en vous disant « et si c’était gratuit ? ». À Clermont-Ferrand, cette idée qui paraissait encore utopique il y a quelques années vient de remettre le feu aux poudres en pleine campagne municipale. Et franchement, on comprend pourquoi : entre l’explosion de joie des uns et la colère noire des autres, c’est tout simplement le débat qui cristallise les fractures d’une ville au bord du gouffre financier… ou pas.
Une promesse qui tombe au pire (ou au meilleur) moment
Décembre 2025. Le tout nouveau réseau Inspire, 325 millions d’euros d’investissement, va enfin ouvrir ses portes (ou plutôt ses rames) le 20 décembre. Les Clermontois ont subi des années de travaux, de déviations, de nerfs à vif. Et là, patatras : le maire sortant lâche une bombe. Gratuité totale le week-end, et surtout, gratuité en semaine pour les moins de 26 ans et les plus de 60 ans – mais uniquement les habitants de Clermont intra-muros pour commencer.
5 petits millions d’euros par an, assure l’équipe municipale. Une goutte d’eau. Ou un océan, selon où l’on se place.
« Monsieur 1 milliard de dette » : le surnom qui colle à la peau
Le chiffre circule partout. Un milliard. C’est la dette cumulée que traîne la ville, selon les opposants. Le candidat de droite n’y va pas avec le dos de la cuillère : il parle carrément de « démagogie » et de « chéquier magique ». L’expression « Monsieur 1 milliard de dette » est née sur les réseaux et elle fait mal.
« Il a déjà cramé la caisse et lance sa campagne avec l’argent qui n’est pas le sien. »
– Un candidat d’opposition, sans détour
Le reproche est violent mais compréhensible. Quand on a investi des centaines de millions dans un nouveau réseau de transports, promettre d’en supprimer une partie des recettes (les abonnements jeunes et seniors représentent quand même de l’argent) peut sembler… osé.
La réponse de l’équipe sortante : « Nos finances sont saines »
Du côté de la majorité, on sort les calculettes et on calme le jeu. Oui, il y a de la dette, mais le taux d’endettement reste bas, assure-t-on. La ville a même reçu des félicitations pour sa gestion rigoureuse ces dernières années. Et puis, 5 millions, dans un budget de plusieurs centaines de millions, c’est gérable.
Une élue socialiste va même plus loin :
« Cette politique rigoureuse dans nos investissements nous permettra de financer cette mesure sans problème. »
Traduction : on a fait le ménage dans les dépenses, on peut se permettre un geste fort pour le pouvoir d’achat.
L’extrême gauche en embuscade : « C’est pas assez ! »
Et puis il y a ceux qui trouvent que la promesse ne va pas assez loin. La députée de la gauche radicale tape du poing : gratuité partielle ? Une demi-mesure tiède. Il faut la gratuité totale, point barre. C’est une question de justice sociale et d’urgence écologique.
Le maire hausse les épaules : « Elle peut promettre la lune, elle sait très bien qu’elle ne sera pas aux manettes pour payer la facture. Moi, je serai peut-être encore là en mars. » Touché.
Pourquoi cette mesure parle autant aux Clermontois
Allez, soyons honnêtes une seconde. 500 euros d’économies par an pour une famille avec deux lycéens, ça fait réfléchir. Dans une ville où le revenu médian n’est pas follement élevé, c’est du concret. Ajoutez à ça les retraités qui galèrent avec une petite pension, et vous avez une mesure qui touche une large partie de l’électorat.
- Un lycéen ou étudiant qui prend le tram tous les jours ? Plus de 200 €/an dans la poche.
- Un senior qui va voir ses petits-enfants ou faire ses courses ? Pareil.
- Le week-end gratuit pour tout le monde ? Sympa pour les sorties, les matchs de l’ASM ou les virées à Royat.
On comprend que ça fasse rêver. Et en même temps, on comprend aussi ceux qui hurlent au scandale quand ils voient le montant de la dette.
Le cas des autres villes : ça marche ailleurs, pourquoi pas ici ?
La gratuité totale, on en parle beaucoup depuis Luxembourg (premier pays au monde à l’avoir adoptée) ou des villes comme Dunkerque, Calais, ou plus récemment Niort. Résultat ? Augmentation de la fréquentation, baisse du trafic automobile, image moderne… mais aussi des coûts à absorber.
À Clermont, la gratuité totale coûterait entre 25 et 30 millions d’euros par an, selon les estimations les plus sérieuses. C’est cinq à six fois plus que la proposition actuelle. Est-ce réaliste avec la dette actuelle ? Probablement pas tout de suite.
Inspire : le réseau XXL qui change tout
Petit rappel pour ceux qui auraient raté les épisodes précédents : le nouveau réseau Inspire, c’est deux lignes de tram, des bus à haut niveau de service, des fréquences renforcées, un nouveau dépôt gigantesque. Bref, Clermont passe dans une autre dimension en matière de transports.
Mais tout ça a un prix. 325 millions d’euros, dont une bonne partie financée par de l’emprunt. Résultat : les recettes de billetterie (environ 15-20 % du budget de fonctionnement) deviennent soudainement cruciales pour rembourser.
Supprimer ne serait-ce qu’une partie de ces recettes, c’est prendre le risque de devoir augmenter la contribution des collectivités… donc des impôts locaux à terme. C’est tout le nœud du débat.
Et la métropole dans tout ça ?
La mesure, pour l’instant, ne concerne que les Clermontois. Les habitants de Cébazat, Aubière ou Cournon paieront plein pot. Forcément, ça grince. Le vice-président de la métropole, maire d’une commune voisine, parle d’irresponsabilité.
Le maire répond : « On commence par chez nous, et si tout le monde joue le jeu, on élargira. » Traduction : pas question de faire payer les autres communes tant qu’elles ne mettent pas la main à la poche.
Ce que ça dit de notre société
Au-delà des chiffres, il y a quelque chose de plus profond. Cette polémique révèle nos contradictions : on veut tous des services publics de qualité, gratuits si possible, mais personne ne veut payer plus d’impôts. On veut moins de voitures en ville, mais on râle quand le stationnement devient payant ou quand les transports coûtent cher.
La gratuité des transports, c’est un peu le rêve ultime de la gauche (justice sociale + écologie) et le cauchemar absolu de la droite gestionnaire (dépenses incontrôlées). Et au milieu, il y a les électeurs, qui aimeraient bien les deux : des services au top sans que ça leur coûte un euro de plus.
Et vous, vous en pensez quoi ?
Franchement, je pose la question parce que c’est clivant. Moi qui ai passé pas mal de temps à Clermont ces dernières années, j’ai vu des étudiants galérer avec l’abonnement, des retraités compter les tickets à l’unité. La mesure parlerait à beaucoup de monde.
Mais j’ai aussi vu les chantiers monstrueux, les budgets explosés, les reports successifs. Quand on sait que certaines villes qui ont tenté la gratuité totale ont dû faire machine arrière (ou augmenter fortement les impôts locaux), on se pose des questions légitimes.
Alors, promesse électorale irréaliste ou vrai coup de génie social ? La réponse, on l’aura peut-être en mars prochain. En attendant, une chose est sûre : à Clermont-Ferrand, la campagne 2026 a déjà commencé. Et elle promet d’être chaude comme la lave du Puy de Dôme.
(Article mis à jour le 5 décembre 2025 – environ 3200 mots)
