Imaginez-vous enfin devant la Joconde après des mois d’attente, billet coupe-file en main, et là… rideau. Portes closes, pancarte « fermé pour grève ». C’est le scénario qui pourrait devenir réalité dès le lundi 15 décembre 2025 au musée le plus célèbre du monde. Et franchement, ça commence à faire beaucoup pour un seul établissement.
Cette fois, ce n’est pas un énième tag sur la vitre ou une activiste collée à un tableau. Non, c’est le personnel lui-même qui dit stop. Tous les syndicats réunis – chose suffisamment rare pour être soulignée – ont déposé un préavis de grève reconductible. Autrement dit : ça peut durer. Et quand on regarde les derniers mois, on se dit que la cocotte-minute était prête à exploser depuis longtemps.
Le Louvre, ce géant aux pieds d’argile
On a tous en tête les images du commando qui, en plein jour, a emporté des pièces historiques inestimables en octobre dernier. Quatre hommes, une opération éclair, un butin qui fait tourner la tête. Trois suspects arrêtés, mais les objets ? Toujours portés disparus. Le choc était immense. Comment le musée le plus sécurisé de France a-t-il pu se faire avoir comme ça ?
Puis vint la fuite d’eau fin novembre. Entre 300 et 400 livres précieux de la bibliothèque égyptologique trempés, irrécupérables pour certains. Une canalisation hors d’âge, un réseau hydraulique en « obsolescence totale » selon les termes officiels. Les travaux ? Pas avant septembre 2026. En attendant, on ferme des galeries entières parce que les poutres menacent de s’effondrer. Oui, vous avez bien lu : des poutres.
Et maintenant la grève. On pourrait croire à une malchance phénoménale. Mais quand on gratte un peu, on se rend compte que tout est lié. Le même fil rouge : un musée magnifique, adulé dans le monde entier, mais qui tourne avec des moyens qui ne suivent plus.
Des agents à bout de souffle
Parlons chiffres, parce que c’est éclairant. Le Louvre accueille plus de 10 millions de visiteurs par an. Dix millions. C’est énorme. Et pour gérer cette foule, combien d’agents de surveillance ? Beaucoup trop peu, disent ceux qui sont sur le terrain tous les jours.
« Chaque jour, des salles restent fermées bien plus longtemps que prévu, faute de personnel suffisant ou à cause de pannes techniques récurrentes. »
Communiqué commun des syndicats
Je discute régulièrement avec des amis qui travaillent dans les grands musées parisiens. Ce qu’ils décrivent, c’est une pression permanente : courir d’une salle à l’autre, gérer les files d’attente, répondre aux touristes, et en même temps surveiller des œuvres valant des fortunes avec parfois un collègue pour vingt salles. C’est tenable ? Clairement non.
- Fermetures imprévues de galeries presque quotidiennes
- Agents polyvalents à l’extrême, parfois sans formation suffisante sur certaines périodes
- Absence de renforts malgré l’explosion de la fréquentation post-Covid
- Turn-over important : les jeunes partent vite, épuisés
Et quand on sait que certains postes sont vacants depuis des mois, on comprend mieux pourquoi la sécurité a pu lâcher lors du cambriolage. Moins de monde = moins d’yeux = plus de risques. C’est mathématique.
Un bâtiment historique qui craque de partout
Le Louvre, ce n’est pas un musée construit hier. C’est un palais vieux de plusieurs siècles, agrandi, transformé, rafistolé au fil du temps. Magnifique, certes. Mais quand on veut y faire entrer 30 000 personnes par jour, ça coince.
Prenez la Galerie Campana : fermée parce que les poutres ne tiennent plus. Les installations électriques ? Certaines datent de Mathusalem. Le réseau d’eau, on l’a vu, est une catastrophe annoncée. Et pendant ce temps, on inaugure des expos temporaires à grand renfort de communication, mais les bases pourrissent.
L’aspect le plus dingue ? Tout le monde sait. Les rapports s’empilent depuis des années. Mais les gros chantiers coûtent cher, très cher, et demandent de fermer des ailes entières pendant des mois. Politiquement, c’est compliqué. Alors on repousse. Jusqu’au jour où une canalisation pète et abîme des livres uniques au monde.
Un management dans le viseur
Et puis il y a la question du style de direction. Depuis 2021, la présidence a changé de visage. Nouvelle vision, nouvelle ambition : ouvrir davantage, attirer un public plus jeune, plus international, multiplier les partenariats prestigieux. Sur le papier, c’est séduisant.
Mais sur le terrain, certains agents décrivent une tout autre réalité : des objectifs chiffrés toujours plus élevés, des injonctions qui se contredisent, une écoute qui se serait réduite comme peau de chagrin. Le mot qui revient souvent ? « Brutalité ». Pas forcément dans les formes, mais dans la manière de gérer les ressources humaines.
Le précédent mouvement, en juin dernier, n’avait duré que quelques heures. Cette fois, les syndicats parlent d’un ras-le-bol généralisé. Et quand CFDT, CGT et SUD marchent main dans la main, c’est que ça chauffe vraiment.
Quelles conséquences pour les visiteurs ?
Concrètement, si la grève démarre le 15 décembre, c’est toute la période des vacances de Noël qui risque de sauter. Des milliers de familles, de touristes étrangers, qui avaient réservé leurs billets des mois à l’avance, se retrouveront devant des portes fermées. Économiquement, c’est une catastrophe : hôtels, restaurants, boutiques autour du musée… tout le quartier va trinquer.
Et symboliquement ? C’est terrible. Le Louvre, c’est la carte postale de la France. Quand il tousse, c’est Paris qui s’enrhume, et un peu le monde entier qui éternue.
Y a-t-il une sortie de crise ?
Évidemment, des négociations vont s’ouvrir. Elles ont déjà commencé en coulisses. Mais les revendications sont claires : plus d’embauches pérennes, un vrai plan de rénovation accéléré, et un dialogue social apaisé. Rien d’extravagant, en somme. Juste de quoi faire tourner correctement le premier musée du monde.
Ce qui est sûr, c’est que cette crise dépasse largement le cadre du Louvre. Elle pose la question du financement de la culture en France, de la valorisation des métiers du patrimoine, de notre capacité à entretenir nos joyaux quand ils attirent des millions de visiteurs payants chaque année.
Alors oui, il y aura peut-être des jours de fermeture. Oui, ça va embêter du monde. Mais parfois, il faut que ça gronde pour que ça bouge enfin. Et quelque part, quand on voit l’état du bâtiment et la fatigue des agents, on se dit que c’était peut-être nécessaire.
Le 15 décembre approche. On saura vite si le Louvre rouvre normalement le mardi matin… ou si on entre dans une nouvelle séquence, longue et compliquée. En attendant, si vous aviez prévu votre visite pour les fêtes, gardez un œil sur les annonces officielles. Et croisons les doigts.
Parce qu’au fond, on veut tous la même chose : pouvoir continuer à pousser la porte de ce musée magique, sans se demander si demain il sera encore debout.
