Vous est-il déjà arrivé de vous réveiller un matin et de vous dire que le sort de l’Europe se joue peut-être à 3 000 km de chez vous, autour d’un simple coup de fil ? C’est exactement ce qui s’est passé cette semaine.
Pendant que pendant quarante minutes – pas une de plus, pas une de moins – Emmanuel Macron, Keir Starmer et Friedrich Merz ont parlé avec Donald Trump. Le sujet ? Toujours le même, mais jamais aussi brûlant : comment sortir de la guerre en Ukraine sans que tout le continent y laisse des plumes.
Un appel à quatre qui en dit long sur l’état du monde
Quarante minutes, ce n’est pas long. C’est le temps d’un épisode de série moyenne. Pourtant, dans le langage diplomatique, c’est une éternité quand on sait que le président américain déteste les réunions qui traînent. Le fait qu’il ait accepté cet échange à quatre montre déjà que l’affaire est sérieuse.
Ce qui frappe d’entrée, c’est la composition du trio européen. On a le Français, toujours en première ligne depuis 2022. Le Britannique, qui a repris le flambeau du soutien militaire massif post-Brexit. Et l’Allemand – attention, pas Olaf Scholz, mais Friedrich Merz, le leader de la CDU qui se prépare clairement à prendre la chancellerie en 2025. Autrement dit, l’Europe sort l’artillerie lourde, même celle qui n’est pas encore officiellement au pouvoir.
« On essaie d’avancer », a simplement lâché Macron à la sortie. Phrase courte, ton sec. Traduction : on est très loin d’être d’accord.
Le contexte est explosif
Revenons deux jours en arrière. Lundi, ces mêmes dirigeants (avec Scholz en bonus) recevaient Volodymyr Zelensky à Londres. Photos chaleureuses, accolades, promesses de soutien « aussi longtemps qu’il le faudra ». Le message était clair : l’Europe ne lâche pas l’Ukraine.
Mercredi, rebelote, mais cette fois sans Zelensky et avec Trump dans l’oreille. Le contraste est violent. D’un côté on serre la main du président ukrainien, de l’autre on appelle celui qui, deux jours plus tôt, déclarait publiquement être « déçu » de lui.
J’ai trouvé cette séquence presque schizophrène. On dirait une famille qui se déchire sur l’héritage : tout le monde sourit sur la photo de Noël, mais dès que le patriarche tourne le dos, on passe les coups de fil pour savoir qui va vraiment toucher quoi.
Ce que Trump veut vraiment (et il ne s’en cache plus)
Donald Trump a été d’une clarté cristalline ces derniers jours. Pour lui, la guerre doit cesser. Point. Et pour cela, il faut que Kiev fasse des concessions. Territoriales, évidemment. Mais aussi politiques.
Il a même ressorti l’argument des élections : « L’Ukraine n’est plus une démocratie tant qu’elle n’organise pas d’élections ». Sous-entendu : Zelensky s’accroche au pouvoir grâce à la loi martiale. L’argument est discutable – la Constitution ukrainienne interdit les élections en temps de guerre – mais il fait mouche auprès d’une partie de l’opinion américaine qui en a marre de payer.
Le plan américain, tel qu’il a fuité, serait le suivant :
- Cession de territoires actuellement occupés (et même de certains non occupés mais revendiqués par Moscou)
- Promesses de sécurité en échange (mais sans adhésion OTAN ferme)
- Élections rapides sous supervision internationale
- Levée progressive des sanctions si la Russie joue le jeu
Pour Washington, c’est du win-win. Pour Kiev, c’est inacceptable. Et pour l’Europe ? C’est là que ça devient intéressant.
L’Europe entre le marteau et l’enclume
L’Europe se retrouve dans une position terriblement inconfortable. D’un côté, elle a massivement investi – politiquement, financièrement, militairement – dans la victoire ukrainienne. De l’autre, elle sait que sans les États-Unis, elle ne peut pas tenir indéfiniment.
Et Trump a été très clair pendant sa campagne : « Je règle ça en 24 heures ». On a tous rigolé. Aujourd’hui, plus personne ne rit. Parce qu’on comprend que sa méthode est simple : il appelle Poutine, il appelle Zelensky, il pose ses conditions, et malheur à qui dit non.
L’appel de mercredi, c’était l’Europe qui essayait de peser avant que Trump ne passe vraiment à l’action.
« L’objectif n’est pas de faire plaisir à tout le monde, mais d’arrêter les morts », aurait-il lâché selon plusieurs sources proches des discussions.
La « coalition des volontaires » : le plan B européen
Jeudi – donc demain au moment où j’écris – Macron et Starmer président une nouvelle réunion de cette fameuse « coalition des volontaires ». Derrière ce nom un peu pompeux se cache la tentative européenne de construire un système de garanties de sécurité alternatif à l’OTAN.
L’idée ? Si les États-Unis se désengagent, une trentaine de pays (Royaume-Uni, France, Pologne, pays baltes, Scandinaves…) seraient prêts à signer des accords bilatéraux avec Kiev, incluant potentielle l’envoi de troupes en cas de nouvelle agression russe.
C’est ambitieux. C’est aussi extrêmement risqué. Car cela revient à dire à Trump : « Si tu lâches l’Ukraine, on prend le relais ». Autant agiter un chiffon rouge devant un taureau.
Et Zelensky dans tout ça ?
Le président ukrainien joue un jeu d’équilibriste incroyable. Ces derniers jours, il a multiplié les signaux d’ouverture :
- Il s’est dit prêt à organiser des élections « dès que les conditions de sécurité le permettront »
- Il a promis d’envoyer rapidement une version révisée du plan américain
- Il répète qu’il veut la paix… mais « juste »
Mais dans le même temps, il durcit le ton sur le fond : pas question de céder la Crimée ou le Donbass sans référendum, pas question de neutralité éternelle, pas question de démilitarisation massive.
En clair, il gagne du temps. Il sait parfaitement que chaque semaine qui passe affaiblit un peu plus la Russie sur le terrain et renforce sa position négociation.
Ce qui pourrait se passer dans les prochaines semaines
À mon avis – et c’est une intuition de suiveur de longue date de ce conflit – on se dirige vers une période de marchandage intense jusqu’à l’investiture de Trump le 20 janvier.
Scénario le plus probable :
- Un cessez-le-feu technique avant l’hiver (trop coûteux pour tout le monde de continuer à ce rythme)
- Des négociations sous mediation turque ou chinoise (les seuls que tout le monde accepte encore)
- Un accord a minima qui gèle la ligne de front actuelle
- Des garanties de sécurité européennes pour compenser le retrait partiel américain
- Et… un report sine die de la question des territoires occupés (le fameux « on en reparlera dans 10-15 ans »)
Ce ne serait une victoire pour personne. Mais ce serait peut-être le seul scénario réaliste.
Pourquoi cet appel change tout de même la donne
Ce qui est nouveau, c’est que l’Europe ne se contente plus de suivre. Elle anticipe. Elle construit des alternatives. Et surtout, elle parle d’une seule voix – ou presque.
Le fait que Merz soit présent est particulièrement significatif. L’Allemagne, traditionnellement prudente, se prépare à un changement de logiciel complet. Avec lui, pas de tabou sur l’envoi de troupes ou sur une dissuasion nucléaire européenne.
En clair, même si Trump obtient gain de cause à court terme, il risque de découvrir que l’Europe a grandi pendant qu’il regardait ailleurs.
Et ça, franchement, c’est peut-être la vraie nouvelle de la semaine.
À suivre. De très près.
