Vous souvenez-vous de ces soirées d’été où, dès les premières notes, tout le monde se mettait à chanter en chœur « C’est bon pour le moral, wo wo wo » ? Moi oui. Et derrière ce refrain qui colle encore à la peau quarante ans plus tard, il y avait un homme discret mais essentiel : Guy Bévert. Le batteur, le chanteur, le sourire perpétuel de La Compagnie Créole vient de nous quitter à l’âge de 76 ans, dans la nuit du 3 au 4 décembre. Une page se tourne, et elle fait mal au cœur.
Une vie rythmée par la joie antillaise
Originaire de Guadeloupe, Guy Bévert n’a jamais oublié d’où il venait. Né dans les années 50 sur l’île papillon, il a grandi bercé par le gwoka, la biguine et ces soirées où la musique servait avant tout à rassembler les gens. Quand il arrive en métropole dans les années 70, il emporte avec lui cette philosophie simple : la musique doit faire du bien. Point final.
C’est en 1975 qu’il cofonde La Compagnie Créole avec d’autres enfants des îles qui, comme lui, refusaient de choisir entre tradition et modernité. L’idée ? Mélanger les rythmes caribéens avec une pop ultra-accessible, des paroles légères et des refrains que même votre grand-mère pouvait reprendre après deux écoutes. À l’époque, personne n’y croyait vraiment. Et puis 1983 est arrivé.
1983-1987 : l’explosion qui a changé la chanson française
Imaginez la France des années 80 : yéyé en bout de souffle, new wave qui fait peur aux parents, et soudain débarque ce groupe en chemise à fleurs qui chante « Vive le douanier Rousseau » ou « Le bal masqué, aïe aïe aïe ». Les radios passent en boucle « C’est bon pour le moral », les mariages, kermesses, colonies de vacances… impossible d’y échapper. Et franchement, personne n’avait envie d’y échapper.
- 1983 – C’est bon pour le moral : disque d’or en quelques semaines
- 1984 – Au bal masqué : tube de l’été incontesté
- 1985 – Le diable au corps
- 1986 – Ça fait rire les oiseaux : probablement le morceau le plus repris dans les cars de colonie
- 1987 – La machine à danser : l’apothéose
Ce qui frappe aujourd’hui, c’est à quel point ces chansons n’ont pas pris une ride. Essayez de mettre « Ça fait rire les oiseaux » dans une soirée en 2025 : en dix secondes, tout le monde chante. C’est rare, ce genre de magie intergénérationnelle.
« Guy, c’était la pulsation du groupe. Sans son swing, sans son sourire derrière la batterie, on n’aurait jamais tenu quarante ans. »
– Un proche du groupe, bouleversé
Derrière la batterie, un chanteur né
On l’a souvent réduit à son rôle de batteur – et quel batteur ! – mais Guy Bévert avait aussi une voix. Chaude, rauque juste ce qu’il faut, avec cet accent créole qui rendait chaque phrase immédiatement chaleureuse. Peu à peu, il a pris le micro plus souvent, partageant les lead vocals avec José Sébéloué et Clémence Bringtown. Cette complémentarité des timbres, c’était la marque de fabrique du groupe.
J’ai eu la chance de les voir en concert il y a une quinzaine d’années. Guy, déjà, montait moins sur le devant de la scène à cause de problèmes de santé, mais quand il prenait le micro pour chanter son couplet sur « Bons baisers de Fort-de-France », la salle explosait. Il y avait une émotion brute, une sincérité qui ne trichait pas.
L’AVC de 2021 et le combat silencieux
En 2021, un grave accident vasculaire cérébral l’avait forcé à arrêter la scène. Pour un homme qui avait passé sa vie à faire danser les autres, c’était une épreuve terrible. Il s’était retiré doucement, laissant Clémence et Julien poursuivre l’aventure à deux. Beaucoup pensaient qu’il ne remonterait jamais sur scène.
Et pourtant, il a tenu deux ans de plus que son grand complice José Sébéloué, parti en 2023. Comme un dernier clin d’œil du destin : les deux frères de cœur se retrouvent maintenant là-haut, sûrement déjà en train de répéter un nouveau refrain.
Quel héritage pour La Compagnie Créole ?
Aujourd’hui, il ne reste plus que Clémence Bringtown et Julien Tarquin pour porter le flambeau. Ils continuent les galas, les tournées nostalgie, et même une participation remarquée à Mask Singer l’an dernier. Mais la question se pose : peut-on encore parler de La Compagnie Créole quand trois des cinq membres historiques nous ont quittés ?
Je crois que oui. Parce que l’esprit du groupe dépasse les individus. C’est cette capacité unique à transformer n’importe quelle grisaille en soleil, n’importe quelle piste de danse en carnaval. Guy Bévert emporte avec lui une partie de cette magie, mais il en a semé tellement autour de lui qu’elle continuera à germer longtemps.
Preuve en est : sur les réseaux sociaux, les hommages pleuvent. Des anonymes qui racontent leur premier slow sur « Scandale dans la famille », des DJ qui repassent « La machine à danser » en club, des enfants qui découvrent les chansons via TikTok et les reprennent avec le même enthousiasme. L’héritage est vivant, vibrant, dansant.
Et maintenant ?
Clémence et Julien ont déjà annoncé qu’ils continueraient à chanter en mémoire de leurs amis. Un gala de Noël est prévu à Chartres le 18 décembre, puis probablement d’autres dates en 2026. Peut-être même un album hommage ? On peut rêver.
En attendant, si vous croisez une playlist « Tubes années 80 » ou « Chansons de mariage », laissez tourner « C’est bon pour le moral ». Montez le son. Dansez, même tout seul dans votre salon. C’est exactement ce que Guy aurait voulu.
« Pars en paix Guy, sois sûr que La Compagnie Créole continuera à célébrer ta mémoire. »
– Message officiel du groupe
Repose en paix, l’ami. Et merci pour toutes ces années où tu nous as fait chanter que, oui, c’était bon pour le moral.
La fête continue, quelque part, avec toi derrière la batterie et José au micro. On vous entend d’ici.
