Imaginez-vous dans une salle d’attente, un peu anxieuse, avec cette boule au ventre que l’on connaît tous quand on va chez le médecin pour un contrôle qui nous inquiète. Et là, sans même avoir vu le praticien, on vous annonce que vous n’êtes pas la bienvenue. Pas à cause d’un planning surchargé, non. Simplement parce que vous êtes transgenre. C’est exactement ce qui est arrivé à une jeune femme de 26 ans, il y a deux ans, dans une ville du sud-ouest de la France. Une histoire qui, aujourd’hui, vient de connaître son épilogue judiciaire… et qui laisse un goût amer.
Une consultation qui ne verra jamais le jour
Tout commence en août 2023. Emme, 26 ans, vit depuis plusieurs années en tant que femme. Elle suit un traitement hormonal depuis trois ans et, comme beaucoup de femmes, s’inquiète d’une douleur et d’une grosseur au niveau de la poitrine. Rien d’anormal à vouloir consulter un spécialiste, surtout quand on sait que les cancers du sein peuvent toucher tout le monde, y compris les personnes sous hormones.
Elle prend donc rendez-vous chez un gynécologue cancérologue réputé, via une plateforme bien connue. Le jour J, elle arrive avec son compagnon, s’installe dans la salle d’attente… et là, la secrétaire vient lui annoncer que le médecin refuse de la recevoir. Motif ? Sa transidentité. La jeune femme repart en larmes, sans même avoir croisé le regard du praticien.
« On ne s’occupe pas de ça », aurait répondu la secrétaire.
Ce qui aurait pu rester une humiliation privée prend une tout autre ampleur quelques jours plus tard. Le médecin, interrogé en ligne sur les raisons de son refus, lâche une phrase qui va faire le tour des réseaux : il ne soigne « que des vraies femmes ». Le ton est donné.
Le procès : deux chefs d’accusation, deux verdicts opposés
Deux ans plus tard, le tribunal correctionnel de Pau rend son jugement. Et c’est là que ça devient intéressant, presque schizophrénique.
Le médecin est condamné pour outrage sexiste à 5 000 euros d’amende avec sursis. Les juges considèrent que l’expression « vraies femmes » constitue une atteinte à la dignité de la patiente en raison de son identité de genre. En clair : dire qu’une femme trans n’est pas une « vraie » femme, c’est sexiste et punissable.
Mais – et c’est le twist – il est relaxé du chef de discrimination. Pourquoi ? Parce que le tribunal estime qu’il n’a pas refusé les soins en raison du sexe ou de l’identité de genre, mais pour des raisons… médicales. Le médecin a en effet expliqué qu’il ne voyait pratiquement jamais d’hommes avant 60 ans pour des cancers du sein et que, statistiquement, le risque était quasi nul chez une personne de 26 ans assignée homme à la naissance.
Autrement dit : ses propos sont condamnables, mais son refus de consultation, lui, ne l’est pas.
Une décision qui divise profondément
Franchement, quand on lit le délibéré, on reste un peu sonné. D’un côté, le tribunal reconnaît la violence des mots. De l’autre, il valide – au moins partiellement – l’argument médical. C’est comme si la justice disait : « Vous avez le droit de penser ce que vous voulez, mais taisez-vous. »
Pour les associations de défense des personnes trans, c’est une demi-victoire amère. Oui, l’outrage sexiste est reconnu. Mais le refus de soins, lui, passe à la trappe. Et c’est peut-être le plus dangereux : ça ouvre la porte à ce que d’autres praticiens invoquent des « raisons médicales » pour trier leurs patients.
- Est-ce qu’un médecin peut refuser un patient en fonction de ses compétences réelles ? Oui, évidemment.
- Mais quand la compétence se mélange à des convictions personnelles sur ce qu’est une « vraie femme », où trace-t-on la ligne ?
- Et surtout : une personne trans qui souffre, doit-elle faire ses preuves pour être crue ?
J’ai discuté avec plusieurs amies trans après cette affaire. L’une d’elles m’a confié qu’elle n’osait plus prendre rendez-vous chez certains gynécologues, de peur de revivre la même chose. Une autre m’a dit qu’elle préférait consulter à 300 km de chez elle, chez une praticienne connue pour être trans-friendly. C’est ça, la réalité derrière les statistiques et les arrêts de justice.
Le précédent juridique : qu’est-ce que ça change vraiment ?
Cette décision n’est pas anodine. Elle risque de faire jurisprudence, ou du moins de servir de référence.
Désormais, un médecin peut donc :
- Refuser de recevoir une personne trans en invoquant des statistiques médicales (même si elles sont discutables).
- Mais s’il tient des propos essentialistes en public, il s’expose à une condamnation pour outrage sexiste.
C’est un peu comme punir le mégaphone, mais pas le fond de la pensée. Et ça pose question.
Car dans les faits, le résultat est le même pour la patiente : elle n’est pas soignée. Et elle repart avec le sentiment – justifié – que son identité est niée.
Et la déontologie médicale dans tout ça ?
Le code de déontologie médicale est pourtant clair : le médecin doit faire preuve de non-discrimination et traiter tous les patients avec la même considération. Mais il y a une exception : le médecin peut refuser un patient pour des raisons personnelles ou professionnelles, sauf urgence.
Le hic ? C’est extrêmement flou. Et dans cette affaire, le tribunal a considéré que le motif médical tenait la route. Même si, soyons honnêtes, l’argument des « cancers très rares avant 30 ans chez l’homme » peut être battu en brèche : les personnes trans sous œstrogènes ont un risque accru de cancer du sein, parfois comparable à celui des femmes cisgenres. Des études le montrent depuis des années.
Alors oui, le risque reste faible à 26 ans. Mais dire « il n’y avait pas lieu de s’inquiéter » sans examen, c’est un peu rapide, non ? Surtout quand la patiente présente des symptômes.
Une société qui avance à deux vitesses
Ce qui me frappe le plus dans cette histoire, c’est le décalage entre le droit et la réalité vécue.
D’un côté, la France se targue d’être un pays progressiste sur les questions LGBT+. On a le mariage pour tous, la PMA, des lois contre les discriminations.
De l’autre, dans la vraie vie, une femme trans peut se voir refuser une consultation gynécologique parce qu’elle n’est pas considérée comme une « vraie » femme. Et la justice, au final, donne raison… aux deux parties. Un peu comme si on voulait contenter tout le monde.
Ça me rappelle ces débats sans fin sur les réseaux : « liberté d’expression » contre « respect de l’autre ». « Réalité biologique » contre « identité vécue ». Et au milieu, des êtres humains qui souffrent.
Vers une médecine plus inclusive ?
Heureusement, les choses bougent. Petit à petit.
De plus en plus de gynécologues se forment à l’accompagnement des personnes trans. Des consultations dédiées existent dans certains hôpitaux. Des recommandations officielles commencent à voir le jour.
Mais on est encore loin du compte. Et des affaires comme celle-ci montrent qu’il reste un énorme travail de sensibilisation. Pas seulement auprès des patients, mais surtout auprès des soignants.
Parce qu’au final, la question est simple : veut-on une médecine qui soigne tout le monde, ou une médecine qui trie selon ses propres critères de « vraie » humanité ?
Je ne sais pas vous, mais moi, j’ai ma petite idée sur la réponse.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Est-ce que cette décision vous semble équilibrée ? Ou au contraire, est-ce qu’elle ouvre une brèche dangereuse ? Dites-le moi en commentaire, je suis curieux de connaître vos avis. Parce que c’est ensemble qu’on fait avancer les choses.
