Vous est-il déjà arrivé de voir tout un stade retenir son souffle, puis exploser en sanglots et en applaudissements en même temps ? Moi, oui. Samedi 29 novembre 2025, à Ernest-Wallon, quelque chose de rare s’est produit. On parlait partout du retour d’un demi de mêlée star après neuf mois d’absence, mais c’est un autre joueur, discret, élégant, presque timide hors des terrains, qui a volé la vedette sans le vouloir. Pita Ahki disputait son dernier match sous le maillot rouge et noir. Et le Stade Toulousain lui a offert un adieu dont on parlera encore dans vingt ans.
Je ne vais pas vous refaire le match (48-24 contre le Racing, carton plein, festival offensif, tout ça). Non, ce qui reste, c’est l’après. Cette sensation bizarre où la victoire semble presque secondaire face à l’émotion brute qui envahit le terrain.
Un haka qui a fait taire Ernest-Wallon
Quand les joueurs se sont alignés face aux tribunes, personne ne s’y attendait vraiment. Et puis ça a commencé. Un grondement sourd, des frappes sur les cuisses, des regards qui transpercent. Un haka magnifique, interprété par les proches et certains joueurs du groupe toulousain d’origine océanienne. Pas le haka rituel d’avant-match, non. Celui-là était différent. Il était pour lui. Pour Pita.
Le Néo-Zélandais, arrivé en 2018 dans la Ville Rose, se tenait là, au milieu, les bras ballants, les yeux rougis. Ses deux petites filles accrochées à ses jambes. Et derrière lui, tout le stade qui hurlait son nom.
« Je crois qu’il y a une part de moi qui ne veut pas accepter qu’il s’en aille… »
David Ainu’u, pilier du Stade Toulousain, en conférence de presse la veille
Le grand David qui pleure déjà la veille en conférence, ça pose l’ambiance. Ce n’est pas un joueur qui part. C’est un frère, un mentor, un repère.
Pita Ahki, l’homme qui ne faisait jamais de bruit
On a souvent tendance à célébrer les joueurs flashy, ceux qui claquent des essais de 70 mètres ou qui parlent fort dans les micros. Pita Ahki, lui, c’était l’inverse. Un centre tout en lecture, en timing, en passes après-contact millimétrées. Le genre de joueur que les entraîneurs adorent et que les supporters apprennent à vénérer avec le temps.
Depuis 2018, il a tout gagné : cinq Brennus, deux Coupes d’Europe. Il a joué les finales, les demies, les matchs décisifs. Toujours là, toujours juste. Et pourtant, jamais le plus bruyant dans le vestiaire. Ugo Mola, son manager, n’a pas hésité une seconde :
« C’est une légende du club. Point. »
Quand le boss dit ça, en conférence d’après-match, sans fioriture, vous comprenez que ça pèse lourd.
Un palmarès qui parle pour lui
Regardons les chiffres froids, juste pour se rendre compte :
- 5 titres de champion de France (2019, 2021, 2022, 2023, 2025 ?)
- 2 Boucliers de Brennus consécutifs en tant que titulaire indiscutable
- 2 étoiles de champion d’Europe (2021 et 2024)
- Des dizaines de matchs référence où il a littéralement porté l’équipe en défense et en attaque
Mais au-delà des trophées, c’est l’humilité du bonhomme qui marque. Toujours le sourire discret, toujours le mot gentil, toujours prêt à encadrer les jeunes. Les Polynésiens et les Samoans du groupe le considéraient comme un grand frère. Les Français, comme un modèle de professionnalisme.
Le tifo, les grosses têtes, les pancartes : le peuple toulousain en fusion
Les supporters ne s’y sont pas trompés. Dès l’échauffement, les tribunes étaient rouges de pancartes « Merci Pita », de grosses têtes rigolotes à son effigie (souvenir des JO, on valide le concept), et un tifo géant déployé dans le virage. Le message était clair : tu n’es pas juste un joueur qui passe. Tu es des nôtres.
Et quand il a été remplacé en seconde période, le stade entier s’est levé. Ovation debout, longue, vibrante. Le genre qui donne des frissons même quand on regarde à la télé.
Retour en Nouvelle-Zélande : la famille avant tout
Pourquoi partir maintenant ? Tout simplement parce que la famille appelle. Ses filles grandissent, les racines tirent. Direction Auckland et les Blues pour la suite de sa carrière. Un retour aux sources logique pour un joueur qui a toujours mis les siens avant tout.
Le rugby français perd un de ses plus beaux joyaux étrangers. Mais il garde surtout le souvenir d’un mec bien, d’un joueur d’exception et d’un chapitre doré dans l’histoire déjà riche du Stade Toulousain.
Et maintenant ? Un vide immense au centre
La question qui brûle toutes les lèvres : qui pour le remplacer ? Parce que remplacer Pita Ahki, ce n’est pas juste trouver un bon centre. C’est trouver quelqu’un capable de lire les défenses comme lui, de faire vivre le ballon après contact, de défendre comme un lion sans jamais prendre de carton débile.
Les jeunes pousses toulousaines sont talentueuses, mais le temps qu’elles atteignent ce niveau d’expérience et de maturité… il va falloir être patient. Peut-être que le staff va se tourner vers le marché des transferts. Peut-être que quelqu’un va exploser plus vite que prévu. En attendant, le numéro 13 va laisser un grand vide.
Ce que cet adieu nous dit du rugby d’aujourd’hui
Franchement, ce genre de soirée me rappelle pourquoi on aime ce sport. Au-delà des tactiques, des budgets, des polémiques arbitrales, il y a des moments où le rugby redevient humain, brut, sincère. Un stade entier qui pleure le départ d’un joueur né à des milliers de kilomètres. Une culture maorie qui se mélange à la culture toulousaine dans un haka improvisé. C’est beau.
Dans un rugby de plus en plus pro, de plus en plus business, ces images-là font du bien. Elles rappellent qu’on joue d’abord pour des valeurs, pour des potes, pour un maillot. Et que parfois, dire au revoir correctement, ça vaut tous les trophées du monde.
Pita, où que tu sois l’an prochain sous le maillot des Blues, sache que ici, à Toulouse, on ne t’oubliera jamais. Tu fais partie de la maison. Et la maison, elle n’oublie pas ses légendes.
Merci pour tout, champion.
