Imaginez la scène : il est presque minuit, l’air est lourd dans l’hémicycle, les visages sont tendus et les téléphones portables vibrent sans discontinuer. Un seul amendement peut tout faire basculer. C’est exactement ce qui s’est passé jeudi soir à l’Assemblée nationale autour d’un sujet qui, avouons-le, ne fait rêver personne en soirée… mais qui touche pourtant le portefeuille de millions de Français : la CSG sur les revenus du capital.
J’étais scotché devant la chaîne parlementaire, comme souvent quand ça chauffe vraiment. Et là, franchement, on a assisté à un vrai numéro d’équilibriste politique. Le gouvernement jouait sa survie budgétaire sur un fil. Et en quelques heures, il a réussi l’impossible : faire adopter une mesure réclamée par la gauche tout en calmant la droite et en protégeant les petits épargnants. Chapeau l’artiste, ou plutôt les artistes, parce qu’il a fallu une sacrée dose de créativité.
Un compromis arraché dans la douleur
Reprenons depuis le début. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2026 doit absolument être voté avant la fin de l’année. Et comme toujours, c’est la partie « recettes » qui fait mal. Le déficit reste abyssal, les caisses sont vides, et il faut bien trouver de l’argent quelque part.
La gauche, fidèle à elle-même, a remis sur la table une vieille idée : augmenter la Contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine. En clair, taxer un peu plus les dividendes, les intérêts, les plus-values, les loyers… tout ce qui ne vient pas directement du travail. L’argument est simple et difficile à contrer : pourquoi ceux qui vivent de leur capital contribueraient moins à la solidarité nationale que ceux qui se lèvent tous les matins ?
Mais voilà, la droite a hurlé au scandale. Pour eux, c’est la punition de l’épargne, le coup de massue sur les classes moyennes qui ont placé leurs économies, la fuite assurée des capitaux, bref l’apocalypse fiscale version 2026. L’ambiance ? Explosive.
L’amendement miracle sorti du chapeau
Et puis, au milieu du chaos, arrive l’amendement gouvernemental. Personne ne l’avait vu venir, ou presque. Un texte rédigé dans l’urgence, déposé à la dernière seconde, qui dit à peu près ceci : oui, on augmente la CSG sur le capital… mais pas pour tout le monde.
Le principe est astucieux. On crée un abattement renforcé pour les revenus du patrimoine modestes. Concrètement :
- Si vos revenus du capital annuels restent sous un certain seuil (les chiffres exacts seront fixés par décret, mais on parle d’environ 30 000 à 40 000 euros par foyer), vous êtes totalement protégés.
- Au-delà, l’augmentation s’applique progressivement, avec un mécanisme de lissage pour éviter les effets de seuil brutaux.
- Les livrets réglementés (Livret A, LDDS, LEP) et l’assurance-vie en euros restent évidemment intouchables.
En résumé, on tape sur les gros patrimoines sans embêter la grand-mère qui a placé ses économies ou le couple qui a un petit complément avec un appartement locatif. C’est ce qu’on appelle un compromis à la française : tout le monde râle un peu, mais personne ne bloque tout.
« On ne taxe pas l’épargne populaire, on demande un effort supplémentaire à ceux qui peuvent se le permettre. »
– Un proche du ministre du Budget, dans les couloirs après le vote
Pourquoi c’était si tendu ?
Parce que le gouvernement n’avait tout simplement pas de majorité assurée. Entre une gauche qui voulait aller plus loin et une droite vent debout, le texte initial risquait le rejet pur et simple. Et là, c’est tout le PLFSS qui sautait. Imaginez les titres le lendemain : « La France sans budget de la Sécu pour 2026 ». Politiquement, ce serait une catastrophe.
D’où l’idée de cet amendement « caméléon » : il donne satisfaction symbolique à la gauche (la hausse passe), rassure les modérés de la majorité et désarme la droite en protégeant les petits revenus du capital. Résultat ? Le texte est adopté à une large majorité. Même une partie de l’opposition de droite a fini par voter pour, ou du moins s’abstenir. Magie du pragmatisme parlementaire.
Combien ça va rapporter exactement ?
Les chiffres circulent déjà. On parle d’un gain compris entre 3 et 4 milliards d’euros par an une fois le dispositif pleinement en place. Ce n’est pas énorme dans le grand océan du déficit de la Sécu (plus de 15 milliards prévus), mais c’est toujours ça. Et surtout, ça évite de toucher aux cotisations salariales ou de baisser les remboursements, deux options explosives socialement.
Petit tableau pour y voir plus clair :
| Type de revenu | Taux CSG actuel | Nouveau taux prévu | Protection petits revenus |
| Dividendes, intérêts | 17,2 % | 18,2 à 19,2 % (progressif) | Abattement jusqu’à 40 k€ environ |
| Plus-values immobilières | 17,2 % | Inchangé (hors résidence principale) | Exonération maintenue |
| Loyers | 17,2 % | 18,7 % en moyenne | Lissage selon revenus |
| Livret A, assurance-vie euros | Exonérés | Exonérés | 100 % protégés |
En clair, l’immense majorité des Français ne verra strictement rien changer. Seuls les 5 à 10 % les plus aisés en termes de patrimoine seront vraiment impactés. C’est d’ailleurs l’argument massue du gouvernement : « effort justement réparti ».
Et maintenant ? Le Sénat, puis le vote définitif
Le texte va maintenant passer au Sénat, où la droite est majoritaire. Autant dire que ça ne sera pas une partie de plaisir. Mais le compromis trouvé à l’Assemblée change la donne : refuser maintenant, c’est prendre le risque de bloquer tout le budget de la Sécu. Et personne n’a vraiment envie de porter cette responsabilité à trois semaines de Noël.
On mise donc sur une adoption définitive d’ici la fin de l’année, probablement avec quelques ajustements cosmétiques pour sauver la face du Sénat. Et hop, une nouvelle pierre dans le mur déjà bien épais des prélèvements sur le capital.
Ce que j’en pense, personnellement
Entre nous, je trouve le coup plutôt bien joué. On peut toujours critiquer la complexité grandissante du système fiscal français – et croyez-moi, on n’est pas rendus – mais là, au moins, on évite le pire. Pas de matraque générale sur l’épargne, pas de psychodrame à la gilet jaune, et un petit peu d’argent qui rentre pour soigner les gens et payer les retraites.
Après, soyons honnêtes : ce n’est qu’un pansement sur une jambe de bois. Le vrai problème, c’est la dépense publique et la productivité du système de santé. Mais ça, c’est une autre histoire, et visiblement personne n’a le courage politique de s’y attaquer frontalement. Alors en attendant, on bricole. Et parfois, le bricolage fonctionne.
Ce qui m’impressionne le plus dans cette séquence, c’est la capacité du système parlementaire, même dans sa version actuelle éclatée, à accoucher de compromis au dernier moment. On râle souvent (et on a bien raison), mais quand ça coince vraiment, il y a encore des gens capables de se mettre autour d’une table et de trouver une solution qui évite le chaos. C’est peut-être ça, finalement, la politique à la française : beaucoup de bruit, des postures, et puis, dans l’ombre, un accord qui arrange tout le monde à peu près.
À suivre, évidemment. Le vote final promet encore son lot de rebondissements. Mais pour l’instant, le gouvernement peut souffler. Il a gagné une bataille. La guerre budgétaire, elle, est loin d’être terminée.
(Article mis à jour le 5 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
