Imaginez-vous en train de prendre votre café, tranquillement installé en terrasse sur le Vieux-Port de La Rochelle, quand soudain un type torse nu, une serviette de bain autour de la taille et une arbalète à la main, se met à hurler « Allahou akbar » à plein poumon. Franchement, vous faites quoi ? Vous partez en courant ? Vous appelez les flics ? Ou vous restez figé comme un lapin dans les phares ?
Eh bien mercredi matin, vers 8 h 30, c’est exactement ce qui est arrivé à plusieurs Rochelais. Et croyez-moi, la scène a dû marquer les esprits pour un bon bout de temps.
Un réveil brutal au cœur de la ville
La Rochelle, d’habitude si paisible en cette saison, avec ses tours médiévales et ses mouettes qui tournoient au-dessus des mâts. Le genre d’endroit où on vient chercher la tranquillité. Et là, paf. Un homme presque nu, armé jusqu’aux dents (enfin, jusqu’à l’arbalète), qui traverse les quais en criant la fameuse formule que tout le monde associe immédiatement au pire.
Les témoins n’ont pas hésité une seconde : appels au 17 en rafale. Les policiers arrivent très vite – il faut dire que ce n’est pas tous les jours qu’on leur signale un type en serviette avec une arme de catégorie D en plein centre-ville.
L’interpellation se passe finalement sans drame. L’homme, âgé de 38 ans, est maîtrisé, menotté, et emmené au commissariat. Jusque-là, on pourrait croire à un scénario classique d’attentat déjoué. Mais très vite, la réalité rattrape tout le monde.
Un profil loin du terroriste « classique »
Première info qui tombe : l’individu n’est pas fiché S. Deuxième info : il est connu des services de police, mais pour des délits de droit commun et surtout pour consommation de produits stupéfiants. Troisième info, et pas des moindres : il souffre d’antécédents psychiatriques lourds.
Autrement dit, on est très loin du profil du jihadiste organisé. On penche plutôt vers une crise aiguë, probablement déclenchée ou aggravée par la prise de substances.
« L’homme a été examiné par un médecin qui a estimé que son état de santé n’était pas compatible avec la poursuite de la garde à vue », a simplement indiqué le parquet.
Traduction : garde à vue levée dans la journée, direction l’hôpital psychiatrique, en hospitalisation sous contrainte. Fin (provisoire) de l’histoire côté judiciaire.
L’arbalète : une arme qui fait peur, mais légale… sous conditions
On entend rarement parler d’arbalète dans les faits divers, et pourtant. En France, une arbalète de plus de 20 joules est classée en catégorie D : elle est en vente libre pour les majeurs, mais son port et son transport hors domicile sont strictement interdits sans motif légitime (chasse, tir sportif avec licence, etc.).
Se balader en serviette avec une arbalète chargée en pleine ville ? Clairement pas un « motif légitime ». D’où l’ouverture d’une enquête pour port d’arme prohibé et apologie du terrorisme – même si cette seconde qualification risque de ne pas tenir longtemps vu le contexte psychiatrique.
Le cocktail explosif : drogue + troubles psy + phrase choc
Ce qui rend cette affaire à la fois glaçante et tristement banale, c’est ce mélange. Un homme en pleine crise, probablement sous l’effet de cocaïne, crack ou autre substance qui fait perdre tout lien avec la réalité, qui attrape la première arme venue (l’arbalète était apparemment chez lui) et qui se retrouve dans la rue à crier la phrase qui fait le plus flipper en France depuis dix ans.
Est-ce qu’il voulait vraiment « faire un attentat » ? Rien ne le laisse penser pour l’instant. Est-ce que les passants avaient des raisons objectives d’avoir peur ? Évidemment oui. Une arbalète, ça tue à 50 mètres sans problème.
- Une arme silencieuse
- Des carreaux capables de transpercer un gilet pare-balles léger
- Un rechargement rapide sur certains modèles modernes
Bref, même sans intention terroriste réelle, le danger était bien présent.
La question qui dérange : et si c’était juste un malade ?
Je vais être honnête : chaque fois qu’un événement de ce genre arrive, on a le même réflexe collectif. On pense immédiatement au terrorisme islamiste. Et parfois, c’est justifié. Mais de plus en plus souvent, on se retrouve face à des personnes en détresse psychiatrique qui, sous l’effet de drogues ou en pleine décompensation, reproduisent des schémas qu’ils ont vus mille fois aux infos.
Ils crient « Allahou akbar » non pas parce qu’ils adhèrent à une idéologie, mais parce que c’est devenu, dans leur tête malade, le cri qui fait le plus réagir. Un peu comme si, dans les années 70, quelqu’un en crise avait crié « Sieg Heil » sans vraiment comprendre ce que ça voulait dire.
C’est dérangeant. Parce que ça brouille les pistes. Ça rend la menace terroriste plus difficile à anticiper. Et surtout, ça met en lumière l’état catastrophique état de la psychiatrie en France.
Psychiatrie : le grand tabou français
Combien de faits divers de ce type pourrait-on éviter avec une prise en charge psychiatrique digne de ce nom ? Combien de personnes en errance, connues des services, finissent par basculer à cause d’un suivi interrompu, de lits fermés, de médecins débordés ?
L’homme de La Rochelle n’est pas un cas isolé. On se souvient de l’affaire de la basilique de Nice en 2020 où l’auteur présentait aussi des troubles, ou de nombreux « couteaux fous » ces dernières années où la frontière entre terrorisme et pathologie lourde est parfois ténue.
Et pourtant, on continue à fermer des lits en psychiatrie. À rendre l’hospitalisation sous contrainte de plus en plus compliquée. À laisser des gens dans la rue ou en prison plutôt que dans des structures adaptées.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Pour l’instant, l’homme est hospitalisé. L’enquête se poursuit, mais les poursuites pénales dépendront de son état mental futur. S’il est jugé irresponsable, il pourrait rester interné longtemps. S’il retrouve ses facultés, il risque de comparaître pour port d’arme et éventuellement apologie – même si cette dernière charge a peu de chances d’aboutir.
Mais la vraie question, celle qu’on devrait tous se poser, c’est : comment en est-on arrivé là ? Comment un homme connu pour ses fragilités a-t-il pu se retrouver dans cet état, avec une arbalète, en pleine rue ?
Parce que demain, ça pourrait être dans votre ville. Dans votre quartier. Et on aura toujours la même sidération, les mêmes débats stériles, et les mêmes solutions qui n’arrivent jamais.
En attendant, les Rochelais, eux, vont mettre un petit moment avant de reprendre leur café tranquille en terrasse.
