Vous est-vous déjà demandé jusqu’où un président américain pouvait aller pour discréditer une adversaire politique ? Hier soir, en Pennsylvanie, la réponse a été brutale.
Devant plusieurs milliers de partisans, Donald Trump a de nouveau pris pour cible Ilhan Omar, élue démocrate du Minnesota, avec une violence verbale qui laisse pantois. « Elle a épousé son frère », « elle est ici illégalement », « renvoyez-la chez elle »… Des phrases qui résonnent comme en 2019, mais avec une intensité décuplée. Et la foule de reprendre en chœur « Send her back ! » comme un refrain bien rodé.
Franchement, on pourrait croire que les Américains sont blindés face au style Trump. Et pourtant, chaque fois, ça choque encore un peu plus.
Une obsession qui dure depuis six ans
Ilhan Omar n’est pas une élue lambda. À 43 ans, elle incarne tout ce que la droite dure américaine exècre : femme, musulmane, réfugiée devenue citoyenne, progressiste assumée, et critique virulente de la politique israélienne. Autant dire la cible parfaite.
Depuis son élection au Congrès en 2018 – un moment historique –, Trump n’a cessé de la viser personnellement. Mais pourquoi cette fixation ? L’aspect le plus troublant reste cette accusation récurrente de mariage frauduleux avec son propre frère pour obtenir la nationalité américaine.
« Vous imaginez si moi, Donald Trump, j’avais épousé ma sœur pour avoir la citoyenneté ? Je ne tiendrais pas deux heures ! »
Donald Trump, meeting en Pennsylvanie, 9 décembre 2025
La salle éclate de rire. Moi, j’ai trouvé ça glaçant.
D’où vient cette théorie du « mariage avec le frère » ?
Tout commence en 2016, quand Ilhan Omar brigue un siège à la Chambre des représentants du Minnesota. Des blogs d’extrême droite exhument alors des documents administratifs : entre 2002 et 2009, elle a été mariée religieusement (pas civilement) à un certain Ahmed Nur Said Elmi, puis a épousé civilement en 2009 Ahmed Hirsi (le père de ses trois enfants), avant de divorcer et de se remarier… avec Elmi en 2009 de manière civile cette fois.
Le hic ? Certains affirment qu’Ahmed Nur Said Elmi serait son frère biologique. Preuve avancée : des photos d’enfance où on les voit ensemble, et un père portant le même nom qu’Omar. Sauf que cette théorie a été démontée point par point.
- Aucune preuve ADN n’a jamais été produite
- Les documents somaliens de l’époque sont souvent incomplets ou contradictoires
- Elmi vivait au Royaume-Uni pendant la période incriminée
- Plusieurs enquêtes journalistiques indépendantes (AP, FactCheck.org, Snopes) ont conclu à l’absence de preuves
- Le bureau du procureur du Minnesota a clos l’enquête en 2020 sans suite
Malgré tout, l’accusation colle à la peau d’Ilhan Omar comme une tache indélébile. Parce qu’elle arrange trop bien un certain récit politique.
Une vie marquée par l’exil et la réussite à l’américaine
Née en 1982 à Mogadiscio, Ilhan Omar passe les huit premières années de sa vie en Somalie, dans une famille de la classe moyenne aisée. Puis la guerre civile éclate. La famille fuit. Quatre ans dans le camp de réfugiés d’Utanga, au Kenya – des conditions effroyables qu’elle évoque rarement, mais qui ont forgé sa vision du monde.
En 1995, arrivée à New York, puis installation à Minneapolis où vit déjà une forte communauté somalienne. Elle apprend l’anglais en regardant Baywatch, jure-t-elle avec humour. Naturalisée américaine à 17 ans, elle considère cette citoyenneté comme le bien le plus précieux.
Son parcours politique est fulgurant :
- 2016 → Élue à la Chambre des représentants du Minnesota (plus jeune élue, première musulmane)
- 2018 → Élue au Congrès fédéral (première femme voilée, première Somalo-Américaine)
- 2020, 2022, 2024 → Réélue largement dans son district
The Squad : la bête noire de la droite
Avec Alexandria Ocasio-Cortez, Rashida Tlaib et Ayanna Pressley, elle forme The Squad, ce quatuor de femmes racisées et progressistes qui fait hurler la droite depuis six ans. Leurs positions ? Medicare for All, Green New Deal, hausse massive des impôts sur les ultra-riches, fin du soutien inconditionnel à Israël.
Pour beaucoup d’Américains de gauche, elles représentent l’avenir du Parti démocrate. Pour Trump et ses soutiens, elles sont la preuve que « l’Amérique n’est plus l’Amérique ».
« Trump n’a aucun programme économique à défendre, alors il ressort ses mensonges xénophobes et sectaires. C’est pathétique et dangereux. »
Ilhan Omar, réaction sur les réseaux, 10 décembre 2025
Le hijab, symbole de toutes les peurs
Lorsque Ilhan Omar prête serment en 2019, elle obtient gain de cause : la règle vieux de 1837 interdisant les couvre-chefs au Congrès est abrogée. Son hijab devient alors un symbole mondial de représentation.
Mais il reste aussi, pour une partie de l’Amérique conservatrice, la preuve visuelle que « les musulmans prennent le pouvoir ». Trump ne s’y trompe pas : dans ses discours, il parle systématiquement de son « petit turban » avec un mépris à peine voilé.
Cette islamophobie décomplexée n’est pas nouvelle, mais elle atteint des sommets quand elle vient du président des États-Unis lui-même.
Pourquoi cette attaque ressurgit-elle maintenant ?
Le timing n’est pas anodin. Trump traverse une période compliquée : revers électoraux locaux (Miami bascule chez les démocrates), enquêtes sur son administration, économie qui patine. Rien de tel qu’une bonne vieille diversion xénophobe pour remobiliser la base.
Et ça marche. Les vidéos du meeting font des millions de vues. Les commentaires sous les posts d’Omar débordent de haine. Le cycle est rodé : Trump lance la grenade, les réseaux sociaux amplifient, les médias fact-checkent… et l’accusation reste dans les esprits.
Comme le disait un analyste politique que j’apprécie : « Dans la politique moderne, la vérité est secondaire. Ce qui compte, c’est la viralité de l’émotion. »
Et après ?
Ilhan Omar, elle, continue. Elle prépare sa réélection en 2026 dans un district qui lui est acquis. Elle voyage, donne des conférences, écrit (son livre This Is What America Looks Like est sorti en 2020). Elle refuse de se taire, même quand les menaces de mort pleuvent.
Quelque part, c’est peut-être ça le plus fort : une femme qui a fui la guerre à 8 ans, vécu dans un camp de réfugiés, et qui se retrouve à 43 ans à défier le homme le plus puissant du monde, sans jamais baisser les yeux.
Trump peut bien crier, accuser, insulter. L’histoire, elle, est déjà écrite.
Et quelque chose me dit qu’on n’a pas fini d’en parler.
(Article mis à jour le 10 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
