Vous avez senti passer la facture de l’inflation dans votre porte-monnaie en 2025 ?
Logiquement, vous vous êtes dit que l’État, lui aussi, allait ajuster un peu ses propres barèmes pour ne pas vous taxer encore plus lourdement sur des revenus qui n’ont pas réellement augmenté. Eh bien… pas cette fois-ci. Du moins pas avant plusieurs mois.
Un petit espoir vite éteint pour les contribuables
Ce mardi de décembre, l’ambiance était plutôt studieuse dans les couloirs de l’Assemblée. Une loi dite « spéciale », censée garantir la continuité de l’État en attendant le vrai budget 2026, passait en commission des finances. Et là, surprise : un amendement déposé par le président de la commission lui-même est adopté. Il propose d’indexer les tranches de l’impôt sur le revenu sur l’inflation, soit une petite hausse de 1 %.
Pour beaucoup de contribuables moyens, c’était une nouvelle plutôt rassurante. Quelques heures plus tard, l’espoir s’est complètement éteint : la présidente de l’Assemblée a déclaré l’amendement irrecevable. Comme quatorze autres sur les dix-neuf déposés ce jour-là.
« La loi spéciale ne permet que d’assurer la continuité de l’État »
Entourage de la ministre des Comptes publics
Traduction : on ne touche pas aux grandes règles fiscales dans ce type de texte. Point final.
Mais pourquoi c’est si compliqué d’indexer le barème ?
Pour comprendre pourquoi ça coince autant, il faut remonter un peu dans le temps. Pendant des décennies, le barème de l’impôt sur le revenu était automatiquement indexé sur l’inflation. C’était une sorte de contrat tacite entre l’État et les contribuables : « Tu gagnes 3 % de plus parce que les prix augmentent de 3 %, je t’autorise à entrer dans la même tranche d’imposition ».
Depuis 2012, cet automatisme a été supprimé. Depuis, chaque gouvernement doit décider consciemment, chaque année, s’il accepte de « perdre » un peu de recettes fiscales en relevant les tranches… ou s’il préfère conserver ce petit gain automatique lié à ce qu’on appelle joliment le « ciseaux fiscal ».
- Inflation forte → salaires et pensions augmentent
- Barème gelé → de plus en plus de contribuables entrent dans les tranches supérieures
- Recettes fiscales qui grimpent sans que l’État ait à voter une seule hausse d’impôt
C’est discret, efficace, et terriblement impopulaire quand les gens s’en aperçoivent.
2025 : une inflation modérée… mais toujours douloureuse
Cette année, l’inflation a nettement ralenti par rapport au pic de 2022-2023. On tourne autour de 1,5 à 2 % sur l’année selon les estimations. Pourtant, même une inflation « sage » produit ses effets. Sur un salaire de 2 800 € net, 2 % d’inflation représentent quand même 56 € de pouvoir d’achat en moins par mois si rien ne bouge.
Pour un couple avec deux enfants qui gagne 5 200 € nets par mois, l’absence de réindexation peut représenter plusieurs centaines d’euros d’impôt supplémentaires sur l’année. Pas énorme à l’échelle du budget de l’État, mais très sensible pour les classes moyennes supérieures qui se retrouvent à payer la tranche à 30 % au lieu de rester en 11 %.
Une question de principe… et beaucoup de millions d’euros
Chaque point d’indexation coûte cher à l’État. Un relèvement de 1 % des tranches représente environ 1,8 à 2,2 milliards d’euros de manque à gagner selon les années et la répartition réelle des revenus.
À l’heure où le déficit public reste très élevé et où Bruxelles continue de surveiller de très près la trajectoire française, ces quelques milliards comptent énormément dans les discussions budgétaires.
J’ai souvent l’impression que, dans ces moments-là, on oublie un peu vite que ces milliards sont prélevés sur le pouvoir d’achat de personnes qui, pour la plupart, n’ont rien demandé d’autre que de ne pas être taxées sur de l’inflation.
La loi spéciale : un carcan très étroit
Le texte en discussion est très particulier. Il ne s’agit pas d’un vrai budget, mais d’une simple autorisation de dépenser et de percevoir les impôts existants jusqu’à ce qu’un nouveau budget soit voté (probablement en février-mars 2026).
Le Conseil d’État avait déjà tranché l’année précédente : les modifications importantes de règles fiscales n’ont pas leur place dans ce type de loi technique. Le bureau de l’Assemblée nationale s’est donc aligné sur cette jurisprudence et a retoqué l’amendement.
« On ne change pas les règles du jeu fiscal dans un texte de continuité »
Haute autorité juridique consultée
Et maintenant ? Quelles sont les perspectives pour 2026 ?
Tout va donc se jouer dans le cadre du vrai projet de loi de finances pour 2026. Plusieurs scénarios sont possibles :
- Réindexation complète (sur l’inflation réelle 2025) → scénario le plus favorable aux ménages mais très coûteux pour les finances publiques
- Réindexation partielle (1 à 1,5 %) → compromis politique probable
- Nouvelle indexation « ciblée » sur les premières tranches seulement → solution qui protège les revenus modestes sans trop coûter
- Gel total une année supplémentaire → scénario le plus simple budgétairement mais politiquement très risqué
À titre personnel, je parierais plutôt sur un mix entre 2 et 3. Les gouvernements successifs, quelle que soit leur couleur, ont souvent choisi de protéger les plus modestes tout en conservant une partie du gain fiscal sur les tranches supérieures.
Les gagnants et les perdants de l’absence de réindexation
| Profil | Impact approximatif 2025 | Perdant / Neutre / Gagnant |
| Smic + petites retraites | Très faible (souvent non imposable) | Neutre |
| Classe moyenne 1 800-2 800 € net | +80 à +220 € d’impôt | Perdant modéré |
| Classe moyenne supérieure 3 000-5 000 € net | +350 à +900 € d’impôt | Perdant marqué |
| Revenus > 7 000 € net / mois | +1 200 à +4 000 € d’impôt | Perdant important |
| État | +2 à +2,5 Md€ de recettes | Grand gagnant |
Comme souvent en fiscalité, ce sont les classes moyennes supérieures qui absorbent le plus gros du choc.
Et si on parlait d’un vrai bouclier anti-inflation fiscale ?
Certains économistes et responsables politiques plaident pour une solution plus structurelle : un mécanisme automatique d’indexation des premières tranches jusqu’à un certain niveau de revenu (disons jusqu’à 5 000 € net mensuel pour un couple), couplé à une indexation partielle ou nulle au-delà.
Cette solution aurait le mérite de protéger les revenus du travail et les petites retraites sans faire exploser le manque à gagner pour les finances publiques.
Mais là encore, rien n’est simple. Dès qu’on touche aux règles fiscales, on crée des effets de seuils, des comportements d’optimisation, des contestations juridiques…
Conclusion : l’attente sera longue
Pour résumer, 2025 ne sera pas l’année de la grande réconciliation entre le fisc et l’inflation. La réindexation attendra sagement son heure dans le prochain budget.
En attendant février-mars 2026, les contribuables vont donc continuer de payer un peu plus d’impôt… sur des euros qui valent un peu moins. Un paradoxe fiscal français qui, année après année, continue de surprendre par sa résilience.
Espérons simplement que les débats de l’année prochaine seront un peu moins techniques et un peu plus centrés sur une vraie question : jusqu’à quel point l’État peut-il continuer de financer son train de vie sur le dos de l’inflation ?
À suivre, donc… comme chaque année.
