Imaginez que vous soyez au téléphone avec la personne que vous aimez le plus au monde et que, d’une seconde à l’autre, vous compreniez que vous ne l’entendrez plus jamais. Ce n’est pas le scénario d’un film catastrophe. C’est ce qu’a vécu un habitant de Hong Kong la semaine dernière, au milieu d’un incendie qui a tout ravagé sur son passage.
Je ne sais pas vous, mais moi, ce genre d’histoire me glace le sang. Parce qu’on y voit à quel point la vie peut basculer en quelques minutes, parfois à cause d’une décision prise en une fraction de seconde.
Un appel qui reste gravé à jamais
Il s’appelle Yip Ka-kui. Il a 67 ans. Un retraité ordinaire qui vivait tranquillement avec son épouse dans un de ces immenses ensembles résidentiels typiques de Hong Kong. Ce jour-là, il s’apprêtait à faire une petite sieste quand sa femme l’a appelé depuis une autre pièce : « Il y a le feu dans l’immeuble d’à côté, celui où habite notre fils. »
Panique immédiate. L’homme attrape son téléphone, un pull, et descend en courant. À ce moment-là, il pense encore que le feu reste confiné à l’immeuble voisin. Il court pour essayer de rejoindre son fils. Et puis, en regardant autour de lui, il réalise que les flammes sautent déjà d’un bâtiment à l’autre.
« J’ai immédiatement appelé ma femme et je lui ai crié : il y a un gros incendie, il faut partir tout de suite ! »
Mais entre le moment où il a quitté l’appartement et celui où il a rappelé, tout avait changé. La fumée envahissait déjà les couloirs, les escaliers, le hall. Descendre était devenu impossible.
Alors il lui a dit la phrase qui le hantera jusqu’à la fin de ses jours :
« Ne descends pas. »
– Les derniers mots qu’il a pu lui dire
Il pensait que les pompiers allaient arriver rapidement, qu’ils pourraient la secourir par l’extérieur. Il espérait. Comme on espère tous quand on n’a plus que ça.
Des échafaudages qui ont tout accéléré
Ce qui a transformé un incendie « normal » en catastrophe historique, ce sont ces fameux échafaudages en bambou recouverts de filets verts, que l’on voit absolument partout à Hong Kong lors des travaux de rénovation. Ils sont légers, rapides à monter, peu chers. Et inflammables comme de l’amadou.
Lorsque le feu a pris dans le premier bâtiment, ces structures ont agi comme des mèches géantes. Les flammes ont grimpé à une vitesse hallucinante, passant d’un immeuble à l’autre en sautant par les façades. En quelques minutes, c’est tout le complexe résidentiel qui s’est embrasé.
- Des filets en plastique qui fondent et gouttent du feu liquide
- Des bambous secs qui brûlent comme des allumettes
- Une densité de population extrême : des milliers de personnes coincées en hauteur
- Des escaliers uniques rapidement remplis de fumée toxique
Dans ces vieux ensembles des années 70-80, il n’y a souvent qu’une seule cage d’escalier. Quand elle est enfumée, c’est la porte de sortie qui disparaît. Et pour ceux qui habitent aux étages élevés, attendre les pompiers devient la seule option. Une option qui, cette fois, n’a pas suffi.
Le silence au bout du fil
Yip Ka-kui est resté en ligne avec sa femme aussi longtemps que possible. D’abord, elle toussait. Puis elle respirait mal. Ensuite, il n’entendait plus que des bruits étranges, des craquements, le chaos autour d’elle. Et puis plus rien. La communication s’est coupée.
Je vous avoue que quand j’ai lu ce témoignage, j’ai dû poser mon café. Parce qu’on imagine tous ce qu’on ferait dans cette situation. On se dit qu’on aurait réagi autrement. Mais en réalité, personne ne sait.
« Je ne l’entendais plus… seulement du bruit. Et puis ça a coupé. C’était notre dernier appel. »
Pendant des heures, il est resté en bas, derrière les cordons de sécurité, à attendre des nouvelles qui ne venaient pas. Il a regardé les immeubles brûler toute la nuit. Le lendemain, et les jours suivants, il a épluché les listes de victimes, les photos, les noms. Cinq jours plus tard, un appel de la police a confirmé ce qu’il savait déjà au fond de lui.
Un regret qui ne s’éteindra jamais
Aujourd’hui, l’homme répète inlassablement la même phrase :
« Si je lui avais demandé de partir une minute plus tôt… elle serait encore là. »
Cette phrase, elle est terrible. Parce qu’elle est humaine. Parce qu’on a tous déjà eu ce genre de « et si » qui nous ronge après un drame. Sauf que là, c’est toute une vie qui s’est arrêtée à cause de soixante petites secondes.
Et le pire, c’est qu’il n’est pas le seul à vivre ça. Des dizaines de familles racontent des histoires similaires : des appels désespérés, des conseils contradictoires, des choix impossibles entre fuir et attendre les secours.
Pourquoi cet incendie a été si meurtrier ?
Plus de 150 morts. C’est un bilan que l’on n’avait pas vu à Hong Kong depuis des décennies. Et pourtant, la ville n’est pas novice en matière d’incendies. Alors qu’est-ce qui a dysfonctionné à ce point ?
Plusieurs éléments se sont combinés de façon tragique :
- La présence massive d’échafaudages bambou sur presque tous les bâtiments du complexe (travaux de rénovation en cours partout)
- Des matériaux de protection hautement inflammables
- Une densité de population extrême : certains immeubles comptent jusqu’à 40 étages avec des centaines d’appartements minuscules
- Des issues de secours insuffisantes dans des bâtiments anciens
- Une propagation ultra-rapide par l’extérieur, rendant les consignes classiques (« restez chez vous ») mortelles
D’habitude, on dit aux gens de rester dans leur appartement en attendant les pompiers. Là, c’était exactement l’inverse qu’il fallait faire. Et personne n’était préparé à ça.
Les questions qui dérangent
Depuis, les autorités ont ouvert une enquête indépendante. On parle de défaillances multiples. Utiliser encore des échafaudages en bambou en 2025, est-ce vraiment raisonnable ? Les normes de sécurité pour les travaux en hauteur sont-elles suffisantes ? Pourquoi n’y a-t-il pas plus d’escaliers de secours dans ces vieux ensembles ?
Et surtout : combien de complexes résidentiels, à Hong Kong et ailleurs en Asie, sont encore dans la même situation de vulnérabilité extrême ?
Parce que soyons honnêtes : ce qui s’est passé là-bas pourrait arriver demain à Taïwan, à Singapour, en Chine continentale. Partout où l’on construit haut, dense, et parfois un peu trop vite.
Ce que ce drame nous dit de notre époque
Derrière l’histoire personnelle déchirante de Yip Ka-kui, il y a une réalité plus large. Celle de villes qui ont grandi trop vite, où des millions de personnes vivent les unes sur les autres dans des tours parfois vieillissantes. Où la sécurité incendie reste un sujet secondaire tant que « ça n’arrive pas ».
Ce survivant, avec son regret immense et ses larmes, nous renvoie à notre propre fragilité. À quel point tout peut basculer en un instant. À quel point on sous-estime parfois les risques du quotidien.
Et surtout, il nous rappelle une chose essentielle : dans une catastrophe, il n’y a pas de bonne décision universelle. Il n’y a que des choix impossibles, faits dans l’urgence, avec l’information qu’on a sur le moment.
Aujourd’hui, Yip Ka-kui vit seul. Il passe ses journées à regarder les ruines noircies de ce qui fut son immeuble. Il parle peu. Mais quand il parle, c’est pour dire qu’il aurait voulu partir avec elle, ou mourir avec elle. Juste pour ne pas avoir à vivre avec ce « et si » qui le dévore.
Et nous, on lit ça, on frissonne, et on se dit qu’on embrassera peut-être un peu plus fort ceux qu’on aime ce soir. Parce que parfois, un incendie, une seconde, un appel téléphonique, suffisent à tout changer.
(Article mis à jour le 2 décembre 2025 – plus de 3000 mots)
