Imaginez-vous réveillé en pleine nuit par une chaleur insoutenable et des cris qui déchirent l’air. Vous ouvrez les yeux et votre appartement est déjà une fournaise. C’est ce qu’ont vécu des centaines d’habitants d’un quartier populaire du nord de Hongkong cette semaine. Et le pire, c’est que cinq jours après, on continue à sortir des corps calcinés des décombres.
Le chiffre officiel, dimanche en fin d’après-midi, fait froid dans le dos : 146 morts confirmés. Et les autorités préviennent déjà que ce n’est probablement pas fini. On parle là de l’incendie d’immeuble le plus meurtrier dans le monde depuis plus de quarante ans. Autant dire que la ville entière retient son souffle.
Un sinistre qui révèle les failles d’une ville sous tension
Mercredi après-midi, tout a basculé en quelques minutes. Un feu se déclare dans un complexe résidentiel ancien, le genre de tours des années 60-70 qu’on rénove sans jamais vraiment vider. Huit immeubles se sont embrasés presque simultanément. La raison ? Ces fameux échafaudages en bambou qui entourent les façades pendant les travaux. Une tradition ancestrale à Hongkong, légère, rapide à monter… et terriblement inflammable quand on y ajoute des bâches en plastique et des produits de chantier.
Les images tournées par les habitants sont hallucinantes. On voit littéralement les flammes grimper d’étage en étage comme si elles escaladaient une échelle géante. En moins d’une heure, c’était une mer de feu, comme l’ont décrit les survivants. Les pompiers, pourtant réputés efficaces, se sont retrouvés dépassés par l’ampleur et la vitesse de propagation.
Pourquoi le bambou pose autant problème
On pourrait croire que c’est une pratique d’un autre temps, mais non. À Hongkong, le bambou reste roi sur les chantiers. C’est moins cher que l’acier, les ouvriers le maîtrisent parfaitement, et ça passe entre les buildings tellement serrés que les grues ne peuvent pas toujours accéder. Sauf que quand ça brûle… ça brûle vite et fort.
- Le bambou sèche devient aussi inflammable que de l’allumette
- Les bâches de protection font effet cheminée
- Les produits de soudure ou de peinture servent souvent de carburant
- Dans les vieux immeubles, les cages d’escalier étroites empêchent l’évacuation rapide
Résultat : des familles entières piégées aux étages supérieurs. Des scènes qu’on croyait réservées aux films catastrophes.
Un bilan humain qui dépasse l’entendement
146 morts, donc. Mais derrière ce chiffre, il y a des histoires qui vous collent à la peau. Des grand-mères qui appelaient leurs enfants au téléphone en pleurant parce qu’elles ne pouvaient plus respirer. Des adolescents qui sautaient par les fenêtres. Des pompiers qui racontent avoir retrouvé des familles entières carbonisées dans leurs lits – elles n’ont même pas eu le temps de se réveiller.
Et puis il y a les disparus. Des dizaines de personnes toujours portées manquantes. Avec l’effondrement partiel de certains immeubles, les recherches ressemblent à une mission archéologique dans un tombeau incandescent. Chaque jour apporte son lot de mauvaises nouvelles.
« On sort un corps, puis un autre, et on sait qu’il y en a encore dessous. C’est interminable. »
Un secouriste épuisé, au sixième jour des recherches
La réponse des autorités : un groupe de travail… et c’est tout
Onze personnes ont été arrêtées – ouvriers, responsables de chantier, propriétaires. On parle de négligences graves, de normes de sécurité bafouées. Mais quand les habitants demandent une véritable commission d’enquête indépendante, comme c’était la tradition avant 1997, on leur répond… par un groupe de travail interne. Autant dire que beaucoup y voient une façon d’étouffer l’affaire.
Pire : à Pékin, on a lancé une grande campagne nationale de « rectification » des risques incendie dans les immeubles de grande hauteur. Traduction : on va faire des inspections partout en Chine… sauf qu’à Hongkong, on dirait que le message principal est plutôt « ne parlez pas trop fort ».
L’histoire de Miles Kwan, ou comment demander justice peut vous valoir la prison
Et puis il y a ce jeune étudiant qui a osé. Miles Kwan, la vingtaine, se poste devant une gare avec des tracts. Son message est simple : on veut des responsabilités claires, une enquête indépendante, un relogement digne pour les sinistrés, et une révision des normes de construction. Rien de bien révolutionnaire, diriez-vous.
Sauf qu’en moins de 24 heures, sa pétition en ligne dépasse les 10 000 signatures. Et là, bim. Samedi soir, arrestation pour soupçons de sédition. La pétition disparaît comme par magie. Bienvenue dans le Hongkong de 2025.
Il avait pourtant prévenu, le jeune homme, avec une lucidité glaçante : « Si dire qu’on veut des comptes est déjà séditieux, alors je ne sais plus ce qu’on a encore le droit de dire. »
2020-2025 : cinq ans qui ont tout changé
Il faut se souvenir qu’en 2019, des millions de Hongkongais descendaient dans la rue pour défendre leurs libertés. En 2020, la loi sur la sécurité nationale a tout balayé. Depuis, le simple fait de demander « trop » de transparence peut vous valoir des années de prison. L’incendie a agi comme un révélateur brutal : la ville a changé de visage.
Aujourd’hui, organiser une pétition pour les victimes d’un drame aussi énorme peut être interprété comme une menace pour la sécurité nationale. C’est à ce point-là.
Et après ? Les questions qui dérangent
On peut se demander, et franchement je me le demande tous les jours depuis cette catastrophe : jusqu’où ira le silence imposé ? Combien de morts faudra-t-il pour que la sécurité des habitants passe avant le contrôle politique ?
Parce que derrière les échafaudages en bambou, derrière les normes jamais respectées, il y a aussi des années de course à la rentabilité, de corruption qu’on préfère ne pas voir, de travaux réalisés à l’arrache dans une ville où chaque mètre carré compte plus que la vie humaine parfois.
Ce drame n’est pas seulement un terrible accident. C’est le symptôme d’une ville qui étouffe, littéralement et figurativement. Et tant qu’on arrêtera ceux qui osent le dire à voix haute, rien ne changera vraiment.
146 vies parties en fumée. Et peut-être beaucoup plus dans les jours qui viennent. On leur doit au moins la vérité.
(Article mis à jour le 30 novembre 2025 – le bilan continue d’évoluer et les recherches se poursuivent dans des conditions toujours plus difficiles.)
