Vous êtes-vous déjà demandé jusqu’où une simple économie de bouts de chandelle pouvait mener ? À Hongkong, la réponse est terrifiante : 151 morts, peut-être plus, et une ville entière qui retient son souffle. Ce qui s’est passé la semaine dernière dans le complexe résidentiel de Wang Fuk Court dépasse l’entendement et rappelle, une fois de plus, que derrière les gratte-ciel rutilants se cachent parfois des négligences criminelles.
Je vais être franc : quand j’ai vu les premières images, j’ai eu la nausée. Des tours de quarante étages transformées en torches géantes, des familles entières piégées, des pompiers dépassés… Et puis les jours suivants, les révélations qui tombent, une à une, comme des coups de massue. On ne parle plus seulement d’accident. On parle de système.
Une catastrophe qui aurait pu être évitée
Reprenons depuis le début. Dans la nuit, un feu se déclare dans une des sept tours du quartier. Très vite, il devient clair que quelque chose cloche terriblement. Les flammes se propagent à une vitesse hallucinante d’un balcon à l’autre, d’un étage à l’autre. Pourquoi ? Parce que les filets de protection censés retenir les débris lors des travaux de rénovation étaient… inflammables. Et pas seulement inflammables : certains étaient carrément truqués.
Des entrepreneurs peu scrupuleux auraient mélangé des filets conformes et des filets bas de gamme, histoire de faire gonfler leurs marges. Résultat : quand le feu a pris, ces filets ont agi comme des mèches géantes, transformant la façade en véritable cheminée. Tragique ironie : ces équipements destinés à protéger ont accéléré la catastrophe.
« Les coupables ont tenté de mélanger des filets non conformes avec des filets conformes afin de tromper les organismes d’inspection. C’est diabolique. »
– Le chef de l’exécutif lors de sa conférence de presse
Diabolique, le mot est lâché. Et il résonne particulièrement quand on sait que ce genre de pratiques existe depuis des années dans certains chantiers de la ville, où la pression immobilière est folle et où tout le monde ferme parfois les yeux pour que les délais soient tenus.
Un « comité indépendant »… vraiment indépendant ?
Mardi matin, le grand patron de la région a annoncé la création d’un comité indépendant présidé par un juge pour faire toute la lumière. Objectif affiché : comprendre les causes, identifier les responsabilités et réformer en profondeur les normes de construction et d’entretien.
Sur le papier, c’est parfait. Dans les faits… beaucoup restent sceptiques. D’abord parce que le terme « comité indépendant » remplace sciemment celui, plus contraignant juridiquement, de « commission d’enquête » héritée du droit britannique. Subtile nuance ? Peut-être pas tant que ça.
Ensuite, parce que dans le même temps, l’organisme anticorruption et la police ont déjà arrêté 14 personnes, dont 13 pour homicide involontaire. Les coupables sont trouvés, semble-t-on dire. Pratique, non ? L’enquête indépendante risque de n’être qu’une formalité si les responsables sont déjà sous les verrous.
Quand demander des comptes devient suspect
Et puis il y a cette histoire qui donne froid dans le dos. Un étudiant de 24 ans lance une pétition en ligne. Rien de bien méchant : il demande transparence et responsabilité après la tragédie. En moins de 24 heures, plus de 10 000 signatures. La pétition disparaît. L’étudiant aussi – direction le commissariat.
Officiellement, on parle de « commentaires inexacts » et de « motivations inavouées » qui mettraient en danger la sécurité nationale. Vous avez bien lu. Demander pourquoi 151 personnes sont mortes devient potentiellement une menace pour la sécurité nationale.
D’autres voix critiques, dont un ancien conseiller de district, ont connu le même sort. Libérés sous caution, mais le message est clair : on parle, on risque gros.
« Certaines personnes cherchent à mettre en danger la sécurité de Hongkong et la sécurité nationale. Nous devons prendre les mesures appropriées. »
– Le responsable de la sécurité, sans rire
Entre nous, c’est glaçant. On passe d’une catastrophe humaine à une opération de communication où la vérité semble secondaire face au maintien de l’ordre.
Les défaillances accumulées d’un système à bout de souffle
Revenons aux causes techniques, parce qu’elles sont édifiantes.
- Filets de protection inflammables et parfois contrefaits
- Normes d’entretien des façades largement ignorées
- Surveillance des chantiers de rénovation défaillante
- Densité extrême des immeubles qui transforme tout incendie en fournaise
- Utilisation massive d’échafaudages en bambou, traditionnels mais dangereux en cas de feu
C’est une accumulation de petites économies, de contrôles bâclés, de priorités mal placées. Et à la fin, ce sont des vies qui partent en fumée.
J’ai discuté avec des habitants d’autres tours similaires. Beaucoup disent la même chose : « On savait que ça pouvait arriver. On le sentait. » Mais qui écoute quand le m² vaut de l’or et que les promoteurs font la loi ?
Un bilan qui pourrait encore s’alourdir
À l’heure où j’écris ces lignes, les recherches se poursuivent dans deux des sept tours sinistrées. Les autorités n’excluent pas de découvrir d’autres corps. Plus de 1 900 familles ont déjà demandé l’aide d’urgence, 2 400 personnes dorment encore dans des hébergements temporaires.
Dans les rues, l’ambiance est lourde. Des autels improvisés, des fleurs, des larmes. Les rites funéraires traditionnels ont commencé. La ville pleure ses morts, mais elle a aussi peur de ce qui va suivre.
Et maintenant ?
Les promesses de réformes pleuvent. Nouvelles normes, contrôles renforcés, sanctions plus sévères. On a déjà entendu ça ailleurs, et souvent ça finit aux oubliettes une fois l’émotion retombée.
Ce qui est sûr, c’est que cette tragédie marquera longtemps Hongkong. Elle révèle les failles d’un modèle urbain poussé à l’extrême, où la sécurité passe parfois après le profit. Elle montre aussi jusqu’où les autorités sont prêtes à aller pour contrôler le récit.
151 vies. Peut-être plus. Derrière ce chiffre, il y a des parents, des enfants, des grands-parents. Des histoires qui ne s’écriront jamais. Et une question qui reste en suspens : est-ce qu’on va enfin tirer les leçons, ou est-ce qu’on attendra la prochaine tour pour recommencer ?
Je ne sais pas vous, mais moi, j’espère que cette fois sera la bonne. Parce que franchement, il y a des erreurs qu’on ne devrait plus avoir le droit de commettre en 2025.
(Article mis à jour le 2 décembre 2025 – le bilan et les développements peuvent évoluer rapidement)
