Imaginez la scène. Vous regardez le tirage au sort tant attendu de la Coupe du monde 2026, cet événement censé faire vibrer des milliards de passionnés. Et là, au milieu des boules et des groupes, le patron de la plus grande instance du football mondial décide de transformer la soirée en cérémonie people. Un « prix pour la paix », rien que ça, décerné au président des États-Unis. Pas à un humanitaire, pas à un chef d’État ayant stoppé un conflit. Non, à Donald Trump. Et on vous explique que c’est au nom de tous les amoureux du ballon rond. Franchement, on a déjà vu plus crédible comme justification.
Quand le football devient un outil politique personnel
Ce n’est pas la première fois que la FIFA flirte avec la polémique, loin de là. Mais là, on atteint un niveau rarement vu. Remettre une distinction aussi symbolique que celle de la paix à une figure aussi clivante, c’est envoyer un message clair : les valeurs affichées sur les brochures ne pèsent plus grand-chose face aux intérêts personnels et aux amitiés influentes.
Le timing est d’ailleurs parfait – ou parfaitement cynique, selon le point de vue. Le Mondial 2026 se jouera en grande partie aux États-Unis. Un pays qui investit massivement, qui construit des stades géants, qui rêve de redevenir une place forte du soccer. Et qui, accessoirement, est dirigé par quelqu’un que le président de la FIFA semble apprécier particulièrement. Coïncidence ? Difficile à croire.
Un prix qui n’existe même pas officiellement
Petit détail qui a son importance : ce « prix pour la paix » n’apparaît nulle part dans les statuts ou les récompenses officielles de l’instance. Il a été créé pour l’occasion, semble-t-il. Un peu comme si je décidais demain de remettre le prix Nobel de littérature à mon voisin parce qu’il écrit bien ses posts Facebook. Ça ferait désordre, non ? Pourtant, c’est exactement ce qui s’est passé, sous les yeux du monde entier.
« Au nom des milliards d’amoureux du football dans le monde »… Vraiment ? Personne ne se souvient avoir été consulté.
Cette phrase, prononcée lors de la remise, résume tout. Elle prétend parler pour des milliards de personnes qui, pour beaucoup, ont découvert l’existence de cette récompense en même temps que son lauréat. C’est une prise de parole autoritaire, presque monarchique, qui n’a plus rien à voir avec la démocratie sportive qu’on nous vend habituellement.
La paix selon Trump : une définition… originale
On peut légitimement se demander ce que le récipiendaire a fait concrètement pour la paix ces dernières années. Des projets de « riviera » à Gaza ? Des déclarations musclées sur le Venezuela ? Une rhétorique qui divise plus qu’elle ne rassemble ? Difficile de voir le lien avec un prix censé récompenser des actions pacifistes. À moins de considérer que faire venir la Coupe du monde sur son sol soit, en soi, un acte de paix universelle. Là, on entre dans une logique parallèle.
Le football a toujours été politique, c’est vrai. Les Mondiaux en Argentine en 1978, en Russie en 2018 ou au Qatar en 2022 l’ont largement démontré. Mais là, on passe un cap : on ne cache même plus les motivations. On assume. On célèbre. On applaudit.
Infantino, l’homme qui n’a plus de limites
Depuis son arrivée à la tête de la FIFA, le dirigeant suisse collectionne les décisions controversées. Mondial tous les deux ans (projet abandonné sous la pression), Coupe du monde à 48 équipes, extension de la Coupe du monde des clubs, rapprochement avec l’Arabie saoudite… La liste est longue. À chaque fois, on nous promet que c’est « pour le bien du football ». À chaque fois, les soupçons de conflits d’intérêts planent.
- Projets pharaoniques validés sans vrai débat
- Calendrier international saturé au détriment des joueurs
- Partenariats financiers opaques
- Et maintenant, une décoration sur mesure pour un chef d’État
À force, on finit par se demander si le patron de la FIFA travaille encore pour le football ou s’il gère surtout son réseau personnel et son image auprès des puissants. La réponse semble de plus en plus évidente.
Et les supporters dans tout ça ?
On parle souvent « au nom des supporters ». Mais qui a demandé leur avis ? Certainement pas les millions de fans qui découvrent médusés cette remise de prix. Pas ceux qui économisent pendant des années pour suivre leur sélection. Pas ceux qui portent les valeurs d’universalité et de fair-play que le football est censé incarner.
J’ai discuté avec plusieurs passionnés ces derniers jours. La réaction est unanime : un mélange de colère et de lassitude. « On aime le foot pour s’évader, pas pour voir ce genre de cirque », m’a confié un abonné de longue date dans un stade de Ligue 1. Et il n’est pas seul.
Le précédent dangereux que cela crée
Demain, quel autre dirigeant controversé recevra une médaille made in FIFA ? Quel autocrate sera invité à la tribune d’honneur ? Quand on ouvre la porte à ce genre de pratiques, il devient très difficile de la refermer. Le sport roi risque de devenir un simple faire-valoir pour ceux qui détiennent le pouvoir politique ou financier.
Et pendant ce temps, les vrais problèmes restent en suspens : droits humains dans les pays organisateurs, conditions de travail sur les chantiers des stades, santé des joueurs épuisés par un calendrier infernal… Tout ça passe au second plan face au spectacle d’une amitié affichée entre deux hommes qui n’ont, a priori, pas grand-chose à voir avec les valeurs originelles du jeu.
Vers une nécessaire prise de conscience
Ce moment gênant pourrait, paradoxalement, être salutaire. Il met en lumière, de façon brutale, jusqu’où peut aller le détournement d’une institution censée appartenir à tout le monde. Peut-être que les fédérations nationales, les clubs, les joueurs et surtout les supporters vont enfin se mobiliser pour exiger plus de transparence et de respect.
Parce qu’en fin de compte, le football ne appartient ni à un président de fédération, ni à un chef d’État, ni même aux diffuseurs qui payent des milliards. Il appartient à ceux qui le font vivre tous les week-ends, dans les stades ou devant leur télévision. Et ceux-là méritent mieux que des shows politiques déguisés.
Le ballon rond a survécu à bien des scandales. Il survivra probablement à celui-ci. Mais à quel prix ? Et surtout, pour combien de temps encore avant que la coupe ne soit pleine ?
Le football reste magnifique. Les joueurs continuent de nous faire rêver, les matchs de nous faire vibrer. Mais tant que ses instances dirigeantes confondront pouvoir personnel et mission universelle, le doute subsistera. Hier, lors de ce tirage au sort, on nous a rappelé une chose essentielle : le beau jeu mérite mieux que ça.
