Imaginez une ville où, pendant des décennies, on a voté rouge presque par réflexe. Une commune où le Parti communiste a régné sans partage, où les portraits de Maurice Thorez ornaient encore certains salons. Et puis, un jour, tout bascule. Pas à cause d’une élection perdue ou d’un scandale financier, non. À cause d’une lettre. Une seule lettre écrite par une femme qui dit : « Assez. »
À Ivry-sur-Seine, en ce début d’hiver 2025, c’est exactement ce qui vient de se produire.
Quand le passé judiciaire rattrape la politique
Tout a commencé avec une condamnation. Un ancien militant communiste, figure connue dans les cercles locaux depuis des années, a été reconnu coupable de viol. Les faits sont anciens, la peine est tombée récemment. Et là, surprise : plusieurs élus de la majorité actuelle étaient présents au procès. Certains ont même témoigné… en faveur de l’accusé.
Quand la victime, que nous appellerons ici Mélissandre pour respecter son choix de médiatisation partielle, publie une lettre ouverte, c’est l’électrochoc. Elle nomme les élus. Elle raconte la sidération de la voir soutenue par des gens censés défendre les valeurs de gauche. Le texte circule, se partage, indigne. En quelques jours, trois élus démissionnent, un quatrième perd ses délégations. La majorité, déjà fragile, vacille sérieusement.
« C’est un crachat à la figure », écrit-elle. Et franchement, on peine à lui donner tort.
Une gauche qui se regarde dans le miroir et n’aime pas ce qu’elle voit
Ce qui frappe, c’est la vitesse à laquelle l’affaire a fissuré des décennies de solidarité supposée inébranlable. À Ivry, on ne parle pas seulement d’un drame personnel terrible. On parle d’une culture. D’un entre-soi qui, pendant trop longtemps, a peut-être fermé les yeux sur certains comportements sous prétexte que « c’était un camarade ».
Dans les cafés du centre-ville, on entend tout et son contraire. Il-il y a celles et ceux, souvent jeunes, qui estiment que la couleur politique n’excuse rien. Et puis il y a les anciens qui, sans défendre l’indéfendable, rappellent que l’intéressé n’exerce plus depuis longtemps et que « mélanger tout, c’est faire le jeu de la droite ».
Entre les deux, un silence gêné.
Les écologistes sortent les griffes… et les conditions
Dans ce chaos, un groupe a décidé de ne pas laisser passer l’occasion. Les Verts ivryens, minoritaires mais influents, ont publié un communiqué sans ambiguïté. Pour eux, toute la majorité est éclaboussée. Pas seulement les élus directement concernés.
Ils exigent maintenant des « engagements clairs et contraignants » avant toute discussion sur les municipales de 2026. Et ils ne plaisantent pas.
- Formation obligatoire de tous les élus et agents sur les violences sexuelles et sexistes
- Charte éthique renforcée avec exclusion immédiate en cas de soutien avéré à un agresseur condamné
- Commission indépendante pour traiter les signalements au sein de la majorité
- Transparence totale sur les liens passés entre élus actuels et personnes condamnées
- Engagement écrit à ne présenter aucun candidat ayant eu un comportement problématique avéré
Autant dire qu’on est loin du simple communiqué de soutien de principe.
« On ne peut plus faire comme avant », explique une élue écologiste que j’ai pu joindre. « Cette affaire est un révélateur. Soit on en tire les leçons et on change vraiment, soit on continue à se voiler la face et on perd toute crédibilité. »
2026, l’élection qui pourrait tout changer
À seize mois du scrutin, l’équation est simple : sans les Verts, la gauche ivryenne risque de perdre la mairie pour la première fois depuis 1925. Oui, vous avez bien lu : 1925. Un siècle de pouvoir ininterrompu.
Le maire actuel, issu du Parti communiste, se retrouve dans une position intenable. Accepter toutes les conditions des écologistes, c’est reconnaître publiquement que la maison était mal tenue. Les refuser, c’est prendre le risque d’une liste dissidente verte et d’une victoire possible de la droite ou du centre.
Entre les deux, il tente la position du funambule : condamnation ferme des faits, soutien à la victime, mais refus de « jeter en pâture » toute une histoire politique. Stratégie risquée.
Et les habitants dans tout ça ?
Sur le marché d’Ivry, samedi matin, les langues se délient. Une retraitée, carte PCF dans le porte-monnaie depuis 1968, soupire : « On a connu pire, on s’en remettra. » Une mère de famille d’une trentaine d’années, elle, n’en démord pas : « Moi je voterai plus jamais pour eux si rien ne change. C’est pas négociable. »
Entre honte, colère et envie de tourner la page, la ville semble suspendue à un fil.
Ce qui est sûr, c’est que le sujet des violences sexistes et sexuelles est désormais au cœur du débat politique local. Et ça, c’est peut-être la seule bonne nouvelle dans cette histoire douloureuse.
Une onde de choc qui dépasse largement Ivry
Ce qui se joue ici n’est pas qu’une querelle de clocher. C’est tout l’avenir de la gauche francilienne qui se joue en partie dans cette commune de 65 000 habitants. Quand un bastion historique comme Ivry vacille sur des questions de valeurs et d’éthique, le message est national.
Les féministes de gauche y voient une opportunité historique de nettoyer les écuries d’Augias. Les plus modérés craignent que la purge ne profite finalement qu’aux adversaires politiques.
Une chose est certaine : en mars 2026, Ivry-sur-Seine ne sera plus tout à fait la même.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Une majorité peut-elle survivre à un tel séisme sans se remettre profondément en question ? Les exigences des écologistes sont-elles légitimes ou excessives ? La gauche a-t-elle enfin compris que le combat féministe n’est pas négociable ?
Une chose est sûre : à Ivry, le rouge historique a pris une teinte bien plus sombre ces dernières semaines. Reste à savoir s’il parviendra à redevenir un étendard dont on peut être fier.
À suivre. De très près.
