Il y a des gens qui laissent une trace indélébile sans jamais chercher la lumière. Jean-Pierre Delachasse était de ceux-là. Mercredi soir, à 85 ans, ce passionné absolu s’est éteint chez lui, alors qu’il préparait encore la prochaine saison de spectacles. Producteur, président de club, dénicheur de talents… il a tout fait, et toujours avec cette énergie communicative qui faisait dire à ceux qui l’ont croisé : « C’était un mec extraordinaire. »
Je me souviens encore de la première fois où j’ai entendu parler de lui. C’était il y a une dizaine d’années, lors d’un concert à l’Escale de Melun. Quelqu’un dans la salle m’avait glissé : « Tu sais qui a ramené Sardou ici ? Delachasse. Et avant lui, Johnny, Cabrel, Clerc… » J’avais trouvé ça dingue qu’un seul homme puisse concentrer autant de légendes dans une ville de taille moyenne. Pourtant, c’était bien lui.
L’homme qui refusait la retraite
À une époque où tout le monde parle de « bien vieillir » et de « prendre du recul », Jean-Pierre Delachasse, lui, continuait. À 85 ans, il dirigeait encore Arago Productions, sa maison créée il y a des décennies, et programmait encore des têtes d’affiche à l’Espace Pierre Bachelet de Dammarie-les-Lys ou à l’Escale. Le Covid l’avait stoppé net, comme tout le monde, mais il avait repris de plus belle dès que possible. « Le public a besoin de rêve », répétait-il souvent.
Son secret ? Une passion qui ne s’éteint jamais. Pas de « j’arrête à 65 ans » chez lui. Tant qu’il pouvait marcher, téléphoner, négocier un cachet ou convaincre un artiste de venir jouer en Seine-et-Marne avant Paris, il était là. Et il tutoyait tout le monde, artistes compris. Une franchise désarmante qui faisait sourire même les plus grandes stars.
Des bals populaires aux plus grands noms de la chanson française
Tout a commencé par des bals, dans les années 60-70. À l’époque, il organisait des soirées dansantes dans la région. Puis il a senti le vent tourner : le public voulait des artistes, des vrais. Il a commencé petit, puis plus grand, puis énorme. Johnny Hallyday à Melun en 1975 ? C’est lui. Guy Bedos, Élie Kakou, Véronique Sanson, Francis Cabrel, Julien Clerc, Michel Sardou… La liste est interminable.
Ce qui impressionne, c’est qu’il n’était pas un géant parisien avec des millions derrière lui. Non, il bossait depuis Melun, avec une équipe restreinte et une détermination folle. Il a su profiter de l’ouverture de grandes salles dans l’agglomération – 700 places à l’Escale, 1670 à l’Espace Pierre Bachelet – pour attirer des spectacles de niveau national, parfois même des avant-premières.
« Je l’ai eu au téléphone ce week-end encore. Il était plein de projets. Son départ est brutal, c’est un ami de 53 ans qui s’en va. »
Un grand producteur national qui préfère rester anonyme
L’autre grande passion : le football
Mais réduire Jean-Pierre Delachasse au spectacle vivant serait une erreur. L’homme était aussi un monument du football seine-et-marnais. Président de l’US Melun de 1965 à 1987, il a pris un club qui végétait en division départementale et l’a propulsé, avec l’entraîneur Claude Dusseau, jusqu’en Division 2 en 1977. Oui, vous avez bien lu : un club amateur en deuxième division nationale à l’époque où cela voulait encore dire quelque chose.
Cette même année 1977 reste gravée dans les mémoires locales : les juniors en demi-finale de la Coupe Gambardella, les cadets en demi-finale du championnat de France. Pour un club de ville moyenne, c’était du jamais-vu.
- Président pendant 22 ans
- Montée historique en D2
- Découverte et accompagnement de jeunes talents
- Contribution décisive au transfert de Lilian Thuram vers Monaco au début des années 90
Car oui, il a aussi joué un rôle dans la carrière du futur champion du monde 1998. À Fontainebleau d’abord comme entraîneur, puis à Melun, il a repéré le jeune Lilian et a facilité son départ vers l’AS Monaco. Quand on vous dit que l’homme avait l’œil…
« À Melun, il a tout fait. C’était un homme-orchestre, partout à la fois. Très fin, avec un humour… On n’en fait plus des comme lui. »
Philippe Tettamanti, ancien entraîneur du FC Melun
Un caractère trempé et un tutoiement légendaire
Ceux qui l’ont connu parlent tous de la même chose : son franc-parler. Il tutoyait les maires, les artistes, les journalistes, les joueurs. Pas par manque de respect, au contraire. C’était sa façon d’être proche, direct, authentique. En réunion, il pouvait sortir une phrase cash qui faisait rire jaune ou rouge, mais toujours avec ce sourire en coin qui désamorçait tout.
Il détestait les faux-semblants et les réunions interminables. Quand il voulait quelque chose, il appelait directement. Quand il n’était pas d’accord, il le disait. Et pourtant, tout le monde l’aimait. Parce qu’on sentait la passion derrière chaque mot.
L’héritage d’un bâtisseur discret
Aujourd’hui, Melun et Dammarie-les-Lys pleurent un de leurs plus grands ambassadeurs. La ville de Melun a publié un message émouvant sur ses réseaux : l’homme a « largement contribué au rayonnement culturel » de la commune en y faisant venir des artistes de premier plan pendant des décennies.
Dans le monde du football local, c’est la même chose. Des générations de joueurs et d’éducateurs ont grandi avec son ombre bienveillante. Il a financé, conseillé, poussé, encouragé. Sans jamais demander de statue ou de rue à son nom – même si, franchement, ça ne serait pas volé.
Ce qui frappe, c’est qu’il n’a jamais choisi entre culture et sport. Pour lui, c’était la même chose : faire vibrer les gens. Que ce soit 20 000 personnes dans un stade ou 1 700 dans une salle, l’émotion était la même. Il voulait simplement que les Seine-et-Marnais aient accès au meilleur, sans avoir à prendre le RER pour Paris.
Et maintenant ?
Son décès laisse un vide immense. Arago Productions était une structure très personnelle, presque familiale. On ignore encore ce qui adviendra des spectacles programmés. Certains artistes risquent d’être annulés, d’autres peut-être repris par des collaborateurs de longue date. Mais une chose est sûre : son empreinte restera.
Dans quelques années, quand on parlera des grandes heures culturelles de Melun, on citera forcément son nom. Quand on évoquera l’âge d’or du football amateur en Seine-et-Marne, aussi. Parce qu’il a réussi l’impossible : être à la fois dans l’ombre et incontournable.
Jean-Pierre Delachasse n’est plus là. Mais quelque part, une salle va s’allumer ce soir, un projecteur va chauffer, un ballon va taper dans un filet, et on pensera à lui. À ce « mec extraordinaire » qui nous a fait rêver sur scène et sur le terrain.
Repose en paix, monsieur Delachasse. Et merci pour tout.
PS : Si vous avez une anecdote avec lui ? Un spectacle qu’il a produit et qui vous a marqué ? Un match du FC Melun dans les années 70-80 ? N’hésitez pas à partager en commentaire. Les souvenirs comme les siens méritent d’être transmis.
