Vous souvenez-vous de cette photo qui avait fait le tour du web en 2014 ? Un gamin au visage un peu trop mature, maillot de la Lazio sur les épaules, et soudain des milliers de voix qui crient à la supercherie. « Il a 42 ans, pas 17 ! » La blague a duré quelques jours pour certains, toute une vie pour lui. Joseph Minala, aujourd’hui 29 ans, porte encore cette cicatrice béante.
Franchement, quand j’ai relu son histoire récemment, j’ai eu la gorge serrée. Parce que derrière l’anecdote « drôle » se cache une vraie tragédie humaine, celle d’un adolescent talentueux broyé par la machine internet et par la lâcheté de ceux qui auraient dû le protéger.
2014 : quand une rumeur devient un lynchage
Tout commence au printemps 2014. Joseph, Camerounais, débarque à Rome après avoir brillé dans des tournois locaux. Le gamin impressionne immédiatement en Primavera, l’équipe des moins de 19 ans de la Lazio. Il domine, physiquement et techniquement. Trop, diront certains.
Un site sénégalais aujourd’hui disparu balance la bombe : Joseph Minala aurait 42 ans. Photos à l’appui, évidemment truquées. En quelques heures, c’est la déferlante. Les réseaux sociaux de l’époque – oui, déjà – s’emballent. On crée des mèmes, on le vieillit artificiellement, on invente des biographies absurdes. Le gamin devient un running gag mondial.
« Ils m’ont massacré, détruit, humilié. »
Joseph Minala, 2025
Ce qui choque le plus, c’est la violence. Pas seulement les blagues potaches, non. Il reçoit des menaces de mort. Des gens qui l’avaient pourtant aidé à arriver en Italie se retournent contre lui. Il est seul, à peine 17 ans, dans un pays étranger, sans vraiment maîtriser la langue, et le monde entier le traite de tricheur.
Les preuves qui n’ont servi à rien
La Lazio réagit vite. Passeport, acte de naissance, tout est en règle. La Fédération italienne ordonne des tests osseux – oui, ceux qu’on fait aux mineurs migrants pour vérifier leur âge. Résultat ? Les examens montrent même qu’il a… un an de moins que déclaré. 16 ans et des poussières.
Mais peu importe. La rumeur a déjà fait son œuvre. Les gens préfèrent la version conspirationniste. C’est plus drôle, plus croustillant. Et puis, avouons-le, un jeune Africain qui domine physiquement des gamins européens, ça dérange parfois. Le racisme ordinaire n’est jamais loin dans ce genre d’histoires.
Une carrière qui déraille pour une blague
Joseph fait quelques apparitions avec les pros. Un match de Coupe d’Italie, un banc en Serie A. On sent le potentiel. Mais l’étiquette colle à la peau. Les prêts s’enchaînent dans des clubs de troisième division. On le juge avant même qu’il touche le ballon.
- Salernitana (Serie B)
- Bari (Lega Pro)
- Latina, puis la Chine
- Lettonie
- Aujourd’hui Malte, à Marsaxlokk
À 29 ans, il joue dans ce qu’on appelle poliment un championnat exotique. Lui qui rêvait de Serie A et de sélection camerounaise se bat pour exister dans l’anonymat maltais. Le contraste est brutal.
D’où venait vraiment la rumeur ?
C’est là que ça devient glaçant. Joseph l’affirme aujourd’hui : la rumeur n’est pas partie de nulle part. Quelqu’un de son entourage proche, quelqu’un qui l’avait aidé à venir en Europe, aurait tout orchestré. Jalousie ? Règlement de comptes ? L’histoire ne le dit pas clairement, mais le joueur parle de trahison pure et simple.
« La rumeur a été lancée par quelqu’un qui tenait à moi auparavant, qui me suivait. »
Difficile de ne pas penser à tous ces agents véreux, ces intermédiaires qui gravitent autour des jeunes Africains prometteurs. Quand le gamin commence à percer vraiment, certains préfèrent le saboter plutôt que de perdre le contrôle.
Le silence assourdissant du monde du foot
Ce qui me met le plus en colère, personnellement, c’est le silence. Où étaient les grands défenseurs de la lutte contre le racisme dans le foot à ce moment-là ? Où étaient les campagnes « No to Racism » quand un gosse se faisait lyncher parce qu’il avait le malheur d’avoir un physique mature ?
La Lazio a fait son boulot, ok. La Fédération aussi. Mais les médias ? Les influenceurs ? Les supporters ? La plupart ont participé à la curée. Et quand la vérité a été établie, personne n’est venu s’excuser. Circulez, y’a rien à voir.
29 ans et toujours cette question
Aujourd’hui, Joseph Minala a 29 ans. Né le 24 août 1996. Tout est officiel, vérifié, archivé. Et pourtant, il le dit lui-même :
« J’ai 29 ans et je suis né le 24 août 1996 : pourquoi personne ne me croit ? »
Cette phrase résume tout. Onze ans après, il doit encore justifier son âge. Comme si le temps n’avait rien effacé. Comme si la blague était devenue vérité définitive.
Et si c’était votre frère ?
Mettons-nous deux secondes à sa place. Vous avez 17 ans, vous réalisez votre rêve, vous partez seul à l’autre bout du monde pour jouer au foot. Et d’un coup, parce que vous avez un visage un peu plus mature que la moyenne – chose courante chez certains jeunes Africains –, on vous traite de menteur, de fraudeur, on vous menace, on vous enterre vivant.
Combien auraient tenu ? Combien auraient simplement craqué et tout lâché ? Lui, il est toujours là. À Malte, certes, mais sur un terrain. À se battre. À attendre une dernière chance que, peut-être, il ne mérite même pas d’espérer.
Le football, ce monde sans mémoire
Le pire, c’est que le foot adore ses histoires de rédemption. On célèbre les gamins qui sortent de la misère, on pleure devant les documentaires sur les académies africaines. Mais quand un de ces gamins se fait massacrer par le système même qui prétend le sauver, tout le monde regarde ailleurs.
Joseph Minala n’aura probablement jamais le grand retour qu’il mérite. Peut-être un jour un club de Serie B lui donnera-t-il une chance, juste pour voir. Peut-être pas. Mais une chose est sûre : son histoire devrait nous faire réfléchir.
À chaque fois qu’on partage une rumeur sans vérifier. À chaque fois qu’on rit d’un mème sans penser à la personne derrière. À chaque fois qu’on laisse un gosse seul face à la meute.
Parce qu’au final, Joseph Minala n’a triché sur rien. Sauf peut-être sur un point : il a cru que le talent et le travail suffiraient.
Il y a des défaites plus cruelles que 4-0 au Camp Nou. Il y a des blessures qui ne se soignent pas avec la glace et les anti-inflammatoires. Joseph Minala en porte une, immense, depuis onze ans. Et nous, on continue de faire défiler notre écran.
Peut-être qu’un jour, quelqu’un lui tendra enfin la main. Pas par pitié. Juste par justice.
