Vous souvenez-vous de ces doudounes ultra-légères qui ont envahi les rues françaises il y a une dizaine d’années ? Celles qui se pliaient dans une petite pochette, disponibles en une explosion de couleurs, parfaites pour les hivers pas trop rudes. Elles portaient un nom simple, presque provocateur : JOTT, pour « Just Over The Top ». Aujourd’hui, cette marque qui incarnait un certain art de vivre décontracté du Sud fait face à une réalité bien plus sombre.
Je me baladais récemment dans Marseille, et en passant devant une boutique aux vitrines encore remplies de modèles flashy, j’ai appris la nouvelle. L’entreprise vient d’être placée en redressement judiciaire. Difficile de ne pas y voir un symbole des temps difficiles que traverse tout un pan de l’industrie de la mode en France.
Une success-story marseillaise en péril
Tout avait pourtant bien commencé. Fondée en 2010 dans la cité phocéenne, la marque s’est rapidement imposée avec un concept malin : des vestes matelassées fines, chaudes sans être encombrantes, et surtout hyper-colorées. À une époque où le noir et le gris dominaient les dressings hivernaux, proposer du rouge vif, du jaune soleil ou du turquoise méditerranéen, c’était osé. Et ça a marché.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, même s’ils datent un peu maintenant. Près de 200 personnes travaillaient pour faire vivre cette aventure. Le chiffre d’affaires tournait autour des 24 millions d’euros. Pas mal pour une entreprise née d’une idée simple, dans une ville souvent moquée pour son prétendu manque d’ambition entrepreneuriale. JOTT prouvait le contraire.
Mais voilà, le tribunal de commerce a constaté l’état de cessation de paiements. Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte, avec une période d’observation de six mois. Une audience est déjà prévue début février pour faire le point. Continuer l’activité ou basculer vers quelque chose de plus radical ? La question est posée.
Qu’est-ce que le redressement judiciaire, exactement ?
Pour ceux qui ne sont pas familiers avec ces termes, un petit rappel s’impose. Quand une entreprise ne peut plus payer ses dettes arrivées à échéance avec l’argent disponible, on parle de cessation de paiements. Le redressement judiciaire, c’est la tentative de sauvetage : on gèle les dettes, on nomme des administrateurs, et on essaie de redresser la barre.
C’est une procédure lourde, mais qui a sauvé bien des sociétés. L’objectif ? Présenter un plan de continuation ou trouver un repreneur tout en préservant un maximum d’emplois. Dans le cas présent, les salaires de novembre sont à jour, ce qui est déjà une bonne nouvelle pour les équipes.
Mais soyons honnêtes : quand on en arrive là, c’est rarement anodin. Derrière les chiffres, il y a des femmes et des hommes qui se posent des questions sur leur avenir. 183 salariés, ce n’est pas rien. Des familles entières qui dépendent de cette entreprise.
Le prêt-à-porter français dans la tourmente
JOTT n’est malheureusement pas un cas isolé. Le secteur de la mode traverse une crise profonde depuis plusieurs années. Et franchement, on pouvait s’y attendre. Entre l’explosion de la fast fashion venue d’Asie, la concurrence déloyale de certaines plateformes, et les changements d’habitudes des consommateurs, les marques traditionnelles trinquent sévèrement.
Prenez le temps de regarder autour de vous. Combien de pièces dans votre garde-robe viennent de géants du e-commerce qui proposent des prix défiant toute concurrence ? Des doudounes à 20 euros, livrées en quelques jours. Difficile de lutter quand on fabrique en Europe avec des normes sociales et environnementales plus strictes.
La fragilisation d’une marque française structurante face à des défis économiques réels illustre de façon aiguë les tensions qui traversent aujourd’hui le secteur de la mode.
D’après des représentants du syndicat régional de la mode
Cette phrase résonne particulièrement. Car JOTT, c’était plus qu’une marque de vêtements. C’était une success-story locale, un motif de fierté pour toute une région. Voir ça vaciller, ça fait mal.
Les causes profondes d’une crise structurelle
Mais creusons un peu. Pourquoi en est-on arrivé là ? Plusieurs facteurs se combinent, et aucun n’est vraiment nouveau.
- La concurrence asiatique ultra-agressive, avec des prix impossibles à aligner
- L’explosion de la seconde main, qui cannibalise les ventes de neuf
- Les changements climatiques : des hivers plus doux réduisent le besoin de grosses doudounes
- La saturation du marché : tout le monde a proposé des modèles similaires après le succès initial
- Les coûts de production qui flambent, entre matières premières et énergie
Et puis il y a cette fameuse mode « ultra-éphémère ». Des collections qui sortent toutes les semaines, à des prix ridicules. Comment rivaliser quand on mise sur la qualité et la durabilité ? C’est le grand paradoxe de notre époque : on parle beaucoup d’écologie, mais on consomme plus que jamais du jetable.
J’ai discuté avec des amis dans le milieu de la mode. Beaucoup disent la même chose : les marges sont devenues trop fines. Entre les loyers des boutiques en centre-ville, les charges sociales, et la nécessité d’investir dans le digital, c’est la quadrature du cercle.
Le cas particulier des marques premium accessibles
JOTT se positionnait dans cette catégorie un peu particulière : pas du luxe inaccessible, mais pas non plus de l’entrée de gamme. Des produits à 100-200 euros, censés durer plusieurs saisons. Le problème ? Les consommateurs ont changé.
Aujourd’hui, beaucoup préfèrent acheter trois vestes à 50 euros plutôt qu’une seule à 150. Même si au final, ça coûte plus cher et pollue davantage. C’est illogique, mais c’est la réalité du marché.
Et puis il y a eu la pandémie. Les habitudes ont changé. Moins de sorties, moins besoin de renouveler sa garde-robe. Les stocks se sont accumulés. Les soldes n’ont plus suffi à écouler les invendus.
Que peut-il se passer maintenant ?
La période d’observation va être cruciale. Plusieurs scénarios sont possibles.
- Un plan de continuation ambitieux, avec peut-être une restructuration
- La recherche d’un repreneur qui injecterait des capitaux frais
- Une réduction d’activité pour se concentrer sur le cœur de métier
- Dans le pire des cas, une liquidation si rien ne fonctionne
Mais il ne faut pas être trop pessimiste. Des marques sont déjà passées par là et s’en sont sorties. Parfois même plus fortes. L’important, c’est de s’adapter. Peut-être en misant davantage sur le digital, ou en développant des collections plus durables, ou encore en renforçant l’identité locale.
Parce qu’au fond, JOTT a des atouts indéniables. Une image forte, une clientèle fidèle, un savoir-faire reconnu. Ce serait dommage de voir tout ça disparaître.
Et les consommateurs dans tout ça ?
On parle beaucoup des entreprises, mais qu’en est-il de nous, acheteurs ? Avons-nous une responsabilité ? Personnellement, je pense que oui. Quand on choisit systématiquement le moins cher, sans se poser de questions sur les conditions de fabrication, on participe à ce système.
Peut-être que cette crise pourrait être l’occasion d’un électrochoc. De revenir à des achats plus réfléchis. De privilégier la qualité sur la quantité. De soutenir les marques qui essaient de faire les choses bien, même si ça coûte un peu plus cher.
Après tout, une belle doudoune qui dure cinq ans, c’est plus rentable qu’en changer tous les hivers. Et c’est meilleur pour la planète. Non ?
Le secteur de la mode face à ses contradictions
Le plus ironique dans tout ça, c’est que jamais on n’a autant parlé de mode durable, d’écologie, de production locale. Les discours sont là. Mais les actes ? Pas toujours au rendez-vous.
Les géants de la fast fashion continuent de prospérer, malgré les scandales environnementaux et sociaux. Pendant ce temps, les marques qui essaient de faire autrement peinent à survivre. Il y a quelque chose qui cloche dans cette équation.
Et ne me parlez pas des réglementations. On annonce des mesures, on parle de taxes, mais concrètement, peu de choses changent. Les plateformes continuent de vendre des produits à des prix défiant toute logique économique saine.
Des exemples récents qui font réfléchir
JOTT n’est pas la première, et ne sera probablement pas la dernière. Récemment, d’autres marques connues du prêt-à-porter ont traversé des tempêtes similaires. Certaines s’en sont sorties en trouvant des repreneurs, mais souvent au prix fort : des centaines d’emplois supprimés, des boutiques fermées.
C’est le visage caché de la crise. Derrière les vitrines élégantes, il y a des décisions douloureuses. Des plans sociaux. Des vies bouleversées.
Mais il y a aussi des histoires de résilience. Des entreprises qui se réinventent. Qui trouvent de nouveaux marchés. Qui misent sur l’innovation ou le retour aux sources.
Vers un renouveau possible ?
Et si cette crise était finalement une opportunité ? Pour repenser complètement le modèle. Pour créer une mode plus responsable, plus locale, plus qualitative.
Imaginez : des collections limitées, fabriquées en petites séries, avec des matériaux recyclés. Des pièces intemporelles plutôt que des tendances éphémères. Un retour à l’essence même du vêtement : protéger, durer, plaire.
Certains y arrivent déjà. Des petites marques indépendantes qui cartonnent en misant sur la transparence et la proximité. Peut-être que les grandes enseignes devraient s’en inspirer.
En attendant, l’histoire de JOTT nous rappelle une chose essentielle : rien n’est acquis. Même les plus belles réussites peuvent vaciller. Surtout dans un monde qui change à toute vitesse.
Alors la prochaine fois que vous achèterez une doudoune, posez-vous la question. Vaut-il mieux céder à l’appel du prix bas, ou soutenir ceux qui essaient de faire autrement ? La réponse n’est peut-être pas si évidente.
Au final, cette affaire dépasse largement le cas d’une seule marque. Elle nous parle de nos choix de consommation, de la mondialisation, de l’avenir de l’industrie française. Espérons que la période d’observation portera ses fruits et que l’on reverra bientôt ces touches de couleur dans nos rues. Parce que franchement, l’hiver est déjà assez gris comme ça.
