Il y a quelques semaines, en rangeant le grenier, je suis tombé sur une boîte oubliée. Dedans ? Mon vieux château Playmobil de 1989, presque intact. J’ai 38 ans, un crédit immobilier et deux enfants… et j’ai passé la soirée à remonter les remparts. Sans aucune honte. Et je ne suis clairement pas le seul.
Les kidultes : quand les grands refusent de grandir
On les appelle les kidultes : contraction de kid (enfant) et adult. Des adultes qui continuent – ou reprennent – de jouer, collectionner, construire. Et ils ne se cachent plus. Au contraire, ils assument totalement.
Ce n’est plus un petit phénomène de niche. C’est un vrai marché. Certaines enseignes spécialisées ont même ouvert ces derniers mois des espaces entièrement dédiés aux adultes, sans aucun rayon enfant à proximité. L’idée ? Éviter le regard amusé (ou jugeant) des parents qui accompagnent leurs petits, et proposer des produits haut de gamme, complexes, parfois très chers.
Mais d’où vient cette vague ?
Plusieurs raisons se croisent, et elles sont assez fascinantes.
D’abord, la nostalgie pure. La génération des années 80-90 arrive aujourd’hui à l’âge où elle a du pouvoir d’achat… et des souvenirs très précis de ses jouets préférés. On veut retrouver l’odeur du plastique neuf d’un paquet de Lego, le bruit des roues des petites voitures sur le carrelage, la fierté d’avoir enfin complété une collection de cartes Pokémon.
Ensuite, le contexte actuel joue énormément. Stress professionnel, charge mentale, actualités lourdes… Les jouets deviennent une bulle de réconfort. Construire un set Lego de 7000 pièces pendant trois semaines, c’est presque une thérapie. On débranche le cerveau, on entre en état de flow. Et ça fait un bien fou.
« C’est mon moment à moi. Quand je monte mes Lego le soir, je ne pense à rien d’autre. C’est mieux que Netflix. »
– Julien, 34 ans, ingénieur et collectionneur de sets Star Wars
Les chiffres qui ne mentent pas
Le phénomène est tel que les professionnels du jouet le mesurent très précisément.
- Plus de 40 % des acheteurs de sets Lego « Expert » ou « Icons » ont plus de 25 ans.
- Le marché des figurines de collection pour adultes (Funko Pop, Hot Toys, etc.) pèse plusieurs milliards d’euros.
- Certaines gammes Barbie « Signature » ou Playmobil vintage se vendent exclusivement à des collectionneurs adultes.
- Les sets Lego les plus complexes (Titanic, Colisée, Faucon Millenium) sont achetés à 80 % par des plus de 30 ans.
Et ce n’est pas prêt de s’arrêter. Les marques l’ont bien compris : un adulte qui craque pour un jouet à 400 €, c’est bien plus rentable qu’un enfant qui en veut un à 30 €.
Les différentes tribus de kidultes
Parce qu’il n’y a pas un seul profil. J’en distingue au moins quatre grandes familles.
1. Les reconstructeurs nostalgiques
Ils rachètent exactement ce qu’ils avaient enfants. Le château fort Playmobil 3268, la base lunaire Lego 6971… Parfois à prix d’or sur les sites d’occasion. Leur Graal ? Le trouver encore scellé.
2. Les collectionneurs esthètes
Ils exposent. Vitrines Ikea Detolf remplies de figurines Hot Toys à 300 € pièce, murs entiers de boîtes Lego encore fermées. Pour eux, c’est de la décoration d’intérieur comme une autre.
3. Les builders addicts
Ils ne collectionnent pas, ils construisent. Un set par mois minimum. Leur salon ressemble parfois à un atelier. Certains vont jusqu’à créer leurs propres modèles (MOC – My Own Creation) et les exposent dans des conventions.
4. Les investisseurs malins
Ils achètent certains sets en plusieurs exemplaires, les stockent, et les revendent cinq ans plus tard avec 300 % de plus-value quand la gamme est retirée du catalogue. Oui, ça existe vraiment.
Et les femmes dans tout ça ?
On parle beaucoup des hommes (Lego, figurines super-héros…), mais les femmes sont loin d’être absentes. Barbie haut de gamme, Sylvanian Families, poupées Pullip ou Blythe, Lego Friends revisités, sets botaniques ou architecture… Le marché féminin explose aussi.
D’ailleurs, certaines gammes autrefois considérées comme « pour filles » sont aujourd’hui plébiscitées par des trentenaires et quarantenaires qui veulent retrouver leurs jouets d’enfance sans complexe.
Les marques ont tout compris
Elles ne se contentent plus de ressortir d’anciennes références. Elles créent des gammes spécialement pensées pour nous :
- Sets Lego 18+ avec boîtes noires élégantes
- Figurines ultra-détaillées à plusieurs centaines d’euros
- Playmobil « vintage » en édition limitée
- Barbie « Looks » habillées par des grands couturiers
- Même Hasbro sort des répliques exactes des jouets années 80 pour collectionneurs
Et le marketing suit : plus d’enfants qui crient dans les pubs, mais des adultes concentrés, musique douce, ambiance atelier d’artiste. Le message est clair : ce n’est plus un jeu, c’est une passion légitime.
Un phénomène qui dépasse les jouets
Ce retour de l’enfance touche aussi les céréales du petit-déjeuner (celles avec des jouets dedans font un carton), les vêtements (t-shirts vintage Nintendo), les parcs d’attractions (les adultes sans enfants sont de plus en plus nombreux), et même le cinéma (remakes, suites, reboots…).
On assiste à une vraie régression joyeuse. Dans un monde compliqué, retrouver des plaisirs simples d’enfance devient un acte presque militant.
Et personnellement ? Je trouve ça plutôt sain. Tant que le loyer est payé et que les enfants mangent à leur faim, pourquoi se priver d’un peu de magie ?
Alors la prochaine fois que vous croiserez un adulte avec un carton Lego sous le bras, souriez-lui. Il est probablement plus heureux que vous ne l’imaginez.
Et vous ? Vous avez gardé vos jouets d’enfance ? Ou vous avez craqué récemment pour un set qui vous faisait envie ? Racontez-moi en commentaire, je suis curieux de savoir jusqu’où va cette passion chez vous…
