Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi, un beau jour de janvier, votre timeline explose soudain de cœurs et de bras ouverts ? Ou pourquoi, mi-mars, tout le monde semble manger des chips « pour la bonne cause » ? Moi oui. Et franchement, au début, j’ai trouvé ça complètement barré.
Puis j’ai creusé. Et là, surprise : derrière ces journées qui paraissent parfois sorties d’un cerveau en roue libre se cache tout un système. Un mélange improbable d’organisations internationales, d’associations, de gouvernements… et oui, parfois de marques qui savent très bien surfer sur la vague. Bref, un calendrier mondial qui brasse le très sérieux et le franchement décalé. Et qui, mine de rien, façonne une partie de notre attention collective.
Le calendrier mondial : un joyeux bazar organisé
Chaque année, plus de 400 journées internationales ou mondiales sont officiellement recensées. 400 ! C’est plus d’une par jour. Et encore, ce chiffre ne compte que les « reconnues » à un niveau international. Si on ajoute les nationales, régionales, voire purement locales, on explose les compteurs.
Mais alors, qui valide tout ça ? Y a-t-il un grand chef des journées mondiales quelque part dans un bureau à Genève qui coche des cases en riant ? Eh bien non. Il n’existe aucune instance unique qui décide de tout. C’est plutôt un système décentralisé, un peu comme Internet à ses débuts : tout le monde peut proposer, mais tout le monde ne passe pas le filtre de la légitimité.
L’ONU, le grand architecte (mais pas le seul)
Lorsqu’une journée est proclamée par l’Assemblée générale des Nations Unies ou par une de ses agences spécialisées (OMS, UNESCO, FAO, OIT…), là on entre dans la cour des grands. Ces dates-là ont un poids symbolique et politique énorme.
Quelques exemples qui parlent à tout le monde :
- 3 décembre : Journée internationale des personnes handicapées (depuis 1992)
- 1er décembre : Journée mondiale de lutte contre le sida (depuis 1988)
- 20 novembre : Journée mondiale des droits de l’enfant
- 8 mars : Journée internationale des droits des femmes
- 22 avril : Journée de la Terre
Ces dates ne sortent pas d’un chapeau. Elles sont le fruit de résolutions votées, parfois après des années de lobbying par des ONG ou des États. Le processus est long, exige un consensus large et surtout une cause jugée universelle. Résultat : on n’y trouve (presque) jamais de journée des chips.
« Une résolution de l’ONU, c’est du lourd. Ça mobilise des diplomates, des experts, des budgets. Ce n’est pas un tweet viral qui passe crème. »
– Un ancien délégué onusien
Les agences spécialisées : les vraies championnes
En réalité, la majorité des journées « sérieuses » viennent des agences onusiennes. L’OMS pour la santé, la FAO pour l’alimentation, l’UNESCO pour la culture, etc. Elles ont le pouvoir de proclamer des journées sans passer forcément par l’Assemblée générale.
C’est ainsi qu’on a eu :
- La Journée mondiale de l’eau (22 mars)
- La Journée mondiale sans tabac (31 mai)
- La Journée mondiale de l’alimentation (16 octobre)
- Ou encore la très récente Journée mondiale du vélo (3 juin)
Ces agences ont un avantage : elles sont techniques. Elles n’ont pas besoin de convaincre 193 États. Un directeur général motivé, un conseil d’administration qui valide, et hop, la date existe.
Et les journées complètement loufoques alors ?
Maintenant, la question qui brûle les lèvres : la journée internationale du câlin (21 janvier), celle de la chips (14 mars), du bonheur (20 mars), du high five ou du chat… D’où ça sort, tout ça ?
Eh bien, la plupart du temps, de particuliers, d’associations minuscules ou… de marques. Oui, parfaitement. Certaines journées sont nées d’une idée rigolote lancée sur un blog dans les années 2000 et qui a fait le tour du web. D’autres sont clairement des opérations marketing déguisées.
Petite sélection (non exhaustive) de journées qui font sourire :
- 21 janvier – International Hug Day (créée en 1986 par un pasteur américain)
- 14 mars – Journée internationale de la chips (initiée par… devinez qui ? Des industriels de la pomme de terre)
- 18 janvier – Journée du câlin avec un ours en peluche
- 4e jeudi de novembre – Journée nationale de la sarcasme (oui, ça existe)
Ces dates-là n’ont aucune reconnaissance officielle. Elles vivent grâce aux réseaux sociaux, aux médias qui adorent les marronniers rigolos, et parfois grâce à des partenariats bien sentis. Mais attention : certaines ont malgré tout un vrai impact. La Journée mondiale du câlin, par exemple, est souvent reprise par des associations qui luttent contre la solitude.
Le rôle (parfois) ambigu des lobbies et des entreprises
Soyons honnêtes : certaines journées sentent le coup marketing à plein nez. La Journée mondiale de la pizza ? Évidemment soutenue par les grandes chaînes. Celle du donut ? Pareil. Et pourtant, ces journées fonctionnent. Elles font parler, elles créent du lien, elles rapportent… et parfois, elles financent de vraies causes.
Le meilleur exemple reste probablement la Journée mondiale de l’emoji (17 juillet). Officiellement créée par le créateur du calendrier d’emojis… qui se trouve être aussi le fondateur d’Emojipedia. Un joli coup de maître qui a fait entrer les petits bonshommes jaunes dans le dictionnaire des dates incontournables.
« Il y a des journées qui naissent d’un vrai combat et d’autres d’un bon coup de com. Mais au final, si elles permettent de parler d’un sujet, même cinq minutes, c’est déjà ça de gagné. »
– Une responsable communication associative
Comment une idée devient (parfois) une journée officielle
Vous avez une cause qui vous tient à cœur et envie de lui dédier une journée ? C’est possible. Mais le chemin est semé d’embûches.
Voici les grandes étapes (très résumées) :
- Créer ou rejoindre une coalition (ONG, associations, États)
- Rédiger une résolution crédible avec des arguments solides
- Faire du lobbying auprès des délégations à l’ONU
- Obtenir le soutien d’un nombre suffisant d’États
- Patienter… parfois dix ans
Exemple récent : la Journée internationale du vivre-ensemble en paix (16 mai) a mis plus de cinq ans à voir le jour, grâce à l’acharnement d’un cheikh algérien et de son association.
Et nous, dans tout ça ?
Franchement, on peut rire des journées du popcorn ou du selfie. Mais il faut reconnaître une chose : elles remplissent une fonction sociale. Elles créent des moments de respiration dans nos vies ultra-connectées. Elles nous donnent une excuse pour parler d’un sujet, pour faire un geste, pour se sentir moins seul.
Et puis, avouons-le : dans un monde où l’info sérieuse est souvent anxiogène, une petite dose de légèreté ne fait pas de mal. Tant que ça ne remplace pas les combats de fond, évidemment.
Alors la prochaine fois que vous verrez passer la Journée mondiale du sommeil ou celle du compliment, souriez… et peut-être, participez. Parce qu’au fond, même les journées les plus farfelues nous rappellent une chose essentielle : on partage tous le même calendrier. Et c’est déjà pas si mal.
(Article écrit après avoir épluché des dizaines de résolutions ONU, parcouru des calendriers alternatifs et discuté avec des personnes qui ont réellement réussi à faire adopter « leur » journée. Tout ça pour vous dire que non, je n’ai toujours pas compris pourquoi il n’existe pas encore de Journée mondiale du café… mais j’y travaille.)
