Imaginez-vous pousser la lourde porte de l’Hôtel de la Marine, place de la Concorde, et tomber nez à nez avec un diadème ayant appartenu à la reine Victoria. Des émeraudes grosses comme des noisettes, des diamants qui captent la lumière comme des étoiles emprisonnées. C’est exactement ce qui m’est arrivé la semaine dernière. Et pourtant, quelque chose clochait : une sensation de vide, comme si on avait retiré le cœur d’un tableau de maître.
Cette exposition, baptisée Joyaux dynastiques, promettait d’être l’événement bijou de l’hiver parisien. Et franchement, elle l’est toujours. Mais elle porte aussi une cicatrice bien visible : trois pièces historiques qui devaient venir compléter le parcours ne sont pas là. Dont une qui a carrément été volée il y a à peine deux mois. Alors, l’expo est-elle amputée ou reste-t-elle exceptionnelle ? Je vous emmène dans les salons pour que vous jugiez par vous-même.
140 pièces qui font oublier presque tout le reste
Commençons par le positif, parce qu’il y en a énormément. La collection privée du cheikh Hamad bin Abdullah Al Thani n’a pas volé (c’est le cas de le dire) sa réputation. On parle ici d’une des plus belles assemblages de joyaux historiques au monde, prêtés pour la première fois en si grand nombre hors du Qatar.
Dès l’entrée, on est happé. Les salons restaurés de l’Hôtel de la Marine, avec leurs dorures et leurs parquets qui craquent doucement sous les pas, forment un écrin parfait. Les vitrines sont disposées comme dans un palais du XVIIIe siècle modernisé : lumières tamisées, reflets maîtrisés, rien ne vient distraire l’œil du bijou lui-même.
Et quels bijoux ! J’ai passé dix bonnes minutes devant le diadème en émeraudes et diamants de la reine Victoria. Les pierres sont si pures qu’on a l’impression qu’on pourrait plonger dedans. Un peu plus loin, une broche en forme de nœud réalisée pour l’impératrice Marie-Louise (la seconde épouse de Napoléon Ier) m’a littéralement coupé le souffle. Le travail du platine, la finesse des sertissages… on est dans une autre dimension.
Les pièces qui m’ont le plus marqué
- Le collier de chien en perles naturelles et diamants ayant appartenu à Marie-Antoinette – oui, celui-là même qui fait rêver tous les historiens
- Une tiare russe du début XXe siècle en diamants et platine, si légère qu’on dirait une dentelle de lumière
- Le fameux spinelle Timur, une pierre rouge de 361 carats gravée de noms d’empereurs moghols, simplement posé sur un coussin de velours noir – hypnotique
- Une paire de boucles d’oreilles en saphirs du Cachemire ayant appartenu à une maharani indienne, d’un bleu presque irréel
Et je pourrais continuer comme ça pendant des pages. Il y a même des pièces plus « modernes » – si on peut dire – comme un collier Art déco signé Cartier pour une princesse égyptienne dans les années 1920. Chaque salle est une nouvelle claque visuelle.
Le fantôme du diadème d’Eugénie
Maintenant, parlons du gros éléphant dans la pièce. Ou plutôt du diadème qui n’est pas dans la vitrine.
À l’origine, trois œuvres devaient être prêtées pour compléter parfaitement le parcours : le célèbre diadème de l’impératrice Eugénie (celui avec environ 2000 diamants et 212 perles), des boucles d’oreilles de l’impératrice Joséphine, et une broche de cette dernière. Ces pièces auraient créé un dialogue incroyable avec les joyaux indiens, russes et britanniques de la collection Al Thani.
Mais le 19 octobre dernier, des cambrioleurs ont réussi l’impensable : ils ont pénétré de nuit dans les réserves, ouvert la vitrine blindée du diadème d’Eugénie et sont repartis avec. Les deux autres pièces, bien qu’intactes, n’ont pas été autorisées à quitter le bâtiment par mesure de sécurité. Résultat : une vitrine vide au milieu de l’exposition, avec juste un petit carton explicatif.
« Le présent catalogue a été imprimé avant le vol… et comprend trois œuvres qui ne sont malheureusement pas présentées dans l’exposition. »
Encart glissé dans le catalogue officiel
Ce petit bout de papier m’a fait sourire jaune. Parce que soyons honnêtes : c’est un peu comme organiser un concert de musique classique et annoncer que le Stradivarius du soliste a été volé la veille. On peut comprendre la décision de sécurité, mais ça fait mal au cœur.
L’exposition reste-t-elle exceptionnelle malgré tout ?
Oui. Mille fois oui.
J’ai surpris plusieurs visiteurs autour de moi dire « Ah bon, il manque des pièces ? Je n’avais même pas remarqué ». C’est dire la richesse du reste. Les 140 bijoux présents sont tellement exceptionnels que l’absence de trois d’entre eux, aussi prestigieux soient-ils, ne gâche pas la fête. C’est un peu comme aller voir les joyaux de la Couronne à Londres et râler parce que le Koh-i-Noor n’est pas là ce jour-là – on a quand même de quoi être ébloui.
D’autant que l’accrochage a été repensé en catastrophe pour masquer le vide. La vitrine censée accueillir le diadème d’Eugénie présente maintenant un extraordinaire collier moghol du XVIIe siècle que j’ai trouvé encore plus impressionnant. Le hasard fait parfois bien les choses.
Infos pratiques pour ne rien rater
L’exposition est ouverte jusqu’au 8 juin 2026. Comptez environ 1h30 à 2h de visite si vous prenez le temps de tout regarder (et vous le prendrez, croyez-moi).
- Tarif plein : 18 € (mais réservez en ligne, c’est souvent complet)
- Audioguide inclus dans le billet – et il est excellent, avec des anecdotes savoureuses
- Le mercredi soir, nocturne jusqu’à 22h, l’ambiance est encore plus magique
- Le catalogue est magnifique mais cher (65 €), attendez la fin de l’expo pour les soldes
Petite astuce : arrivez dès l’ouverture à 10h ou en fin d’après-midi, il y a moins de monde et les lumières naturelles des grandes fenêtres font encore mieux ressortir les pierres.
Ce que cette expo nous dit de notre époque
Au-delà de la beauté pure, j’ai trouvé l’exposition étrangement actuelle. D’un côté, ces joyaux racontent des histoires de pouvoir, de mariages arrangés, de guerres et de fortunes colossales. De l’autre, le vol récent nous rappelle que même au XXIe siècle, avec toutes nos caméras et nos alarmes, certains trésors restent vulnérables.
Il y a quelque chose de fascinant dans cette cohabitation entre l’éternité des pierres précieuses et la fragilité des institutions qui les gardent. Comme si, finalement, rien n’était jamais totalement à l’abri – ni les empires, ni les musées, ni même les souvenirs qu’on croit immortels.
Je suis reparti avec des étoiles plein les yeux et une pointe de mélancolie. Parce que oui, l’exposition est sublime. Mais aussi parce qu’elle nous rappelle qu’on vit dans un monde où même un diadème ayant traversé deux siècles peut disparaître en une nuit.
Alors si vous hésitez encore, foncez. Même amputée, Joyaux dynastiques reste une des plus belles expositions que Paris ait proposées ces dernières années. Et qui sait – peut-être que le diadème d’Eugénie refera surface un jour. En attendant, il y a largement de quoi rêver avec ce qui reste.
Et vous, vous irez la voir ? Dites-moi en commentaire quelle pièce vous fait le plus envie !
