Vous êtes sur le tatami, le cœur qui cogne, la sueur qui colle déjà le kimono à la peau. Une minute de combat à peine et, d’un coup, tout s’arrête. L’arbitre lève la main, rouge, implacable. Disqualification. Pas pour une prise interdite classique, non. Pour une morsure. Oui, vous avez bien lu. C’est ce qui est arrivé à Léa Fontaine ce dimanche à Abou Dhabi, et franchement, on en reste encore bouche bée.
Dans le petit monde du judo français, on a l’habitude des émotions fortes, mais là, on touche un niveau rarement atteint. La scène est presque surréaliste : une athlète de 1 m 80, plus de 120 kg sur la balance, championne en titre du Grand Chelem mongol, qui se retrouve sortie du tournoi pour… avoir laissé des marques de dents sur la main de son adversaire. Vous imaginez la stupeur dans les gradins ?
Une disqualification qui tombe comme un coup de massue
Reprenons depuis le début. Grand Slam d’Abou Dhabi, catégorie +78 kg. Léa Fontaine entre sur le tapis avec le statut de favorite écrasante. Face à elle, l’Italienne Érica Simonetti, qui doit rendre facile une cinquantaine de kilos. Sur le papier, ça sent la formalité. En réalité, ça tourne au cauchemar en soixante petites secondes.
Le combat démarre calmement, comme souvent chez les lourdes : on se jauge, on cherche la prise. Puis ça bascule au sol. Fontaine travaille en ne-waza, tente d’immobiliser. Et là, l’Italienne se relève d’un bond, tend la main à l’arbitre. Des traces rouges, bien visibles. Des marques de dents. L’arbitre n’hésite pas une seconde : carton rouge direct, hansoku-make pour acte antisportif. Rideau.
« Ce n’était pas une morsure volontaire, son bras est venu s’écraser sur ma bouche ouverte, j’essayais juste de respirer »
Léa Fontaine, juste après le combat
La version de la Française est claire : accident. Une pression malheureuse, une main qui glisse, des dents qui marquent sans intention. Sauf que sur le moment, l’arbitrage ne veut rien savoir. Les images tournent en boucle, on zoome, on ralentit, on débat. Et plus on regarde, plus c’est gênant.
Que dit exactement le règlement ?
Dans le judo, mordre est évidemment interdit. L’article 18 du règlement de la Fédération internationale est formel : tout acte mettant en danger l’intégrité physique de l’adversaire peut valoir disqualification immédiate. On parle là des mêmes sanctions que pour un étranglement dangereux ou un armlock sur une articulation interdite.
- Morsure volontaire → hansoku-make direct, fin du combat
- Coup volontaire, coup de tête, doigt dans l’œil → même sanction
- Acte jugé « gravement antisportif » → exclusion du tournoi entier dans les cas extrêmes
Le hic ? La frontière entre volontaire et involontaire est parfois mince. Et l’arbitre, lui, doit trancher en quelques secondes. Ici, pas de VAR, pas de ralenti officiel sur le tapis. Juste l’œil humain et la main de l’adversaire qui parle d’elle-même.
Léa Fontaine, une championne sous le choc
À 26 ans, Léa Fontaine n’est pas n’importe qui. Médaillée européenne, vainqueure du Grand Chelem d’Oulan-Bator cet été, elle fait partie de ces athlètes que l’on voit déjà sur les podiums olympiques. Son physique impressionnant, sa technique affûtée au sol, son mental d’acier : tout laissait penser que 2025 serait son année.
Et là, paf. Une sortie par la petite porte, à des milliers de kilomètres de chez elle, dans un tournoi où elle venait chercher des points précieux pour la course à la qualification. On imagine sans peine la frustration. Les larmes contenues devant les caméras, le regard perdu. Ce genre de moment où tout le travail d’une saison peut sembler réduit à néant en un éclair.
Ces précédents qui font jaser
Ce n’est pas la première fois que le judo fait parler de lui pour des gestes… limites. On se souvient tous de l’affaire Teddy Riner en 2010, accusé (à tort) d’avoir donné un coup de genou volontaire. Ou plus récemment, certains combats où les doigts glissent un peu trop près des yeux.
Mais une morsure, même supposée involontaire, c’est autre chose. Ça renvoie à des images qu’on préférerait voir en MMA qu’en judo, sport fondé sur le respect et la maîtrise de soi. Forcément, les réseaux s’enflamment. Entre ceux qui crient au scandale et ceux qui parlent d’accident malheureux, le débat est lancé.
Et maintenant ? Les conséquences possibles
Première certitude : la disqualification est actée, pas d’appel possible sur le moment. Deuxième question : y aura-t-il une sanction supplémentaire ? La commission de discipline de la fédération internationale peut décider d’une suspension, même si dans les cas « involontaires », ça reste rare.
Ce qui est sûr, c’est que l’image de Léa Fontaine en prend un coup. Dans un sport où la propreté du geste est sacrée, ce genre d’épisode colle à la peau. On l’a vu avec d’autres athlètes par le passé : il faut ensuite des mois, parfois des années, pour faire oublier.
« Le judo, c’est la maîtrise de la force et des émotions. Un moment d’égarement, même involontaire, ça ne passe pas. »
Un ancien champion olympique
Le judo français dans tout ça
Difficile de ne pas penser à l’équipe de France dans son ensemble. À moins de deux ans des Jeux de Los Angeles 2028 (Paris 2024 semble déjà loin), chaque point compte. Chaque sortie prématurée fait mal au classement mondial. Et dans la catégorie reine des +78 kg, la concurrence est rude : Romane Dicko, Julia Tolofua, et maintenant Léa Fontaine qui doit se relever.
Du côté de la Fédération française, on reste prudent. Communiqué laconique, soutien à l’athlète, promesse d’analyse à froid. On connaît la chanson. Mais derrière les mots, il y a la réalité : une championne qui va devoir expliquer, encore et encore, que ce n’était pas voulu.
Une affaire qui dépasse le simple fait divers sportif
Ce qui est fascinant, c’est de voir comment un incident de quelques secondes peut révéler tant de choses. Sur la pression énorme qui pèse sur les athlètes de haut niveau. Sur la frontière parfois floue entre combativité et perte de contrôle. Sur l’image du judo, sport éducatif par excellence, quand il dérape.
Et puis il y a cette question qu’on n’ose pas trop poser : et si, dans le feu de l’action, la frontière entre « je lutte pour ma vie » et « je dépasse la ligne » était plus ténue qu’on ne le croit ? Le judo de compétition n’est plus tout à fait le judo du dojo du coin. Les enjeux ont changé. Les corps aussi.
Je me souviens d’avoir discuté avec un ancien international qui me disait : « Au sol, quand tu es en train d’étouffer, que l’autre te met 130 kg sur la cage thoracique, que tu n’as plus d’air, parfois ton corps réagit tout seul. » Est-ce que c’est ce qui s’est passé ? On ne le saura peut-être jamais vraiment.
Conclusion : un accident qui laisse des traces
Une chose est sûre : Léa Fontaine n’avait rien à gagner à mordre volontairement. Perdre un combat qu’elle dominait largement, s’exposer à une sanction, abîmer son image… ça n’a aucun sens tactique. Tout plaide pour l’accident bête, le geste réflexe dans un moment de panique.
Mais dans le sport de haut niveau, l’intention ne suffit parfois pas. L’image reste. Et aujourd’hui, celle de Léa Fontaine qui quitte le tatami tête basse, sous les flashes, est cruelle. Espérons juste que cette histoire, aussi dingue soit-elle, ne deviendra pas l’arbre qui cache la forêt d’une carrière prometteuse.
Parce qu’au fond, le judo reste un sport magnifique. Un sport de respect, de contrôle, de valeurs. Un sport où, parfois, la passion déborde. Et c’est peut-être aussi pour ça qu’on l’aime tant.
