Imaginez un peu : un club qui végétait en Ligue 2 il y a cinq ans, qui remporte la Coupe de France et frôle le top 6 de l’élite en misant sur… des tableurs et des algorithmes. C’est l’histoire folle du Toulouse FC version 2020-2025, et l’homme qui se cachait derrière tout ça vient de claquer la porte. Julien Demeaux, 44 ans, a annoncé son départ juste avant Noël. Et pour la première fois, il accepte de raconter les coulisses.
Ce n’est pas un énième directeur sportif qui part. C’est celui qui a fait entrer la data dans le football français comme personne avant lui. Celui qui a permis à des joueurs quasi inconnus de devenir des stars. Et surtout, celui qui pense que n’importe quel club, même le plus modeste, peut copier la recette.
Le départ d’un bâtisseur discret
Quand le téléphone sonne le matin du 28 mai dernier et que Damien Comolli annonce son départ, Julien Demeaux ne panique pas. Au contraire. Sa première réaction ? « Ok, maintenant on organise la suite pour que le club continue de grandir. » Pendant quelques semaines, il devient même l’homme fort du sportif à Toulouse. Et puis, petit à petit, il comprend que la nouvelle direction voit les choses autrement.
« Les propriétaires et la nouvelle équipe ne savaient pas trop comment m’utiliser. On est arrivés à une décision commune. »
Julien Demeaux
Aucun clash, aucune porte qui claque. Juste la sensation qu’il valait mieux partir en bons termes plutôt que de freiner, même involontairement, la nouvelle dynamique. « Le club est plus important que tout le monde », répète-t-il souvent. Et il le pense vraiment.
Ce qui frappe, c’est l’absence d’amertume. À 44 ans, l’ancien d’Airbus (oui, il a bossé dans l’aéronautique avant) parle de son aventure toulousaine comme d’un rêve devenu réalité. Un gamin de la région qui a pu aider son club. Ça pèse plus lourd que n’importe quel titre de champion.
Les trophées qui font chaud au cœur
Quand on lui demande ce qu’il retient en premier, il ne cite pas les modèles statistiques. Il parle émotion.
« La Coupe de France 2023, clairement. Et le titre de Ligue 2 avec 82 buts marqués. Parce que c’était dans l’ADN du projet : on voulait du spectacle, du foot offensif. »
82 buts en Ligue 2. Un record. Une équipe qui jouait, qui prenait des risques, qui marquait à tour de bras. Ce n’était pas un hasard. C’était écrit dans la stratégie dès le premier jour.
La data, arme fatale du recrutement
Revenons en 2020. Un fonds américain rachète le club. Ils cherchent quelqu’un capable de parler leur langage : celui des chiffres, des probabilités, du poker et de la bourse. Ils tombent sur Julien Demeaux. Le gars coche toutes les cases.
Son job ? Construire de A à Z le département data. Pas juste acheter un logiciel à la mode. Non. Créer des modèles sur mesure, une infrastructure complète, une nouvelle façon de voir le football.
- Rhys Healey : 10 buts sur deux saisons en League One → devient meilleur buteur de Ligue 2 puis carton en Ligue 1.
- Branco van den Boomen : jamais joué plus haut que la D2 néerlandaise → maestro absolu du milieu toulousain.
- Et tant d’autres qui ont explosé sous le maillot violet.
Des paris fous ? Oui. Mais des paris calculés. « On cherche des joueurs qui vont nous faire gagner des matches », explique-t-il simplement. Pas forcément les plus chers ou les plus connus. Ceux que les données identifient comme sous-cotés.
Et ça marche. Tellement bien que le club passe de la lutte pour le maintien en Ligue 2 à la victoire en Coupe de France en à peine trois ans.
« Tous les clubs peuvent être data-compatibles »
C’est la phrase qui revient en boucle dans l’entretien. Et il y croit dur comme fer.
« Il n’y a aucune limite à ce que la data peut créer comme valeur. Même pour un petit club. Ce n’est pas une question de budget, c’est une question de process et de discipline. »
Pour lui, trop de clubs voient la data comme un gadget. Une base de données achetée 50 000 € par an et puis basta. Lui parle d’une culture. D’une vision stratégique où chaque décision – recrutement, style de jeu, tactique – est étayée par des indicateurs objectifs.
Et ça ne coûte pas forcément une fortune. Il suffit d’être malin, d’avoir les bonnes personnes et de s’y tenir sur la durée.
Et maintenant ?
À peine parti, il reçoit déjà des appels. Des clubs de Ligue 1, de l’étranger, certains plus modestes. Tout le monde veut sa recette. Lui reste prudent mais enthousiaste.
« J’ai goûté à ça, je veux continuer. Il y a encore tellement à inventer… »
Supporter du TFC à vie ? Évidemment. Mais professionnel avant tout. « Ça ne m’empêchera pas de faire mon boulot si je signe ailleurs », sourit-il.
Ce qu’il faut retenir
Julien Demeaux n’a pas révolutionné le football français avec des millions. Il l’a fait avec des idées, de la rigueur et une conviction : les chiffres, quand on sait les lire, racontent une histoire que l’œil humain rate souvent.
Son message est clair : la data n’est plus réservée aux mastodontes. Elle est à portée de tous ceux qui veulent bien changer leur façon de penser.
Et quelque part, en quittant Toulouse sur la pointe des pieds, il laisse derrière lui bien plus qu’un palmarès. Il laisse un modèle. Une preuve que oui, même en France, on peut faire du football autrement.
La suite ? On risque d’en entendre parler encore longtemps. Parce que des gars comme lui, il n’y en a pas dix dans le foot français.
Et franchement ? Ça fait du bien de voir que le beau jeu peut aussi rimer avec intelligence.
