Il y a des affaires qui vous tombent dessus comme une évidence brutale. Vous pensez connaître le milieu universitaire, ses débats parfois enflammés, ses prises de position radicales… et puis boum, une publication Facebook d’un professeur d’histoire médiévale vous rappelle que la frontière entre critique politique et haine pure peut s’effacer en un clic.
C’est exactement ce qui vient d’arriver avec Julien Théry, enseignant-chercheur à l’Université Lumière Lyon 2. Suspendu à titre conservatoire début décembre 2025 après des mois de polémique. Et franchement, quand on regarde le contenu incriminé, on se dit que l’université a mis le temps.
Une suspension qui ne tombe pas du ciel
Reprenons depuis le début, calmement. En septembre dernier, l’historien publie sur son compte personnel une liste intitulée sans détour « 20 génocidaires à boycotter en toutes circonstances ». Vingt noms, vingt photos. Parmi eux, des animateurs télé, des acteurs, des intellectuels… une majorité de personnes de confession juive ou perçues comme telles.
Le timing n’est pas anodin : la veille, ces mêmes personnalités avaient cosigné une tribune demandant à la France de ne pas reconnaître l’État palestinien tant que les otages du 7 octobre ne seraient pas libérés et le Hamas démantelé. Pour Théry, c’était visiblement suffisant pour les assimiler à des criminels de guerre. Rien que ça.
« Génocidaires à boycotter en toutes circonstances »
Extrait de la formulation exacte utilisée par l’enseignant
Quand la liste ressort fin novembre, c’est l’embrasement. Associations, syndicats étudiants, responsables politiques de tous bords… tout le monde tombe des nues. Ou fait semblant. Parce que, soyons honnêtes, ce n’était pas la première fois que le professeur dérapait.
La caricature qui a fait déborder le vase
Quelques jours plus tard, un syndicat étudiant déterre une publication de janvier 2024. Un montage photo grossier, mais tellement parlant. On y voit des symboles classiques de la propagande antisémite des années 30 : nez crochu, étoiles jaunes détournées, mains avides sur le globe… le tout appliqué à la situation Israël/Palestine.
Cette fois, même les plus tolérants n’y retrouvent plus leurs petits. L’université, qui avait pourtant été alertée dès novembre via sa cellule de signalement, se retrouve dos au mur. Et annonce enfin la suspension conservatoire de l’enseignant, en attendant la saisine de la section disciplinaire.
Entre nous, on peut se demander pourquoi il a fallu attendre une deuxième vague de publications choquantes pour agir. La première liste n’était-elle pas déjà largement suffisante ?
Liberté académique ou permis de haïr ?
C’est là que ça devient intéressant – et inquiétant. Car dans les milieux universitaires, on brandit souvent la liberté académique comme un bouclier absolu. Critiquer Israël ? Légitime. Dénoncer une politique ? Évidemment. Mais quand la critique glisse vers la stigmatisation collective d’une communauté, où pose-t-on la limite ?
Ce qui frappe dans cette affaire, c’est la banalisation progressive. Un post Facebook par-ci, une story par-là, une petite caricature « pour rire »… Et puis un jour, on se retrouve avec un professeur qui dresse des listes de personnes à boycotter en raison de leur origine perçue. Ça vous rappelle quelque chose ? Moi oui. Et ça fait froid dans le dos.
- Une liste publique de personnes à ostraciser
- Des visuels reprenant les codes de la propagande des années 30
- Une assimilation systématique « juif = soutenant le génocide »
- Un silence institutionnel de plusieurs mois
Quand on met tout ça bout à bout, on obtient un cocktail explosif qui dépasse largement le simple « débat politique passionné ».
L’université face à ses contradictions
Lyon 2 n’est pas n’importe quelle fac. C’est un bastion historique de la gauche, voire de l’extrême gauche intellectuelle. Un endroit où l’on a toujours défendu ardemment la cause palestinienne – et c’est légitime. Mais justement, cette tradition rend la situation encore plus paradoxale.
Comment une université qui se veut progressiste, antiraciste, refuge des minorités, a-t-elle pu laisser un de ses enseignants tenir des propos aussi nauséabonds pendant des mois ? La réponse est peut-être dans la confusion entre antisionisme et antisémitisme – une confusion que certains entretiennent volontairement.
J’ai discuté avec des collègues d’autres universités. Beaucoup me disent la même chose en off : « On sait que ça existe, on voit les publications, mais on n’ose pas dénoncer de peur d’être accusé de censurer la liberté d’expression ou de trahir la cause palestinienne. » Résultat ? Un silence assourdissant qui laisse le champ libre aux dérives les plus graves.
Et maintenant ?
La suspension de Julien Théry est une première étape. Nécessaire, mais largement insuffisante. Car le problème est structurel. Combien d’autres enseignants, dans d’autres facs, tiennent exactement le même type de discours sans jamais être inquiétés ?
La section disciplinaire va être saisie. Elle peut aller jusqu’au licenciement. Mais au-delà de ce cas individuel, c’est tout le système de vigilance qui est à revoir. Les cellules de signalement, ça existe. Super. Mais quand elles mettent plusieurs mois à réagir face à des publications publiques et assumées… on est en droit de se poser des questions.
« La teneur des propos et du visuel n’est pas compatible avec les valeurs de la République et de l’Université »
Communiqué officiel de Lyon 2, décembre 2025
Cette phrase, on l’attendait depuis longtemps. Reste à savoir si elle sera suivie d’effets concrets et durables.
Ce que cette affaire nous dit de la société française
Parce qu’au fond, l’affaire Théry n’est pas qu’universitaire. Elle est le symptôme d’une montée de l’antisémitisme décomplexé, y compris – et c’est nouveau – dans des milieux qui se pensaient immunisés. Les intellectuels, les « progressistes », ceux qui dénoncent le racisme à longueur de journée… et qui parfois, dans le même souffle, reprennent sans sourciller les pires clichés.
On a vu la même mécanique à l’œuvre dans d’autres pays. En Angleterre avec certains syndicats universitaires. Aux États-Unis sur certains campus après le 7 octobre. La France n’est pas épargnée. Pire : elle cultive parfois un terreau particulièrement fertile, entre vieille tradition d’antisionisme radical et nouvelle culture du cancel via les réseaux.
Le plus terrifiant ? C’est que beaucoup de ceux qui tiennent ces discours se vivent comme des résistants. Des justiciers. Des « vrais antiracistes » face aux « sionistes qui monopolisent la parole ». L’inversion est totale. Et c’est précisément cette inversion qui rend le phénomène si difficile à combattre.
Vers un sursaut nécessaire
La suspension de Julien Théry peut – doit – être un électrochoc. Pas seulement pour Lyon 2, mais pour toute l’université française. Il est temps de rappeler quelques vérités simples :
- On peut critiquer la politique israélienne sans dresser des listes de Juifs à boycotter
- On peut défendre la cause palestinienne sans reprendre les codes de la propagande nazie
- On peut être de gauche sans tolérer l’antisémitisme dans ses rangs
- La liberté académique s’arrête où commence la haine
Tant qu’on n’aura pas le courage de dire ces évidences à voix haute, sans peur d’être accusé de « trahison », on laissera la porte grande ouverte aux pires dérives.
L’affaire Julien Théry n’est pas terminée. Elle ne fait que commencer. Et quelque part, c’est peut-être une bonne nouvelle. Parce que parfois, il faut toucher le fond pour remonter.
Espérons juste qu’on n’attendra pas la prochaine liste pour réagir.
