Imaginez-vous un matin, prêt à payer votre abonnement à la salle de sport, lorsque vous découvrez que votre compte bancaire est gelé. Non pas à cause d’une erreur bancaire, mais parce que votre pays vous a retiré votre nationalité du jour au lendemain. C’est l’histoire bouleversante de milliers de personnes au Koweït, où une vague de déchéances de nationalité secoue des vies entières. Ce phénomène, qui touche particulièrement les femmes et les binationaux, soulève des questions brûlantes sur l’identité, les droits humains et les ambitions politiques d’un État riche en pétrole.
Une Crise Identitaire au Cœur du Koweït
Depuis l’été 2024, le Koweït traverse une tempête sans précédent. Des dizaines de milliers de personnes, dont une majorité de femmes, ont vu leur citoyenneté révoquée dans le cadre de réformes impulsées par l’émir, cheikh Mechal al-Ahmad al-Sabah. Cette vague de décisions, qui s’inscrit dans un contexte de bouleversements politiques, redéfinit ce que signifie être Koweïtien dans un pays où seulement un tiers des cinq millions d’habitants sont des citoyens de naissance. Mais à quel prix ?
Des Vies Bouleversées par une Décision Administrative
Pour beaucoup, la nouvelle tombe comme un couperet. Une femme, que nous appellerons Sarah pour protéger son identité, raconte son désarroi : après plus de vingt ans en tant que citoyenne koweïtienne, elle découvre qu’elle n’a plus de nationalité. Naturalisée par mariage, elle se retrouve soudainement privée de droits fondamentaux, comme l’accès à son compte bancaire ou à sa retraite. « C’est comme si on m’avait effacée », confie-t-elle, la voix tremblante. Son histoire n’est pas unique : selon des données officielles, plus de 37 000 personnes, dont 26 000 femmes, ont perdu leur nationalité depuis août 2024.
Le droit à la nationalité est un droit humain fondamental. Le retirer sans préavis est une violation qui peut détruire des vies.
– Experte en droits humains
Ces révocations touchent principalement trois groupes : les femmes naturalisées par mariage, les binationaux (la double nationalité étant interdite au Koweït) et ceux accusés d’avoir obtenu leur citoyenneté de manière frauduleuse. Mais ce qui choque, c’est l’ampleur de la mesure. Comme le souligne un universitaire local, « ce volume de déchéances est du jamais-vu ». Pourquoi une telle décision, et pourquoi maintenant ?
Un Contexte Politique Explosif
Pour comprendre cette crise, il faut remonter à la fin de l’année 2023, lorsque l’émir Mechal al-Ahmad al-Sabah prend le pouvoir. Peu après, il dissout le Parlement et suspend partiellement la Constitution, marquant un tournant autoritaire dans ce pays connu pour être le seul du Golfe doté d’un Parlement élu au suffrage universel. Ces réformes s’accompagnent d’un discours nationaliste, où l’émir promet de « purifier » l’identité koweïtienne.
Selon des analystes, cette vague de déchéances pourrait viser à remodeler l’électorat koweïtien. Le pays a connu des années de paralysie politique, avec des tensions constantes entre le Parlement et la famille régnante. En réduisant le nombre de citoyens, les autorités pourraient chercher à créer un électorat plus restreint et plus facile à contrôler. « C’est une stratégie pour redessiner la nation », explique un expert en géopolitique du Golfe. Mais cette vision nationaliste, centrée sur les « Koweïtiens de souche », exclut de nombreux habitants qui ont contribué à la société.
Les Femmes au Cœur de la Tempête
Les femmes naturalisées par mariage sont particulièrement visées. Jusqu’à récemment, une loi permettait aux femmes étrangères mariées à des Koweïtiens d’obtenir la nationalité après plusieurs années. Depuis 1987, des dizaines de milliers de femmes ont bénéficié de cette mesure. Mais les nouvelles réformes ont aboli ce droit rétroactivement, laissant des milliers de mères et de grands-mères dans une situation d’apatridie. « Nous sommes les mères des enfants de ce pays », s’indigne une femme touchée par la mesure. « Pourquoi nous punir ? »
Ce ciblage des femmes soulève des questions sur la vision de la nation koweïtienne. Une chercheuse spécialisée dans les questions de genre note que ces réformes envoient un message clair : les femmes naturalisées ne sont pas considérées comme les « reproductrices idéales » de la nation. Cette marginalisation n’est pas nouvelle. Les Bidounes, une communauté d’apatrides estimée à 100 000 personnes, vivent déjà dans l’exclusion, privés de droits fondamentaux comme l’accès à l’éducation ou à la santé.
| Groupe affecté | Nombre estimé | Impact principal |
| Femmes naturalisées | 26 000+ | Perte d’accès aux services, apatridie |
| Binationaux | Non précisé | Retrait de la nationalité koweïtienne |
| Bidounes | 100 000 | Exclusion continue des droits |
Les Bidounes : Une Blessure Ouverte
Les Bidounes, littéralement « sans » en arabe, sont un symbole de l’exclusion au Koweït. Descendants de ceux qui n’ont pas obtenu la nationalité après l’indépendance en 1961, ils vivent dans un vide juridique, sans accès à la citoyenneté ni à ses avantages. La nouvelle vague de déchéances semble s’inspirer de cette marginalisation, mais à une échelle bien plus large. « Les Bidounes nous rappellent ce qui arrive quand on prive les gens de leur identité », note une experte en droits humains.
J’ai souvent pensé que la nationalité, c’est comme une ancre : elle vous rattache à un lieu, à des droits, à une communauté. Sans elle, vous dérivez. Pour les Bidounes, cette dérive dure depuis des décennies. Et maintenant, des milliers de personnes, qui croyaient avoir trouvé leur ancre, se retrouvent à nouveau à la dérive.
Être apatride, c’est comme être un fantôme. Vous existez, mais personne ne vous voit.
– Une femme touchée par la déchéance
Une Réaction Partagée
Si les autorités présentent ces réformes comme une lutte contre la fraude, elles suscitent un malaise croissant. Au départ, l’idée de « nettoyer » les registres de citoyenneté a été bien accueillie par certains, lassés par les scandales de corruption. Mais la réalité est plus complexe. « On met sur le même plan des femmes qui ont construit leur vie ici et des fraudeurs », déplore un retraité koweïtien, dont l’épouse a vu sa pension suspendue.
Les autorités ont tenté de rassurer en promettant que les femmes déchues conserveraient certains avantages sociaux, comme l’accès à la santé ou à l’éducation. Mais sans droits politiques, elles restent des citoyennes de seconde zone. Et pour beaucoup, les conséquences pratiques sont immédiates : comptes bancaires gelés, prêts bloqués, avenir incertain.
Un Nationalisme Redéfini ?
Derrière ces mesures, une question fondamentale se pose : qu’est-ce qu’être Koweïtien ? Pour les dirigeants actuels, la réponse semble liée à une vision étroite de l’identité, basée sur les liens de sang. Cette approche contraste avec l’histoire récente du pays. Après l’invasion irakienne de 1990, le Koweït avait élargi les droits de vote pour inclure les naturalisés de longue date, dans un élan d’unité nationale. Aujourd’hui, cette inclusivité semble révolue.
Un analyste régional résume ainsi la situation : « Les dirigeants veulent une nation plus homogène, mais ils risquent d’aliéner une partie de la population. » Cette quête d’homogénéité pourrait également avoir des visées électorales. Avec un électorat réduit, les crises politiques qui ont paralysé le pays pourraient être plus faciles à gérer. Mais à quel coût pour la cohésion sociale ?
Et Maintenant ?
La crise de la déchéance de nationalité au Koweït est loin d’être résolue. Pour les personnes touchées, comme Sarah, la bataille est à la fois personnelle et collective. Certaines envisagent des recours juridiques, mais dans un système où la Constitution est partiellement suspendue, les options sont limitées. D’autres espèrent une mobilisation internationale pour faire pression sur les autorités.
Ce qui frappe, c’est le silence relatif autour de cette crise. Dans un pays riche, où le pétrole coule à flots, on pourrait croire que les droits humains sont une priorité. Pourtant, l’histoire des Bidounes et des nouvelles déchéances raconte une autre réalité. Peut-être que cette vague de réformes forcera le Koweït à se regarder dans le miroir et à répondre à une question essentielle : quelle nation veut-il être ?
En attendant, des milliers de personnes vivent dans l’incertitude. Leurs histoires, comme celle de Sarah, rappellent que la nationalité n’est pas qu’un document. C’est une identité, une appartenance, un droit. Et quand on vous l’enlève, c’est comme si on vous arrachait une partie de vous-même.
Alors, que pensez-vous de cette crise ? Le Koweït peut-il concilier son nationalisme avec les droits de ses habitants ? La réponse, comme souvent, réside peut-être dans un équilibre délicat, mais essentiel.
