Imaginez-vous rentrer chez vous un soir d’hiver, allumer la lumière du salon et voir, encore une fois, cette grande auréole noire qui grimpe le long du mur. Vous savez, celle qui sent l’humidité et qui vous fait tousser depuis trois ans. Vous avez signalé le problème dix fois, on vous a promis des travaux « très bientôt ». Et puis, d’un seul coup, tout s’arrête. C’est exactement ce que vivent des centaines de familles au Kremlin-Bicêtre en ce moment.
Fin novembre, le conseil municipal a dit non à la fusion entre l’office HLM local – qui gère environ 2 000 logements dans la commune – et un bailleur beaucoup plus gros, bien implanté dans le département. Un « non » qui a fait l’effet d’un coup de frein brutal sur tous les projets de rénovation en cours ou prévus. Et franchement, on peut comprendre la colère des locataires.
Une décision qui tombe comme un couperet
Pour bien comprendre, il faut remonter un peu. L’office local, disons-le clairement, n’est plus vraiment en mesure de porter seul les lourds chantiers nécessaires. Les immeubles datent majoritairement des années 60-70, certains sont énergétiquement de vraies passoires, d’autres présentent des problèmes structurels ou d’humidité chronique. La fusion avec un acteur plus puissant devait permettre de mutualiser les moyens, d’accéder à des financements plus conséquents et surtout de lancer enfin les grandes réhabilitations.
Mais patatras. Lors du vote, une majorité d’élus a préféré garder la structure locale indépendante. Les arguments ? Préservation de la proximité, crainte de voir les décisions prises trop loin des habitants, peur aussi que le « petit » office soit purement et simplement absorbé et que la ville perde la main sur son patrimoine social.
« On nous parle de proximité, mais en attendant c’est nous qui vivons avec les champignons sur les murs. »
– Une mère de famille locataire depuis 12 ans
Des logements qui souffrent, des familles qui trinquent
Concrètement, ça veut dire quoi ? Que les travaux de ravalement, d’isolation thermique, de remplacement des menuiseries ou de traitement de l’humidité sont reportés sine die. Dans certains immeubles de l’avenue de Fontainebleau ou du quartier des Juilliottes, les habitants racontent la même histoire : infiltrations, moisissures, chauffage qui peine à monter au-dessus de 17 °C en plein hiver, factures énergétiques qui explosent.
J’ai discuté avec plusieurs d’entre eux ces derniers jours. L’un m’a montré les murs de la chambre de ses enfants : des taches noires qui montent jusqu’au plafond. Une autre m’explique qu’elle doit faire dormir son bébé dans le salon parce que la chambre est trop humide. Et tous disent la même chose : « On paie notre loyer, on respecte les règles, mais on n’a plus aucune perspective d’amélioration. »
- Immeubles construits principalement dans les années 60-70
- Problèmes récurrents d’humidité et de moisissures
- Isolation thermique largement dépassée
- Systèmes de chauffage vétustes
- Ascenseurs souvent en panne
- Balcons et parties communes dégradées
Pourquoi les élus ont dit non : les arguments qu’on entend
Du côté de la mairie, on met en avant plusieurs raisons. D’abord, la volonté de garder un outil 100 % local, avec des agents qui connaissent chaque immeuble, chaque cage d’escalier. Ensuite, la crainte – légitime ou pas – que le grand bailleur, une fois la fusion actée, ne privilégie ses propres priorités départementales au détriment des besoins spécifiques du Kremlin-Bicêtre.
Certains élus de l’opposition, eux, parlent d’une décision purement politique. Garder la main sur l’office HLM, c’est garder un levier important dans la gestion du parc social et, indirectement, sur une partie de l’électorat. C’est un peu brutal à dire comme ça, mais dans les couloirs municipaux, on ne se cache plus pour le penser.
Et puis il y a la question financière. Un office de petite taille a plus de mal à obtenir des subventions importantes ou à négocier avec les banques. La fusion aurait permis d’y voir plus clair et, surtout, de débloquer des enveloppes conséquentes. En restant seul, l’office local risque de végéter encore quelques années.
Et maintenant, on fait quoi ?
C’est la grande question que tout le monde se pose. Les locataires, bien sûr, mais aussi les agents de l’office qui se retrouvent dans une situation intenable : ils savent ce qu’il faudrait faire, ils ont même parfois les devis sous le coude, mais les crédits ne suivent plus.
Plusieurs pistes circulent en ce moment :
- Trouver un autre partenaire, peut-être plus modeste, pour une coopération plutôt qu’une fusion totale
- Mettre la pression sur l’État et la région pour obtenir des financements exceptionnels
- Lancer malgré tout des travaux en urgence sur les cas les plus graves (toitures, sécurité)
- Créer une société coopérative d’intérêt collectif avec les locataires eux-mêmes
Mais soyons honnêtes : aucune de ces solutions n’est simple, et aucune ne remplacera à court terme ce que la fusion aurait permis de faire rapidement.
Le logement social, un enjeu qui dépasse largement Kremlin-Bicêtre
Ce qui se passe ici n’est malheureusement pas isolé. Dans toute l’Île-de-France, des milliers de logements sociaux construits pendant les Trente Glorieuses arrivent en fin de vie technique. Les besoins de rénovation sont colossaux : on parle de plusieurs dizaines de milliards d’euros pour l’ensemble du parc francilien.
Et pendant ce temps, les listes d’attente pour un logement social s’allongent, les loyers du privé flambent, et les familles modestes se retrouvent coincées. Le rejet de cette fusion, aussi compréhensible soit-il sur le plan local, pose une question plus large : comment concilier la nécessaire rationalisation des moyens avec le besoin de proximité et de démocratie locale ?
Je ne prétends pas avoir la réponse. Mais ce qui est sûr, c’est que les premiers à payer le prix de ces atermoiements, ce sont toujours les mêmes : ceux qui n’ont pas les moyens de se loger ailleurs.
En attendant, dans les immeubles du Kremlin-Bicêtre, les auréoles continuent de grandir sur les murs. Et les familles, elles, continuent d’espérer. Peut-être qu’un jour, quelqu’un trouvera la solution qui réconciliera tout le monde. En attendant, l’hiver est là. Et il fait froid dans les appartements.
