Vous êtes-vous déjà retrouvé à slalomer entre les touristes sur le Vieux-Port, le cœur battant, en essayant de ne pas renverser une poussette tout en gardant votre équilibre ? Moi oui. Et apparemment, à La Rochelle, on n’est pas les seuls à avoir vécu ce grand moment de stress.
Depuis début décembre, la mairie a décidé de taper du poing sur le guidon : dans plusieurs quartiers du centre, il faut désormais mettre pied à terre à certaines heures. Vélo, trottinette électrique ou non, peu importe. Si vous roulez, c’est interdit. Point final.
Une mesure qui veut redonner l’espace aux piétons
La Rochelle n’a pas inventé l’eau chaude. Beaucoup de villes européennes ont déjà des zones où le vélo doit céder le passage. Mais ici, on sent que la décision arrive après des années de tensions accumulées. Le succès du vélo (la ville est souvent citée en exemple) a un revers : certains endroits deviennent de véritables autoroutes à deux roues en été.
L’objectif officiel ? « Une cohabitation apaisée » et « renforcer la priorité aux piétons ». Dit comme ça, ça sonne bien. En pratique, ça donne un arrêté avec des horaires à rallonge et des exceptions qui font tourner la tête.
Quelles zones et quels horaires exactement ?
Accrochez-vous, ça devient technique, mais je vais essayer de rendre ça clair.
- 24 h/24 toute l’année : rue du Port (sous la Grosse Horloge), certaines passerelles autour du bassin, rue des Merciers en partie.
- Mercris et samedis matin de 6 h à 14 h : tout autour du marché central et les grandes rues commerçantes très fréquentées.
- Samedis de 11 h à 23 h : quartiers Gabut, Saint-Nicolas, Saint-Jean-du-Pérot et autour de l’Hôtel de Ville.
- Et puis il y a des rues qui passent en 24/24 au milieu d’une zone « seulement le samedi »… Bref, même les locaux avouent perdre leur latin.
Pour aider, la ville a installé de grands panneaux verts aux entrées des zones. Impossible de les rater. Mais entre le vert flashy et la taille XXL.
Les habitants sont loin de parler d’une seule voix
En discutant dans les rues (sous la pluie, parce que décembre en Charente-Maritime, c’est rarement les tropiques), j’ai recueilli des avis très tranchés.
« Franchement, c’est du bon sens. L’été, on ne peut plus marcher sur les trottoirs, les vélos nous frôlent à 30 km/h. Là, au moins, on respire. »
– Martine, retraitée qui promenait son chien près du marché
À l’inverse, les actifs qui traversent la ville à vélo tous les jours grincent des dents.
« Je comprends pour le marché le samedi matin, ok. Mais obliger à descendre sous la Grosse Horloge à 7 h un mardi d’hiver quand il n’y a personne… C’est ridicule. On perd du temps, on use les semelles pour rien. »
– Pierre, 34 ans, employé dans une assurance
Les livreurs à trottinette électrique, eux, sont carrément furieux. L’un d’eux m’a confié qu’il allait « perdre 20 minutes par jour » et que ça allait se répercuter sur ses revenus. Pas sûr que la mairie ait pensé à eux.
Même les associations de cyclistes sont… divisées
On pourrait croire que les défenseurs du vélo allaient monter au créneau. Eh bien pas tous.
« On ne va pas se mentir, certains cyclistes se croient sur le Tour de France en plein centre-ville. Mettre pied à terre aux heures de pointe, c’est le minimum. Le vélo a explosé ici, il faut assumer les responsabilités qui vont avec. »
– Un responsable d’une grande association locale de promotion du vélo
Ce discours surprend. Il montre que même dans le camp des « pro-vélo », on reconnaît que la cohabitation a ses limites quand la densité augmente.
Et l’hiver alors ? Ça change quoi ?
C’est peut-être l’argument qui revient le plus : pourquoi appliquer des règles d’été… en hiver ?
En cette période, les rues sont désertes dès 18 h. Les touristes ont plié bagage. Les seuls qui roulent encore sont les Rochelais qui vont au travail ou font leurs courses. Imposer de descendre de vélo à 200 mètres du bureau, sous la pluie, ça a un côté un peu absurde, avouons-le.
La mairie répond qu’il valait mieux un règlement unique toute l’année plutôt que de changer les panneaux tous les six mois. Argument pratique, certes. Mais qui ne convainc pas tout le monde.
Comparaison avec d’autres villes : La Rochelle est-elle si sévère ?
Non, pas vraiment. Strasbourg, Bordeaux, Nantes ou même Paris ont des zones similaires, parfois plus strictes. À Copenhague ou Amsterdam, on descend aussi du vélo dans certaines rues très fréquentées. La différence ? Là-bas, les itinéraires alternatifs sont souvent mieux pensés.
À La Rochelle, certains cyclistes se plaignent qu’on les oblige à faire de grands détours ou à pousser le vélo sur de longues distances. Pas idéal quand on a 10 kg de courses dans le panier.
Et les contrôles ? Verbalisation ou pédagogie ?
Pour l’instant, la police municipale joue la carte de la prévention. Les agents expliquent, distribuent des flyers, sourient (si, si). L’amende existe pourtant : 35 € en cas de récidive. Mais personne n’a encore été verbalisé, à ma connaissance.
La vraie question, c’est jusqu’à quand cette tolérance va durer. L’été prochain, quand 500 vélos passeront sous la Grosse Horloge en une heure, la pédagogie risque de laisser place à la fermeté.
Ce que cette mesure dit de notre société
Au-delà des horaires et des panneaux, il y a un débat de fond. Le vélo est-il un mode de transport comme un autre, avec ses droits et ses devoirs, ou reste-t-il cet objet sympa auquel on pardonne tout ?
La Rochelle a choisi de traiter le vélo en adulte. Plus de passe-droit. C’est courageux. Ça peut aussi être contre-productif si les gens se disent « trop galère » et reprennent la voiture.
Personnellement, je trouve que la ville marche sur une corde raide. Elle veut garder son image de paradis du vélo tout en protégeant ses piétons. Deux objectifs louables… mais parfois contradictoires.
Et demain ?
La mairie promet une évaluation dans quelques mois. Selon l’affluence et les retours, certaines zones pourraient être assouplies, d’autres renforcées. Une concertation avec les associations est déjà prévue au printemps.
En attendant, si vous venez à La Rochelle, prévoyez des bonnes chaussures. Parce que marcher à côté de son vélo sous la pluie rochelaise, ça use les semelles… et parfois la patience.
Mais au fond, peut-être que c’est le prix à payer pour garder un centre-ville vivant, humain, où l’on peut encore flâner sans se faire frôler toutes les 30 secondes. Après tout, La Rochelle a toujours su trouver son équilibre. Espérons que cette fois encore, elle y arrivera.
Et vous, vous en pensez quoi ? Plutôt team « bon sens » ou team « laissez-nous rouler » ?
