Imaginez la scène un instant. Des adolescents de 13-14 ans, issus de tous les horizons, assis dans leur salle de classe habituelle. En face d’eux, pas leurs profs habituels, mais des figures que l’on voit d’ordinaire à la télé ou dans les livres d’histoire religieuse : un grand rabbin, un recteur de grande mosquée, un évêque orthodoxe, un pasteur protestant… Et tous sont venus parler d’une seule et même chose : la laïcité. Pas pour faire du prosélytisme, non. Juste pour expliquer, échanger, déconstruire les peurs. Franchement, quand on m’a raconté ça, j’ai d’abord cru à une blague. Et puis j’ai compris que c’était peut-être l’une des plus belles initiatives que j’aie vues ces dernières années.
Une rencontre historique pour les 120 ans de la loi de 1905
Le 9 décembre 2025, à l’occasion du 120ᵉ anniversaire de la loi concernant la séparation des Églises et de l’État, quelque chose de rarissime s’est produit dans un collège du 18ᵉ arrondissement de Paris, classé en réseau d’éducation prioritaire renforcé. Tous les principaux responsables religieux de France – ou presque – ont accepté l’invitation et se sont assis devant une classe de quatrième pour deux heures d’échange sans filtre.
Je dis « sans filtre » parce que, soyons honnêtes, dans le climat actuel, organiser ça relevait presque du défi. Entre les polémiques sur le voile, les amalgames post-attentats, les débats sans fin sur la neutralité, on aurait pu s’attendre à ce que ça parte en vrille. Eh bien non. Ce qui s’est passé était tout le contraire.
Pourquoi maintenant ? Le contexte n’est pas anodin
Depuis plusieurs années, la laïcité est devenue un sujet brûlant, parfois instrumentalisé, souvent mal compris. Les jeunes, baignés dans les réseaux sociaux, reçoivent des messages contradictoires : d’un côté on leur dit que la France hait les religions, de l’autre on leur parle de liberté religieuse absolue. Résultat ? Beaucoup de confusion, voire de défiance.
Face à ça, des acteurs de terrain – enseignants, associations, parfois institutions – cherchent des réponses concrètes. Faire venir les responsables religieux eux-mêmes pour expliquer ce qu’est vraiment la laïcité, de leur point de vue, mais en respectant le cadre républicain, c’est une idée à la fois audacieuse et terriblement logique. Et ça a marché.
« La laïcité, ce n’est pas l’interdiction de croire. C’est la garantie que l’État ne privilégie aucun culte et que chacun peut pratiquer sa foi en paix. »
– Un responsable religieux présent ce jour-là
Ce qui s’est vraiment passé dans la salle de classe
Les élèves ont posé des questions cash. Vraiment cash. « Pourquoi on n’a pas le droit de prier à l’école ? », « Est-ce que la France est islamophobe ? », « Pourquoi les juifs portent une kippa et pas les musulmans un voile ? ». Rien n’a été esquivé.
Le grand rabbin a répondu avec humour, en montrant une chanson africaine sur son téléphone pour parler de respect des femmes – oui, vous avez bien lu. L’imam a expliqué que la mosquée aussi respecte la loi de 1905 et qu’il n’y a pas de contradiction entre être musulman et français. L’évêque orthodoxe a raconté comment, dans son pays d’origine, l’Église était parfois trop proche du pouvoir et pourquoi la séparation française est une chance.
- Des adolescents qui écoutent, bouche bée, un rabbin parler de rappeur sénégalais musulman
- Un pasteur qui explique que la Bible dit aussi « rendez à César ce qui est à César »
- Une élève voilée qui pose une question… et reçoit une réponse claire, respectueuse, sans jugement
- Des applaudissements spontanés à la fin
À un moment, une collégienne a demandé : « Mais alors, pourquoi on a l’impression que tout le monde se déteste ? ». Silence dans la salle. Et puis une réponse collective : parce que ceux qui crient le plus fort ne représentent pas la majorité. Ce jour-là, la majorité silencieuse et bienveillante a pris la parole.
La laïcité n’est pas l’ennemie des religions, elle est leur bouclier
C’est peut-être le message le plus fort qui est ressorti de cette rencontre. Contrairement à ce que certains discours laissent entendre, la loi de 1905 n’a jamais été faite contre les croyants. Elle a été faite pour les protéger les uns des autres et de l’État lui-même.
Avant 1905, en France, l’Église catholique avait un pouvoir énorme. Les autres religions étaient tolérées… ou pas. Les protestants, les juifs, les musulmans d’Algérie, tout le monde était sous la coupe d’un système inégalitaire. La laïcité a mis tout le monde sur un pied d’égalité. Et ça, les responsables religieux présents l’ont rappelé avec force.
Je trouve ça assez génial, finalement : ceux que certains accusent de vouloir « islamiser » ou « judaïser » la France viennent expliquer aux enfants pourquoi ils défendent la loi laïque. Il y a quelque chose de profondément apaisant là-dedans.
Et les profs dans tout ça ?
Les enseignants, souvent en première ligne sur ces sujets, étaient là aussi. Certains avaient les larmes aux yeux. Parce que, tous les jours, ils doivent gérer des situations compliquées, expliquer des principes que même les adultes ne comprennent pas toujours. Voir les responsables religieux venir soutenir leur travail, c’était une forme de reconnaissance immense.
L’un d’eux m’a confié après coup : « On passe notre temps à dire que la laïcité n’est pas contre les religions. Là, ce ne sont plus nous qui le disons. Ce sont eux. »
Est-ce reproductible ailleurs ?
Évidemment, tout le monde se pose la question. Peut-on organiser ce genre de rencontre dans d’autres collèges, lycées, partout en France ? La réponse est oui… mais ça demande du courage. Du courage des chefs d’établissement, des équipes pédagogiques, et aussi des responsables religieux qui acceptent de sortir de leur zone de confort.
Il faudra aussi des garde-fous : pas de prosélytisme, respect strict du cadre laïque, présence d’animateurs neutres. Mais quand je vois le visage de ces adolescents à la fin de la rencontre – curieux, apaisés, presque fiers –, je me dis que ça vaut largement le coup.
Ce que cette journée nous dit de la France d’aujourd’hui
On nous répète souvent que le pays est fracturé, que le « vivre-ensemble » n’est qu’un slogan vide. Cette rencontre montre le contraire. Quand on prend le temps d’expliquer, d’écouter, de respecter, les barrières tombent. Même chez les plus jeunes, même dans les quartiers dits « sensibles ».
La laïcité à la française, avec ses défauts, ses excès parfois, reste un trésor. Elle est perfectible, bien sûr. Mais elle fonctionne. Et quand les premiers concernés – les croyants eux-mêmes – viennent l’expliquer à la nouvelle génération, c’est peut-être le plus beau cadeau qu’on pouvait faire à la République pour ses 120 ans.
Personnellement, je suis sorti de là avec une conviction renforcée : tant qu’on continuera à parler, à se parler vraiment, sans caricature ni haine, on s’en sortira. Et cette classe de quatrième, quelque part porte de Clignancourt, en a donné une preuve éclatante.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Avez-vous déjà vu ou vécu des moments comme celui-ci dans vos établissements, vos quartiers ? La laïcité vous semble-t-elle mieux comprise par les jeunes aujourd’hui ? Partagez votre expérience en commentaire, ça m’intéresse vraiment.
