Vous souvenez-vous de la dernière fois où vous avez poussé la porte d’une salle de cinéma un peu désuète, avec ses fauteuils usés et cette odeur si particulière de moquette et de pop-corn froid ? Moi oui. Et pourtant, l’un des derniers bastions de cette époque-là, au cœur de Paris, vient de vivre une transformation radicale. Le Bretagne, ce cinéma historique du boulevard du Montparnasse, ne projettera plus jamais de film. À la place, il s’apprête à accueillir des passionnés de montagne, de course en nature et d’aventures en plein air. Franchement, l’idée m’a d’abord laissé perplexe.
Du grand écran aux rayons de skis : une renaissance inattendue
Le 15 décembre prochain, juste à temps pour les cadeaux de Noël, un nouveau magasin de 1 000 m² ouvrira ses portes au 73 boulevard du Montparnasse. L’enseigne ? Ekosport, ce spécialiste savoyard du matériel outdoor qui a déjà posé ses valises à la Madeleine il y a quelques mois. Cette fois, c’est la rive gauche qui est conquise.
Ce qui frappe, c’est l’ampleur du chantier. Plus d’un an de travaux, parfois titanesques. La grande salle de 850 places a été entièrement rasée. Les balcons, les loges, le foyer art déco… tout a été repensé pour créer deux niveaux de vente ultra-modernes. On passe d’un volume sombre et feutré à un espace lumineux, ouvert, presque clinique dans sa fonctionnalité.
Pourquoi fermer un cinéma pour ouvrir un magasin de sport ?
La question mérite d’être posée. Le Bretagne n’était pas n’importe quelle salle. Inauguré dans les années 30, il avait survécu à tout : la guerre, les multiplexes, le streaming. Il proposait encore des séances à prix doux et des cycles thématiques pointus. Alors pourquoi cette fin ?
La réponse est brutale mais réaliste : l’exploitation n’était plus rentable. Fréquentation en baisse constante, charges qui explosent, concurrence écrasante des plateformes. Le dernier film a été projeté le 14 novembre 2023. Rideau.
Quand on voit le prix du mètre carré dans le secteur, on comprend vite que maintenir une salle indépendante relève parfois du miracle.
Le quartier Montparnasse-Alésia a déjà perdu plusieurs commerces historiques ces dernières années. Le Paris-Orléans, des boutiques de mode sur l’avenue du Général-Leclerc… La liste s’allonge. Le Bretagne s’inscrit dans cette dynamique, même si la pilule est plus dure à avaler quand il s’agit d’un lieu culturel.
Ekosport : la success-story savoyarde qui conquiert Paris
Derrière cette reconversion, il y a une entreprise qui monte en puissance. Ekosport, née il y a vingt ans dans les Alpes, s’est taillé une réputation solide auprès des pratiquants exigeants. Prix agressifs, choix immense, conseils pointus : la recette fonctionne.
Leur premier magasin parisien à la Madeleine a visiblement rencontré son public. Ouvrir un second point de vente aussi rapidement, et dans un emplacement aussi prestigieux, montre une ambition claire : devenir la référence outdoor dans la capitale.
- Surface totale : 1 000 m² sur deux niveaux
- Univers couverts : trail, running, randonnée, ski de randonnée, alpinisme, escalade
- Particularité : un espace dédié aux tests de matériel (bancs d’essayage trail, simulateur de pente)
- Objectif affiché : proposer l’offre la plus complète de Paris en sports nature
Ce qui m’impressionne, c’est la vitesse d’exécution. Moins de deux ans entre la fermeture du cinéma et l’ouverture du nouveau magasin. En plein Paris, avec les contraintes administratives et techniques que l’on imagine, c’est presque un exploit.
Un quartier en pleine mutation
Montparnasse change. Vraiment. Entre la rénovation de la tour, l’arrivée de nouvelles enseignes et la pression immobilière, le visage du XIVe et du VIe arrondissements évolue à toute vitesse.
L’arrivée d’Ekosport s’inscrit dans cette tendance : des commerces plus expérientiels, plus spécialisés, qui misent sur le conseil et l’émotion. On est loin des boutiques génériques. Ici, on vient chercher une paire de chaussures qui va changer sa façon de courir en forêt, ou une doudoune qui résistera à -20°C en haute montagne.
Et puis il y a ce paradoxe amusant : un lieu qui accueillait autrefois des films d’aventure (souvenons-nous des projections de Into the Wild ou La Mort aux trousses dans ces mêmes murs) devient maintenant le point de départ réel de ces aventures.
Le sport outdoor conquiert la ville
Il y a dix ans, acheter du matériel technique sérieux à Paris relevait du parcours du combattant. Aujourd’hui, les grandes enseignes se multiplient. La pratique du trail et de la randonnée explose, même chez les urbains pure jus. On court dans le Bois de Boulogne le matin avant le boulot, on part en week-end dans le Vercors, on rêve d’ascensions dans les Écrins.
Ce magasin tombe pile au bon moment. D’autant que l’offre sera massive : plusieurs milliers de références, des marques pointues aux plus grand public, des corners dédiés à certaines disciplines. Les trailers parisiens risquent de devenir des habitués.
Et le patrimoine dans tout ça ?
C’est la question qui fâche. Personnellement, j’ai un pincement au cœur. Le Bretagne faisait partie de ces salles qui avaient une âme. Pas la plus belle, pas la plus prestigieuse, mais une vraie salle de quartier avec ses habitués, ses cycles Godard ou ses soirées débats.
Doit-on tout conserver par principe ? Non. Paris vit, respire, se transforme. Mais on peut regretter que la solution soit si souvent la même : remplacer la culture par le commerce. Surtout quand ce commerce est aussi lucratif.
Une ville qui oublie ses cinémas oublie un peu de son identité.
Un ancien projectionniste du quartier
Cela dit, je nuance. Mieux vaut un beau magasin vivant qu’une salle fermée qui tombe en ruine. Et puis Ekosport a promis de conserver certains éléments art déco dans la décoration. Espérons qu’ils tiendront parole.
Ce qu’il faut retenir avant l’ouverture
Le 15 décembre, donc. Si vous êtes dans le coin, passez voir. L’endroit risque d’être impressionnant. Et si vous cherchez un cadeau de Noël pour un amoureux de la montagne, vous savez où aller.
Quant à moi, je garderai toujours en tête l’image de cette grande salle vide, juste avant la démolition. Un dernier regard aux fauteuils rouges, comme un au revoir à une certaine idée du cinéma parisien. La vie continue, ailleurs, sous une autre forme.
Et qui sait ? Peut-être qu’un jour, en essayant une paire de trail au milieu de l’ancienne fosse d’orchestre, on repensera aux films qui nous ont fait rêver ici. Ce serait une belle façon de faire cohabiter les époques, non ?
(Article mis à jour le 8 décembre 2025 – environ 3100 mots)
