Imaginez-vous dans une ville où, pendant des décennies, la voiture a régné en maître, où chaque trajet était une bulle isolée, séparant les riches des modestes, les locaux des expatriés. À Ryad, cette réalité change. Depuis décembre, un métro flambant neuf sillonne la capitale saoudienne, transportant bien plus que des passagers : il porte l’espoir d’une société plus unie. Ce n’est pas qu’une question de rails et de wagons ; c’est une petite révolution sociale qui s’opère, discrète mais puissante. Comment un simple métro peut-il bousculer des traditions ancrées et rapprocher des mondes qui s’ignoraient ? Plongeons dans cette transformation.
Un Métro Qui Redessine Ryad
Dans une métropole de huit millions d’âmes, où plus de deux millions de voitures encombrent les routes, l’arrivée du métro est un événement. Lancé après dix ans de travaux, ce réseau ambitieux de six lignes, s’étendant sur 176 kilomètres avec 85 stations, se classe parmi les plus grands du monde arabe. Mais au-delà des chiffres, c’est l’impact humain qui frappe. Pour la première fois, des Saoudiens de tous horizons – des ouvriers sud-asiatiques aux cadres en costume – partagent le même espace, le même trajet.
J’ai toujours trouvé fascinant comment une infrastructure peut changer la façon dont une société se perçoit. À Ryad, le métro n’est pas juste un moyen de transport ; c’est un miroir des évolutions en cours dans un pays connu pour ses clivages sociaux. La question se pose : ce réseau peut-il vraiment briser les barrières ?
Un Voyage Au-Delà des Embouteillages
Pour comprendre l’ampleur du changement, il faut d’abord saisir le quotidien des habitants de Ryad avant le métro. Les embouteillages étaient une plaie. Un trajet domicile-travail pouvait facilement avaler une heure et demie, voire plus, laissant les conducteurs épuisés avant même d’arriver au bureau. Avec le métro, tout change. Un ticket à 4 rials (environ 1 euro) valable deux heures offre une alternative rapide et économique, même dans un pays où l’essence coûte moins cher qu’un sandwich.
Avant, je passais des heures dans ma voiture, stressé, à klaxonner dans les bouchons. Aujourd’hui, je prends le métro, je lis, je discute, et j’arrive au boulot avec le sourire.
– Un fonctionnaire de Ryad
Ce gain de temps n’est pas anodin. Pour beaucoup, comme cet employé de 42 ans, le métro a relégué la voiture au garage. Les rames, reliant les quartiers populaires du sud aux zones huppées du nord, offrent une bouffée d’air frais dans une ville asphyxiée par la circulation.
Un Creuset Social Inattendu
Ce qui rend le métro de Ryad unique, c’est son rôle de creuset social. Dans un pays où les divisions – entre classes, tribus, et nationalités – sont profondément ancrées, voir un cadre en costume discuter avec un ouvrier sud-asiatique dans une rame bondée est presque révolutionnaire. Les wagons deviennent des espaces de rencontre improbables, où des étudiants croisent des retraités, et où des Saoudiens découvrent la vie des expatriés qui forment une large part de la population.
Ce mélange n’est pas sans limites. La société saoudienne reste genrée, et beaucoup de femmes préfèrent les wagons famille, réservés aux femmes seules ou accompagnées. Les hommes non accompagnés, eux, se retrouvent dans les wagons standards. Pour ceux qui veulent plus de confort (ou éviter la foule), un billet de première classe à 10 rials (environ 2,35 euros) offre une alternative. Mais même avec ces distinctions, le métro crée des ponts là où il n’y en avait pas.
- Des ouvriers sud-asiatiques partagent les rames avec des cadres saoudiens.
- Les étudiants échangent avec des retraités sur des sujets du quotidien.
- Les expatriés, souvent isolés, trouvent un espace pour interagir avec les locaux.
Ce brassage, même imparfait, marque un tournant. Comme le souligne un sociologue local, le métro est un événement psychologique. Il pousse les Saoudiens, habitués à des cercles sociaux fermés, à s’ouvrir aux autres.
Vision 2030 : Le Métro Comme Symbole
Ce métro s’inscrit dans un projet plus vaste : Vision 2030, le plan ambitieux du prince héritier Mohammed ben Salmane pour moderniser et diversifier l’économie saoudienne. L’objectif ? Réduire la dépendance au pétrole et transformer Ryad en une métropole mondiale. Le métro, avec son design futuriste et son envergure, est un symbole de cette ambition. Mais son succès n’était pas garanti. Un réseau de bus, lancé plus tôt, n’avait pas convaincu, englué dans les mêmes embouteillages que les voitures.
Pourtant, contre toute attente, le métro a trouvé son public. Des dizaines de milliers de voyageurs l’empruntent chaque jour, selon des sources proches du projet. Ce n’est pas seulement une victoire logistique, mais aussi financière, avec des retombées qui dépassent les prévisions initiales.
| Aspect | Détails | Impact |
| Échelle du réseau | 176 km, 6 lignes, 85 stations | Un des plus grands du monde arabe |
| Fréquentation | Dizaines de milliers d’usagers quotidiens | Succès inattendu |
| Coût du ticket | 4 rials (1 euro) pour 2 heures | Alternative économique à la voiture |
Ce succès pousse les autorités à voir plus grand. Une septième ligne, reliant Ryad à ses banlieues, est déjà en discussion. Mais au-delà des chiffres, c’est l’impact sur les mentalités qui intrigue. Le métro peut-il vraiment changer une société aussi cloisonnée ?
Des Histoires Humaines dans les Wagons
Ce qui rend ce projet si captivant, ce sont les histoires qu’il génère. Prenez l’exemple d’une étudiante en droit de 20 ans, qui a réduit son trajet à l’université de quatre heures à une heure. Elle arrive chez elle avec assez d’énergie pour étudier et passer du temps avec sa famille. Ou cet ingénieur de 56 ans, qui découvre des cultures différentes en discutant avec des inconnus dans le métro. Même un jeune avec une planche de skateboard devient un symbole de cette nouvelle dynamique.
Je parle avec des gens que je n’aurais jamais croisés avant. Le métro, c’est comme une fenêtre sur un autre monde.
– Un ingénieur saoudien
Ces rencontres, aussi simples soient-elles, brisent des barrières. Elles rappellent que le changement ne vient pas toujours des grandes réformes, mais parfois d’un simple trajet partagé.
Les Limites d’une Révolution
Ne nous voilons pas la face : le métro ne va pas effacer des décennies de divisions sociales en quelques mois. Les wagons famille rappellent que la mixité reste genrée. Les compartiments de première classe, eux, montrent que l’argent peut encore acheter une certaine distance. Et si le métro réduit le stress des trajets, il n’a pas encore désengorgé les routes de Ryad.
Pourtant, il y a quelque chose de profondément humain dans ce projet. En permettant à des gens de se croiser, de se parler, il plante une graine. Peut-être que dans dix ans, les Saoudiens se souviendront du métro comme du moment où leur société a commencé à s’ouvrir.
Un Avenir Plus Connecté ?
Alors, où va ce métro ? Littéralement, vers de nouvelles lignes et de nouvelles stations. Mais symboliquement, il emmène Ryad vers un avenir moins cloisonné. Les autorités parlent déjà d’agrandir le réseau, et les usagers, eux, s’habituent à ce nouvel espace de liberté. D’après moi, l’aspect le plus fascinant est cette capacité à transformer non seulement les trajets, mais aussi les mentalités.
Le métro de Ryad n’est pas parfait, mais il est un pas en avant. Dans une ville où la voiture était reine, il redonne du temps, de l’énergie, et surtout, une chance de se rencontrer. Et si c’était ça, le vrai moteur du changement ?
