Il y a des moments où l’on sent que quelque chose est en train de basculer. Ce soir-là, au palais des sports Marcel-Cerdan de Levallois, plus de 2000 personnes vont pousser derrière une équipe de volley féminin. 2000. Pas 300, pas 800, mais bien deux mille âmes prêtes à faire trembler les gradins pour un sport qui, soyons honnêtes, n’a jamais vraiment fait recette en France. Et pourtant, j’ai comme l’intime conviction que nous assistons à un tournant.
Le pari audacieux des Mariannes 92
Revenons trois petites années en arrière. Un entraîneur italien, tout juste débarqué, s’installe dans les travées quasiment désertes d’une salle parisienne. Il compte les spectateurs. Trente. Oui, vous avez bien lu : trente personnes. Aujourd’hui, le même homme est sur le banc et ses joueuses sont doubles championnes de France en titre. Elles s’apprêtent à défier l’une des grosses écuries polonaises en Ligue des champions. Le chemin parcouru a de quoi donner le vertige.
Le club, né en 2022 d’une fusion ambitieuse entre plusieurs entités historiques de la région parisienne, a choisi la voie royale : celle de l’Europe. Pas la petite porte de la Challenge Cup, non. Directement la Ligue des champions, la plus relevée des compétitions continentales. Un choix à la fois courageux et un peu fou quand on connaît les écarts abyssaux qui séparent les budgets français de ceux des mastodontes turcs, italiens ou polonais.
D’où viennent les Mariannes 92 ?
Pour comprendre l’ampleur du défi, il faut remonter à la genèse. En 2022, trois clubs décident de mettre leurs forces en commun : le mythique Stade Français Paris Saint-Cloud, Levallois Sporting Club et une partie des structures locales. L’objectif ? Créer enfin un grand club capable de rivaliser durablement au sommet du volley féminin français. Pari tenu : deux titres nationaux consécutifs en 2024 et 2025. Mais le plus dur commence maintenant.
Car être championne de France, c’est bien. Être championne de France et exister aux yeux du grand public, c’est une autre paire de manches. Surtout en région parisienne où l’offre sportive et culturelle est pléthorique. Le samedi soir, entre un concert, un resto ou un match du PSG, le volley féminin n’a jamais été la priorité des Franciliens. C’est brutal à dire, mais c’est la réalité.
« Quand vous jouez en province, parfois le match de volley est l’événement de la semaine. Ici, à Paris, vous êtes noyés dans la masse. »
– Un président de club qui connaît la musique
La vague Bleue, espoir ou mirage ?
L’été dernier, l’équipe de France féminine a réalisé l’exploit d’atteindre les quarts de finale du championnat du monde. Un parcours qui a enfin fait parler du volley féminin dans les médias généralistes. Les joueuses sont apparues en Une, on a vu des reportages, des portraits. Bref, un petit vent d’intérêt s’est levé. Reste à savoir s’il va se transformer en véritable tempête ou retomber comme un soufflé.
Du côté des Mariannes, on sent la différence. Les demandes de partenariats augmentent timidement, les réseaux sociaux gagnent des abonnés, les gamins commencent à reconnaître certaines joueuses dans la rue. C’est encore fragile, mais c’est là. Et ce match contre Rzeszów ce jeudi soir pourrait bien être le déclencheur dont tout le monde rêve.
- 2000 billets déjà vendus plusieurs jours avant le match (un record pour le club)
- Des animations prévues avant et après la rencontre pour attirer les familles
- Une communication renforcée sur les réseaux avec des contenus jamais vus auparavant
- Des invitations ciblées auprès d’entreprises et de personnalités locales
On sent que le club a décidé de jouer le tout pour le tout. Quitte à y laisser quelques plumes financièrement sur le court terme.
L’Europe, une vitrine à quel prix ?
Participer à la Ligue des champions, c’est un rêve. C’est aussi un gouffre financier. L’an dernier, les Mariannes avaient terminé avec six défaites en six matchs. Une campagne honorable sur le plan sportif (certaines rencontres s’étaient jouées à peu), mais catastrophique en termes d’image et de recettes. Cette saison, l’objectif est clair : gagner au moins quelques matchs pour être reversées en CEV Cup et prolonger l’aventure européenne.
Car oui, personne ne se fait d’illusion : la Ligue des champions version 2025-2026 ne sera pas gagnée par un club français. Les meilleurs clubs turcs (Vakifbank, Eczacibasi, Fenerbahce) ou italiens (Conegliano, Scandicci) tournent avec des budgets compris entre 15 et 25 millions d’euros. Les Mariannes ? À peine 2 millions. On est dans un autre monde.
« On a triplé notre budget en quelques années, mais il reste dix fois inférieur à celui de nos adversaires. C’est mathématiquement impossible de rivaliser sur le long terme. »
Cette différence abyssale explique pourquoi la France n’a plus gagné la moindre coupe d’Europe depuis… 2002 et le titre du RC Cannes. Vingt-trois ans. Une éternité.
Un modèle économique toujours fragile
Le volley féminin français vit sous perfusion. La disparition brutale des Neptunes de Nantes, pourtant finalistes du championnat les deux dernières saisons, a rappelé à tout le monde la précarité du modèle. Un actionnaire qui se retire et pouf, un club professionnel qui s’évapore. C’est arrivé à Nantes, ça pourrait arriver ailleurs demain.
À Levallois, on en est conscient. Chaque année est un combat pour boucler le budget. La conjoncture actuelle n’aide pas : les entreprises hésitent à s’engager sur plusieurs saisons, les subventions publiques restent limitées, et le public, même s’il commence à venir, n’est pas encore assez nombreux pour géner des recettes de billetterie significatives.
Et pourtant, le club continue d’investir. Dans les joueuses évidemment, mais aussi dans la communication, dans l’expérience spectateur, dans les réseaux sociaux. Parce que tout le monde a compris une chose : sans visibilité, pas de partenaires. Et sans partenaires, pas de survie à haut niveau.
Alessandro Orefice, l’homme de la situation ?
Derrière ce projet un peu fou, il y a un homme : Alessandro Orefice. L’entraîneur italien a débarqué avec ses méthodes, son accent chantant et une envie folle de réussir là où beaucoup ont échoué avant lui. Il a connu les 30 spectateurs. Il connaît maintenant les 2000. Et il sait que ce n’est qu’un début.
Son discours est clair : « On ne gagnera pas la Ligue des champions, mais on peut créer quelque chose de durable. » Il parle de projet, de formation, d’identité de jeu. Et surtout, il parle aux joueuses comme à des athlètes de haut niveau, pas comme à des amateurs éclairées. Cette professionnalisation progressive est probablement la plus grande réussite du club ces dernières années.
Et demain ?
La question que tout le monde se pose maintenant : est-ce que ce match contre Rzeszów peut être le déclic ? Celui qui va transformer une salle occasionnellement remplie en salle régulièrement pleine ? Celui qui va faire basculer quelques partenaires hésitants ? Celui qui va enfin faire comprendre aux médias que le volley féminin français existe et mérite qu’on en parle autrement qu’en deux lignes en bas de page ?
Rien n’est moins sûr. Mais une chose est certaine : les Mariannes 92 n’ont plus le choix. Elles jouent leur va-tout. Elles jouent pour leur survie à moyen terme. Et surtout, elles jouent pour toutes celles qui rêvent un jour de voir le volley féminin français redevenir une référence en Europe.
Ce soir, quand le ballon sera smashé pour la première fois sous les projecteurs du palais des sports Marcel-Cerdan, ce ne sera pas qu’un match de plus. Ce sera peut-être le début d’une nouvelle ère. Ou pas. Mais en tout cas, 2000 personnes seront là pour y croire. Et ça, déjà, c’est une petite victoire.
Alors oui, le chemin est encore long. Oui, les obstacles sont nombreux. Mais pour la première fois depuis très longtemps, on a envie d’y croire. Parce que quand une salle passe de 30 à 2000 spectateurs en trois ans, c’est que quelque chose bouge. Et ce quelque chose, il a un nom : les Mariannes 92. Rendez-vous ce soir pour écrire, peut-être, une nouvelle page du volley féminin français.
