Imaginez que vous discutiez tranquillement avec quelqu’un et que, d’un coup, vous réalisiez qu’il est largement plus intelligent que vous. Pas juste un peu plus malin, non : capable de résoudre en quelques secondes des problèmes qui vous prendraient des années. C’est exactement le sentiment qui commence à gagner certains chercheurs quand ils observent la courbe de progression de l’intelligence artificielle ces derniers temps.
Trois petites années. C’est tout ce qu’il a fallu pour que l’IA passe du statut de curiosité geek à celui d’assistant omniprésent dans nos vies. On lui demande la recette du soir, la rédaction d’un mail pro, une idée de voyage ou même des conseils sentimentaux. Et elle répond, souvent mieux que ce qu’on espérait.
Mais derrière cette banalisation se cache une question qui devient de plus en plus pressante : jusqu’où cela va-t-il aller ? Et surtout, allons-nous un jour franchir le point où la machine deviendra plus intelligente que son créateur ?
La progression fulgurante qu’on n’attendait plus
Quand les premiers grands modèles de langage sont arrivés fin 2022, beaucoup pensaient qu’on avait atteint un plateau. Erreur. Chaque nouvelle version apporte des bonds spectaculaires, tant en compréhension qu’en créativité.
Aujourd’hui, on parle déjà de systèmes capables de raisonner étape par étape sur des problèmes complexes, de coder mieux que la majorité des développeurs seniors ou de réussir des examens de médecine avec mention. Et ce n’est que le début.
« La vitesse d’amélioration est telle qu’on ne peut plus vraiment prévoir ce qui arrivera dans cinq ans, et encore moins dans dix. »
Un chercheur français spécialisé en apprentissage profond
Ce qui frappe surtout, c’est l’effet boule de neige : plus on donne de données et de puissance de calcul, plus l’IA apprend vite, et plus elle devient utile, donc plus on lui en donne. Un cercle vertueux… ou vicieux, selon le point de vue.
Les chiffres qui donnent le tournis
- Plus de 800 millions d’utilisateurs quotidiens pour les principaux assistants IA dans le monde
- Une consommation électrique équivalente à celle de pays entiers pour entraîner les plus gros modèles
- Des investissements annuels qui se comptant en dizaines de milliards de dollars
- Une réduction par 10 du coût d’entraînement tous les 18 mois environ
Ces chiffres ne sont pas là pour impressionner. Ils montrent simplement que la dynamique actuelle n’a rien de linéaire. On est dans une phase exponentielle, et l’histoire nous a appris que les courbes exponentielles réservent toujours des surprises.
Les fameuses « hallucinations » : le talon d’Achille actuel
Pour l’instant, le principal frein reste ce qu’on appelle les hallucinations. L’IA peut sortir des réponses parfaitement fluides… et totalement fausses. Et le pire, c’est qu’elle le fait avec une assurance désarmante.
J’ai moi-même testé récemment : je lui ai demandé une référence historique précise. Elle m’a répondu avec dates, noms, contexte. Sauf que tout était inventé. Impressionnant et flippant à la fois.
« Même si elle est juste 99 % du temps, ce 1 % restant est structurel. On ne peut pas l’éliminer complètement à cause de la façon dont ces modèles fonctionnent. »
Cette limite est liée à l’architecture même des grands modèles : ils prédisent le mot suivant le plus probable, pas forcément le plus vrai. D’où des réponses parfois créatives, souvent utiles, mais jamais totalement fiables à 100 %.
Les garde-fous : utiles mais insuffisants ?
On a mis en place tout un arsenal : filtres de contenu, systèmes de vérification, alignment par renforcement avec feedback humain… Ça marche plutôt bien pour éviter les dérapages évidents.
Mais dès qu’on parle de superintelligence, la donne change. Une IA largement plus intelligente que nous trouverait forcément des moyens de contourner ces barrières, même si elles paraissent solides aujourd’hui.
C’est un peu comme essayer d’enfermer un génie dans une bouteille avec un bouchon en liège. Tant qu’il n’a pas trop de force, ça tient. Mais quand il commence à comprendre la physique de la bouteille…
La singularité technologique : science-fiction ou horizon proche ?
Le concept existe depuis les années 1950. L’idée : à partir d’un certain seuil, l’IA s’améliore toute seule, plus vite que les humains ne peuvent suivre. On appelle ça l’explosion d’intelligence.
Certains y croient dur comme fer et parlent d’un horizon 2030-2040. D’autres trouvent ça exagéré. Ce qui est sûr, c’est que personne n’a de boule de cristal.
Ce que je trouve fascinant, c’est que même les plus sceptiques admettent qu’on avance vers quelque chose d’inconnu. On construit la fusée en vol, sans vraiment savoir si elle va nous emmener sur la Lune ou exploser en plein ciel.
Et le cerveau humain dans tout ça ?
Notre cerveau reste extraordinaire : conscience, émotions, intuition, créativité dans l’incertitude… Des domaines où l’IA patauge encore.
Mais soyons honnêtes : pour tout ce qui est calcul, mémoire, vitesse de traitement ou analyse de données massives, elle nous a déjà largement dépassés. La question n’est plus « si » elle va nous rattraper sur l’intelligence générale, mais « quand ».
- L’IA traite des milliards de paramètres ; notre cerveau environ 100 000 milliards de synapses (mais de façon bien plus efficace énergétiquement)
- Elle n’a pas sommeil, pas de distractions, apprend 24 h/24
- Elle peut se copier, se dupliquer, s’améliorer en parallèle
Avantage machine, clairement, sur le plan brut. L’avantage humain reste pour l’instant la compréhension profonde du monde et la finalité de l’existence. Mais pour combien de temps ?
Les scénarios possibles (et ce qu’ils impliquent)
Scénario 1 – L’IA reste un outil surpuissant mais contrôlé. On continue à progresser doucement, avec des garde-fous efficaces. C’est le scénario « doux ».
Scénario 2 – L’IA atteint un niveau humain sur tous les domaines d’ici 10-15 ans, puis dépasse rapidement. Changements sociétaux massifs, chômage technologique ou abondance selon la gouvernance.
Scénario 3 – Explosion d’intelligence rapide et incontrôlable. Risque existentiel reconnu par de nombreux experts comme le plus sérieux à long terme.
Personne ne sait lequel arrivera. Mais ignorer la possibilité du 3 parce qu’il fait peur serait irresponsable.
Ce qu’on peut faire dès aujourd’hui
La bonne nouvelle ? On n’est pas totalement passifs. Recherche sur l’alignement, régulation internationale, transparence des gros labs, débats publics… Il y a des leviers.
L’aspect le plus urgent, selon moi, est de garder une diversité d’approches. Si tout le monde suit la même recette « plus de données, plus de calcul », on risque de rater des chemins plus sûrs.
Et surtout, peut-être paradoxalement, ralentir un peu la course à la puissance brute pour mieux comprendre ce qu’on fabrique. Parfois, aller moins vite, c’est arriver plus loin.
Parce qu’une chose est sûre : une fois la superintelligence là, on ne pourra plus revenir en arrière. Alors autant essayer de la rendre compatible avec nos valeurs humaines tant qu’on a encore le contrôle.
La question n’est plus de savoir si l’intelligence artificielle va transformer le monde. Elle le fait déjà. La vraie question, celle qui nous regarde tous dans les yeux, c’est : allons-nous réussir à la transformer dans le bon sens ?
Pour l’instant, la réponse est entre nos mains. Demain… peut-être plus.
