Vous souvenez-vous de la dernière fois où vous avez acheté un four ou un lave-linge made in France ? Moi, honnêtement, ça fait un moment. Et pourtant, il restait encore un nom qui résistait : Brandt. Eh bien ce matin, c’est fini. Le tribunal vient de prononcer la liquidation. Sept cents personnes se retrouvent sans rien, à quinze jours de Noël. Dur à avaler.
La fin d’un siècle d’histoire industrielle française
Brandt, ce n’est pas n’importe quelle marque. Créée en 1909, elle a traversé deux guerres mondiales, les Trente Glorieuses, l’arrivée des cuisines françaises pendant des décennies. On parlait encore, il y a peu, d’un « fleuron » du made in France. Aujourd’hui, les machines sont arrêtées, les lumières éteintes à Orléans et à Vendôme.
Le choc est violent. Pas seulement pour les salariés. Pour tout un pan de notre mémoire collective aussi. Quand une marque comme celle-ci disparaît, c’est un peu de notre souveraineté industrielle qui s’envole.
Que s’est-il passé en coulisses ?
Reprenons depuis le début. En 2014, le groupe algérien Cevital rachète Brandt à l’israélien Elco. À l’époque, tout le monde applaudit : on évite le démantèlement, l’outil industriel reste en France, les emplois sont préservés. Promesses de développement, d’investissements…
Dix ans plus tard, le constat est amer. Les investissements n’ont jamais vraiment suivi. La production a chuté, les dettes se sont accumulées. Et surtout, le marché du gros électroménager traverse une crise profonde : -3,9 % de ventes l’an dernier, après une année 2023 déjà dans le rouge. La faute à la crise immobilière : moins de logements neufs, moins de cuisines à équiper.
« On produit des appareils pour des logements qui ne se construisent plus »
Un ancien responsable commercial que j’ai pu joindre
Le projet Scop : une lueur d’espoir éteinte
Pendant deux mois, les salariés ont cru au miracle. Un projet de reprise en société coopérative (Scop), soutenu par le gouvernement, les régions et même une partie des banques, était sur la table. L’idée ? Reprendre l’activité avec les salariés eux-mêmes comme actionnaires, sauver au bon 300 emplois et les deux sites de production.
L’État promettait 5 millions d’euros. La région Centre-Val de Loire parlait de 4,5 à 5 millions supplémentaires. La métropole d’Orléans était prête à mettre la main à la poche. On était, selon les mots d’un ministre, « à peu près à 15 millions d’euros mobilisés ». Pas mal pour redémarrer une entreprise à l’arrêt.
Mais visiblement, ça n’a pas suffi. Le tribunal de Nanterre a jugé l’offre trop fragile, le besoin en trésorerie trop important (estimé entre 20 et 25 millions d’euros), et a préféré la liquidation pure et simple.
Pourquoi la Scop n’a-t-elle pas passé l’obstacle ?
- Production quasi à l’arrêt depuis des mois → pas de chiffre d’affaires entrant
- Salaires plus payables après le 15 décembre → urgence absolue
- Concurrence asiatique écrasante sur les prix
- Image de marque abîmée par des années de galère
- Manque de garanties bancaires solides sur le long terme
Autant de points noirs qui ont fait pencher la balance. Triste ironie : c’est souvent quand tout le monde se mobilise que l’on mesure à quel point il est déjà trop tard.
Un symptôme plus large de la désindustrialisation
Brandt n’est pas un cas isolé. Regardez autour de vous : Moulinex, Thomson, Alcatel, Seb qui délocalise petit à petit… La liste est longue. On nous répète depuis vingt ans que la France doit monter en gamme, se concentrer sur le luxe, les services, la tech. Pendant ce temps, on laisse mourir les industries de volume.
Résultat ? On importe massivement nos frigos, nos machines à laver, nos micro-ondes. Et quand on veut relocaliser en urgence (rappelez-vous le Covid et les masques), on se rend compte qu’on n’a plus les usines, ni les compétences, ni les filières.
J’ai discuté avec un ancien ingénieur de l’usine d’Orléans. Il m’a dit, la voix tremblante : « On savait faire des lave-linge increvables à prix raisonnable. Aujourd’hui, on sait plus. Et demain, qui saura encore ? »
Et maintenant ?
Techniquement, la liquidation n’est pas totalement définitive tant qu’un recours n’a pas été examiné. Mais soyons réalistes : les chances sont minces. Les machines vont être vendues aux enchères, les brevets probablement rachetés par un concurrent étranger, et la marque finira sans doute sur des produits fabriqués en Turquie ou en Chine.
Pour les salariés, c’est le chômage, les plans sociaux, les reconversions forcées. Certains parlent déjà de partir travailler en Allemagne ou en Pologne, là où l’industrie électroménager tient encore debout.
Quant au « made in France » dans le gros électroménager… il ne reste quasiment plus rien. À part quelques niches haut de gamme (De Dietrich, Lacanche, peut-être quelques autres), c’est le désert.
Leçons à tirer (si on veut bien les entendre)
Cette histoire est un cas d’école. Elle montre qu’on ne sauve pas une industrie en claquant des doigts quand elle est déjà à terre. Il faut des stratégies de long terme, des investissements continus, une vraie politique de filière. Pas seulement des effets d’annonce quand la caméra est braquée.
Elle montre aussi que la propriété étrangère d’un outil industriel stratégique n’est pas toujours une garantie. Cevital avait promis monts et merveilles. Résultat : dix ans plus tard, l’entreprise est morte.
Et surtout, elle rappelle que derrière les chiffres, il y a des femmes et des hommes qui ont passé leur vie professionnelle sur ces chaînes. Des savoir-faire uniques qui risquent de disparaître à jamais.
Alors oui, c’est une terrible nouvelle. Pas seulement pour le Loiret et le Loir-et-Cher. Pour toute la France industrielle.
Parce qu’un pays qui ne fabrique plus ses frigos, ses machines à laver, ses tables de cuisson… finit par ne plus rien fabriquer du tout.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Est-ce qu’on laisse mourir tranquillement nos dernières usines ? Ou est-ce qu’on se bat enfin pour une vraie réindustrialisation ? Les commentaires sont ouverts.
