Vous est-il déjà arrivé de fermer les yeux en mordant dans une vraie mozzarella di bufala et de vous dire : « Là, je touche à quelque chose de plus grand que moi » ? Moi, oui. Des dizaines de fois. Et figurez-vous que je ne suis pas le seul : l’Unesco vient officiellement de reconnaître que la cuisine italienne, dans son ensemble, mérite d’entrer au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Pas juste la pizza napolitaine (déjà classée), pas juste le café expresso (aussi), mais tout. L’intégralité. Une première mondiale.
Une reconnaissance historique qui change la donne
Mercredi, à New Delhi, le comité a validé la candidature déposée par l’Italie en 2023. Sur 68 dossiers examinés, celui-ci est passé sans encombre. Et pour cause : jamais un pays n’avait osé demander une inscription aussi large. D’habitude, on protège un plat, une technique, une fête. Là, c’est tout un système culturel qui est célébré : des marchés de quartier aux recettes transmises sans écrit, des grands-mères siciliennes aux chefs étoilés milanais.
La Première ministre elle-même n’a pas caché sa fierté : « Cette reconnaissance honore qui nous sommes et notre identité. » On sent presque la sauce tomate frémir dans la voix. Car pour les Italiens, manger n’est pas un acte mécanique. C’est un rite, une histoire, une façon de dire « je t’aime » sans ouvrir la bouche.
Qu’est-ce qui a été exactement inscrit ?
Attention, on ne parle pas ici d’un inventaire exhaustif de recettes (l’Unesco n’a pas listé les 400 façons de faire les pâtes al pomodoro). Ce qui est protégé, c’est l’ensemble des pratiques, connaissances et savoir-faire liés à la cuisine italienne. En clair :
- La transmission orale des recettes de génération en génération
- Le lien indéfectible entre produit et territoire
- Le rôle social central du repas (long, bruyant, joyeux)
- La valorisation des produits simples et saisonniers
- L’importance de la convivialité et du partage
C’est beaucoup plus vaste et beaucoup plus profond que le simple classement d’un plat. C’est une philosophie de vie qui est gravée dans le marbre mondial.
Et la France dans tout ça ?
Je sais, la question brûle toutes les lèvres. Oui, nous avons eu notre « repas gastronomique des Français » en 2010. Mais soyons honnêtes : c’était une approche différente. L’Unesco avait alors salué une certaine idée de l’élégance à table, le menu en quatre services, le vin, le fromage, etc. Très chic, très codifié.
L’Italie, elle, a joué la carte de la totalité populaire. Pas de chichi : on célèbre aussi bien la truffe blanche d’Alba que la pasta alla carbonara faite avec les restes. C’est toute la chaîne, du champ à l’assiette, et surtout la chaleur humaine qui va avec. D’une certaine façon, c’est plus inclusif, plus vivant. Et franchement ? Un peu plus touchant.
« La cuisine italienne est le fruit d’une transmission de plusieurs siècles. C’est un héritage né de la vision des femmes en cuisine. Elles ont su trouver, dans la pauvreté d’antan, une saveur qui prend racine dans l’huile et se retrouve dans tout ce qu’elles touchent. »
— Leonora Saltalippi, restauratrice romaine
Cette phrase m’a marqué. Parce qu’elle dit tout : derrière chaque plat italien, il y a des siècles de débrouillardise joyeuse, d’amour transmis sans mode d’emploi.
Pourquoi maintenant ?
Le timing n’est pas anodin. Ces dernières années, l’Italie a multiplié les candidatures : pizza napolitaine (2017), espresso (2022), et maintenant la cuisine dans sa globalité. On sent une vraie stratégie de soft power culinaire. Et ça marche.
Dans un monde où la malbouffe standardisée avance à grands pas, reconnaître officiellement que « faire à manger avec soin » est un acte culturel majeur, c’est aussi un signal fort. Surtout quand vient d’un pays qui exporte chaque année pour plus de 50 milliards d’euros de produits agroalimentaires.
Et puis, il y a le contexte politique. Le gouvernement actuel met un point d’honneur à défendre le « Made in Italy » tous azimuts. Cette inscription tombe à pic pour renforcer le récit national d’un pays fier de son identité.
Ce que ça change concrètement
Soyons clairs : votre assiette de spaghetti ne va pas soudain coûter plus cher parce qu’elle est « patrimoine mondial ». Mais les effets seront réels :
- Boost touristique énorme – Les voyages gastronomiques vont exploser. On parle déjà d’« effet Unesco » multiplicateur.
- Protection contre les contrefaçons – Plus facile de lutter contre le faux parmesan ou la fausse mozzarella à l’étranger.
- Valorisation des petits producteurs – Les agriculteurs, éleveurs et artisans locaux vont gagner en visibilité.
- Fierté nationale retrouvée – Dans un pays parfois fragmenté, la cuisine reste le ciment le plus solide.
Et pour nous, simples mangeurs ? On aura encore plus bonne conscience en commandant une margherita.
Les secrets d’une cuisine sans recette écrite
L’un des aspects les plus fascinants, c’est cette absence totale de standardisation. En Italie, chaque famille a sa recette de ragù, sa façon de faire les gnocchi, sa dose secrète d’ail dans la puttanesca. Rien n’est gravé dans le marbre, tout se transmet à l’oreille, au feeling, au coup d’œil.
C’est d’ailleurs ce qui rend la candidature si audacieuse : comment protéger quelque chose d’aussi fluide, d’aussi vivant ? La réponse de l’Unesco est claire : en reconnaissant précisément cette transmission orale et cette diversité comme trésor à préserver.
Personnellement, je trouve ça magnifique. Dans un monde où tout est normé, mesuré, certifié, voilà une culture qui dit : « Notre richesse, c’est justement qu’il n’y a pas une seule vérité, mais des millions de variantes, toutes délicieuses. »
Les régions à l’honneur (toutes, sans exception)
Ce qui est génial avec cette inscription globale, c’est qu’elle ne privilégie aucune région. La polenta du Nord, les arancini siciliens, les tortellini d’Émilie, les orecchiette des Pouilles, le risotto vénitien… Tout le monde est sur le podium.
On célèbre :
- La mozzarella de Campanie et le pecorino sarde
- Le pesto génois et l’amatriciana romaine
- Le tiramisù et la panettone milanaise
- Les vins toscans et les huiles puglaises
- Les poissons ligures et les viandes piémontaises
Aucune hiérarchie. Juste la certitude que chaque terroir apporte sa pierre (ou sa tomate) à l’édifice.
Et demain ?
Maintenant que la porte est ouverte, on peut s’attendre à ce que d’autres pays tentent l’aventure « cuisine nationale globale ». Le Japon ? Le Mexique ? L’Inde ? Possible. Mais l’Italie aura toujours cette médaille de pionnière.
En attendant, si vous avez prévu un voyage en Italie en 2026, préparez-vous : les tables vont être prises d’assaut. Et quelque part, une nonna anonyme sourira en pensant que son secret de sauce, transmis depuis 1892, fait désormais partie du patrimoine mondial.
Parce qu’au fond, c’est peut-être ça le plus beau : cette reconnaissance ne couronne pas les chefs étoilés. Elle couronne des millions de mains anonymes qui, chaque jour, pétrissent, mijotent et servent avec amour.
Alors la prochaine fois que vous tournerez vos spaghetti avec application, pensez-y : vous participez, à votre échelle, à un patrimoine vivant désormais protégé pour toujours.
E alla prossima forchettata !
