Imaginez la scène un instant. Vous roulez tranquillement sur une voie rapide, limite à 90 ou 110 km/h selon les portions, et soudain un VTT électrique vous double comme une fusée. Pas une moto, pas une voiture : un vélo. Et pas à 40 km/h, non, à plus de 90 km/h. C’est exactement ce qui s’est passé récemment à Marseille, et franchement, ça laisse pantois.
Quand le livreur devient pilote de course… et dealer
Il est un peu plus de 16 heures, un samedi après-midi comme un autre dans le 12e arrondissement. Un jeune homme de 22 ans circule sur un VTT électrique qui a clairement été bricolé pour aller bien plus vite que ce que la loi autorise. Les agents de la police municipale le remarquent. Il passe plusieurs fois devant eux, semble même les narguer. Quand ils décident de le contrôler, c’est la fuite.
Et pas une petite fuite tranquille dans les ruelles. Non. Le gars fonce directement sur la voie rapide. Là où les voitures roulent déjà vite, lui arrive à tenir entre 90 et 100 km/h selon les témoins. Et d’après le compteur du vélo récupéré ensuite, il a même poussé jusqu’à 138 km/h. Sur un vélo. Laissez-moi répéter : 138 km/h. Sur deux roues fines, sans carrosserie, sans airbag. Le moindre caillou et c’est la fin.
Un engin transformé en missile terrestre
Ces VTT électriques débridés, ce n’est plus vraiment du vélo. On parle de moteurs boostés, de batteries gonflées, parfois de kits venus directement d’Asie qui transforment un simple moyen de locomotion en véritable engin de course illégal. Sur le papier, un vélo à assistance électrique est limité à 25 km/h en Europe. Ici, on est à plus de cinq fois cette vitesse. C’est comme comparer une trottinette de location avec une Formule 1.
Et le pire ? Le jeune homme était en pleine tournée de livraison. Mais pas n’importe quelle livraison. On parle du fameux réseau « Uber Shit », ce système parallèle où certains livreurs de repas profitent des allers-retours pour transporter autre chose : de la résine de cannabis, de la cocaïne, parfois plus. Pratique, discret, rapide. Sauf quand on se fait repérer.
« Je pensais que vous n’arriveriez jamais à m’attraper »
a-t-il lâché aux policiers, presque surpris d’être stoppé
Cette phrase en dit long. Une forme d’arrogance mêlée d’incrédulité. Comme si ces engins surpuissants rendaient intouchables ceux qui les pilotent. Sauf que la brigade motorisée de Marseille, elle, roule aussi vite, voire plus. Et ils connaissent leur terrain.
Ce qu’il transportait vraiment dans son sac
À l’interpellation, la surprise est totale. Dans le sac de livraison classique, on retrouve :
- Une cinquantaine de grammes de résine de cannabis
- Plusieurs doses de cocaïne prêtes à la revente
- Le test salivaire positif au cannabis, évidemment
Le jeune homme n’en était pas à son coup d’essai. Son casier judiciaire est déjà bien rempli, et les forces de l’ordre le connaissent. On est loin du livreur étudiant qui arrondit ses fins de mois. On est dans une tout autre catégorie.
Ce qui interpelle (sans jeu de mots), c’est la banalisation de ce genre de profil. Le livreur Uber Shit est devenu une figure presque courante dans certaines grandes villes françaises. Le sac isotherme jaune ou vert fluo, c’est la couverture parfaite. Personne ne se méfie d’un gars qui livre des burgers… jusqu’à ce qu’on ouvre le sac.
La dangerosité extrême de ces courses folles
Allons droit au but : rouler à 130 km/h sur un VTT, même boosté, sur une voie rapide, c’est du suicide. Et pas que pour le pilote.
Un choc avec une voiture ? Mortel à coup sûr. Une chute seule ? Pareil. Un piéton, un motard, un enfant qui traverse malencontreusement ? Les conséquences seraient dramatiques. Et pourtant, ça se produit de plus en plus souvent. À Marseille, c’est même la deuxième interpellation de ce type en moins de dix jours. Un adolescent avait déjà été pincé sur l’A50 à plus de 90 km/h quelques jours plus tôt.
On se demande parfois si ces jeunes mesurent le danger. Ou si la combinaison vitesse + argent rapide + sentiment d’impunité ne finit pas par leur faire perdre tout sens commun.
Uber Shit : l’économie parallèle qui explose
Le phénomène n’est pas nouveau, mais il prend une ampleur folle. Avec la multiplication des plateformes de livraison, certains ont vite compris l’aubaine. Pas besoin de voiture, pas besoin de permis spécial, juste un vélo (même loué), un smartphone et un sac. Le réseau se monte en quelques jours.
Le client commande son repas… et parfois un petit « extra » en même temps. Le livreur passe, livre les deux, empoche un pourboire conséquent. Et recommence. Dans certaines zones, c’est devenu une activité à temps plein, bien plus rentable que de livrer uniquement des sushis.
Ce qui est dingue, c’est que tout cela se passe sous nos yeux. Dans nos rues, devant nos immeubles. Le livreur qui sonne à 23h30 avec votre pad thaï, peut très bien avoir 200 grammes de cocaïne dans le fond de son sac. Et rouler à 100 km/h pour ne pas se faire prendre entre deux livraisons.
Que dit la loi sur ces VTT surpuissants ?
En théorie, tout est clair. Un vélo à assistance électrique doit couper l’assistance à 25 km/h. Au-delà, c’est un cyclomoteur. Il faut une immatriculation, un casque homologué, une assurance, un permis AM au minimum. Dans les faits ? Quasi personne ne respecte ça.
Les kits de débridage se vendent à quelques centaines d’euros sur internet. Un tuto YouTube, 30 minutes de bricolage, et votre vélo de ville devient une bête de course. Les contrôles sont rares, les sanctions souvent légères si on se fait arrêter à 40 km/h dans une rue. Mais quand on passe à 130 km/h sur voie rapide, là, ça change tout.
Et pourtant, les forces de l’ordre le disent : elles sont dépassées par le phénomène. Les motos de police peinent parfois à suivre ces engins ultra-légers et hyper maniables dans les petites rues. Et sur autoroute, c’est encore pire.
Un phénomène qui touche toutes les grandes villes
Marseille n’est pas un cas isolé. Paris, Lyon, Lille, Bordeaux… partout, les témoignages se multiplient. Des livreurs qui slaloment à 70 km/h entre les voitures, qui grillent les feux, qui roulent sur les trottoirs. Et derrière, parfois, le trafic de stupéfiants.
J’ai discuté avec un ancien livreur qui a arrêté justement à cause de ça. Il me disait : « Au début c’est cool, tu gagnes bien. Puis on te propose un extra. 50 euros pour livrer un petit sachet. Tu dis oui une fois, deux fois… et un jour tu te retrouves à 100 km/h poursuivi par la police avec 300 grammes dans le sac ».
C’est une dérive lente, presque insidieuse. L’économie des plateformes a créé des milliers, oui. Mais elle a aussi ouvert une porte immense au trafic de proximité.
Et maintenant ?
Le jeune Marseillais, lui, a été déféré dès le lundi matin. Refus d’obtempérer, conduite sans permis, sous l’emprise de stupéfiants, détention de produits stupéfiants en vue de la revente… la liste est longue. Il risque gros. Très gros.
Mais au-delà de son cas personnel, c’est tout un système qu’il faut repenser. Faut-il renforcer les contrôles sur les vélos électriques ? Imposer une immatriculation obligatoire au-delà d’une certaine puissance ? Former davantage les livreurs ? Responsabiliser les plateformes ?
Une chose est sûre : tant que l’argent coulera à flots et que la prise de risque restera limitée aux yeux de certains, le phénomène continuera. Et le prochain qui se fera prendre à 138 km/h sur un VTT ne sera peut-être pas aussi chanceux.
Parce que oui, il a été interpellé. Mais il aurait très bien pu terminer dans un rail de sécurité. Ou pire, emporter quelqu’un avec lui.
Et ça, ça fait réfléchir.
