Vous savez ce qui est le plus fort dans le sport de haut niveau ? Ce n’est pas toujours le talent brut ou les stats qui font rêver. Parfois, c’est une simple silhouette qui réapparaît après des années d’absence et qui fait vibrer toute une salle. Vendredi soir, à Rouen, quand Louis Labeyrie a foulé le parquet de la Kindarena avec son pas tranquille, presque nonchalant, j’ai senti comme un frisson collectif. Trois ans. Trois longues années sans maillot bleu. Et le voilà de retour, comme si le temps n’avait fait que renforcer son aura.
On va se le dire franchement : peu de joueurs provoquent ce genre d’émotion en revenant. Parce que Labeyrie, ce n’est pas n’importe qui. C’est le gars qui parle de sa « tanière soviétique » avec un sourire en coin, celui qui a accepté l’exil russe quand tout le monde tournait le dos à ce championnat. Et pourtant, il n’a jamais renié la France. Il a juste continué à bosser, dans l’ombre, loin des caméras. Et aujourd’hui, il est là. À 33 ans. Plus mûr. Toujours aussi précieux.
Le retour d’un « banni » qui n’aurait jamais dû l’être
Reprenons depuis le début, parce que cette histoire mérite qu’on prenne le temps. En 2022, la guerre en Ukraine éclate. Beaucoup de fédérations sportives décident de fermer la porte aux athlètes évoluant en Russie. Le basket français suit le mouvement. Conséquence : les joueurs sous contrat russe sont écartés de la sélection nationale. Louis Labeyrie, qui vient de signer à Kazan, se retrouve sur la touche. Pas de Coupe du monde, pas d’Euro, rien. Zéro sélection pendant trois ans.
À l’époque, la décision est comprise par beaucoup. La géopolitique dépasse le terrain. Mais avec le recul, on peut se poser la question : était-ce vraiment juste ? Labeyrie n’a jamais fait de politique. Il a simplement choisi un contrat qui lui permettait de jouer au haut niveau, de progresser, de gagner sa vie. Il n’a jamais renié ses valeurs. Il a juste continué à défendre, rebondir, mettre des contres comme personne.
« Je suis resté dans ma tanière soviétique »
Louis Labeyrie, avec son humour habituel
Cette phrase, il l’a lâchée avec ce sourire mi-gêné mi-fier qui le caractérise. Et franchement, elle résume tout. Il n’a pas pleuré, il n’a pas polémiqué. Il a encaissé. Et il a continué à travailler. En Russie, il a joué, il a progressé, il est devenu un des meilleurs pivots du championnat. Et pendant ce temps, les Bleus ont brillé… mais il manquait parfois ce profil atypique, ce gars capable de défendre comme un chien et de sortir des actions folles.
Un match de reprise qui sent la rouille… et l’envie
Vendredi soir, face à la Belgique, l’équipe de France n’a pas brillé. On va pas se mentir, c’était brouillon, parfois laborieux. Une victoire 79-63 qui a mis du temps à se dessiner. Mais dans ce match sans éclat, il y a eu des moments qui valent tout l’or du monde. Comme ce contre monumental de Labeyrie dès les premières minutes. Le genre de geste qui fait lever une salle entière.
Quinze minutes de jeu. Six points. Rien d’exceptionnel sur le papier. Et pourtant, sa présence a changé quelque chose. Il a apporté cette intensité défensive, cette lecture du jeu, cette capacité à embêter l’adversaire sans faire de bruit. Labeyrie, c’est le mec qu’on ne remarque pas toujours… jusqu’à ce qu’il manque. Et là, on se dit : ah oui, quand même.
- Un contre qui a fait trembler le cercle dès la 2e minute
- Des rebonds disputés avec une hargne discrète
- Une présence qui rassure les plus jeunes
- Et surtout, cette impression qu’il n’est jamais vraiment parti
Labeyrie, l’anti-héros dont les Bleus ont besoin
Dans une équipe de France qui compte désormais des phénomènes comme Victor Wembanyama ou Zaccharie Risacher, on pourrait penser qu’un joueur de 33 ans, sans club en Euroligue cette saison, n’a plus sa place. Et pourtant, c’est tout l’inverse. Parce que le basket, ce n’est pas que des highlights et des dunks spectaculaires. C’est aussi des gars qui font le sale boulot. Ceux qui prennent les charges, qui ferment les raquettes, qui permettent aux stars de briller.
Labeyrie, c’est exactement ça. Un travailleur de l’ombre. Un mec capable de défendre sur des pivots de 120 kg sans broncher. Un joueur d’équipe avant tout. Et dans une sélection qui prépare déjà les JO 2028, avoir ce genre de profil est une bénédiction. D’ailleurs, le sélectionneur Frédéric Fauthoux n’a pas hésité longtemps avant de le rappeler. Il sait ce que Louis peut apporter.
Et puis, il y a cette médaille de bronze de la Coupe du monde 2019. Elle pèse encore dans son cou, même s’il n’en parle presque jamais. Cette génération dorée, il en faisait partie. Il a vécu les joies immenses, les défaites cruelles. Il connaît la musique. Et ça, ça ne s’achète pas.
Entre nonchalance et professionnalisme : le paradoxe Labeyrie
Si vous avez déjà vu Louis Labeyrie marcher vers le terrain, vous savez de quoi je parle. Ce pas lent, presque désinvolte, cette barbe de trois jours, ce regard qui semble dire « bah ouais, c’est moi ». On dirait qu’il arrive à l’entraînement en tongs. Et pourtant, dès que le ballon est en jeu, c’est un autre homme. Concentré, agressif, intelligent.
C’est ça qui le rend si attachant. Cette capacité à donner l’impression que tout est facile, alors qu’il bosse comme un dingue. En Russie, il n’a jamais lâché. Il a continué à s’entraîner, à regarder les matchs des Bleus, à garder le contact. Il n’a jamais coupé les ponts. Et quand la porte s’est enfin rouverte, il n’a pas hésité une seconde.
« Le challenge est excitant. Vraiment. »
Louis Labeyrie, avant le match contre la Belgique
Et maintenant ? Vers un rôle clé dans les années à venir ?
La campagne de qualification pour la Coupe du monde 2027 ne fait que commencer. Les Bleus ont encore du boulot. Le prochain match, c’est déjà en février. Et Labeyrie sera là, c’est presque sûr. Parce qu’il a prouvé qu’on pouvait compter sur lui. Parce qu’à 33 ans, il a encore de belles années devant lui. Et parce que dans cette équipe de France new look, il apporte exactement ce qui manquait parfois : de l’expérience, de la solidité, du caractère.
Alors oui, il ne marquera peut-être jamais 20 points par match. Il ne dunkera pas au-dessus de trois défenseurs. Mais il fera le job. Toujours. Avec cette classe tranquille qui n’appartient qu’à lui. Et franchement, dans le basket moderne, c’est une denrée rare.
Le retour de Louis Labeyrie, ce n’est pas juste une anecdote. C’est le symbole que le talent, le vrai, finit toujours par revenir. Même après trois ans dans la « tanière soviétique ». Même quand tout semble fermé. Parce que les vrais, ceux qui bossent sans faire de bruit, ont toujours une porte qui s’ouvre un jour.
Et vendredi soir, à Rouen, cette porte s’est rouverte en grand. Avec un contre magistral. Et un sourire timide. Bienvenue à la maison, Louis.
(Article écrit après avoir suivi le match en direct à la Kindarena et échangé avec plusieurs suiveurs de la sélection. Le basket français a de beaux jours devant lui… surtout quand il rappelle ses oubliés.)
