Il y a quelques années, à Bordeaux, un maillot bleu marine orné d’un scapulaire faisait battre le cœur de la ville. Aujourd’hui, dans les rues animées du centre, ce sont les drapeaux à damier de l’Union Bordeaux-Bègles (UBB) qui flottent fièrement. Comment en est-on arrivé là ? La question taraude : le rugby, porté par une UBB en pleine ascension, a-t-il vraiment supplanté les Girondins, club de foot historique, dans l’affection des Bordelais ? J’ai arpenté les quais de la Garonne et les travées du stade Chaban-Delmas pour comprendre ce basculement.
Un Vent de Changement à Bordeaux
Le sport à Bordeaux, c’est une histoire d’amour et de désamour. Pendant des décennies, les Girondins incarnaient la fierté locale, avec six titres de champion de France et des épopées européennes gravées dans les mémoires. Mais ces dernières années, le club de foot traverse une tempête : relégation en Ligue 2, puis en National 2, gestion controversée, et une boutique officielle en centre-ville qui ressemble à un musée figé dans le temps. À l’inverse, l’UBB, portée par des performances solides en Top 14 et une présence régulière en phases finales, attire les foules. Le stade Chaban-Delmas, plein à craquer à chaque match, témoigne de cette ferveur nouvelle.
« À Bordeaux, on sent un engouement incroyable pour le rugby. Les matchs de l’UBB, c’est une fête à chaque fois. »
– Un supporter bordelais
Ce contraste entre les deux clubs est saisissant. D’un côté, une équipe de rugby qui enchaîne les succès et fédère un public de plus en plus large. De l’autre, un club de foot en difficulté, dont l’image est ternie par des déboires financiers et une direction critiquée. Mais est-ce vraiment aussi simple ? Plongeons dans les raisons de cette bascule.
Des Trajectoires Sportives aux Antipodes
Pour comprendre l’ascension de l’UBB, il faut remonter à 2011, année où le club accède au Top 14. À l’époque, les Girondins caracolent encore en Ligue 1, terminant 7e. Mais au fil des années, les courbes se croisent. En 2021, l’UBB dispute ses premières phases finales, un moment charnière. Pendant ce temps, les Girondins sombrent en Ligue 2 en 2022, puis en National 2 en 2024, après une rétrogradation administrative. Ce n’est pas la première fois : en 1991, déjà, le prédécesseur de l’UBB, le CABBG, devenait champion de France alors que les Girondins descendaient en Division 2.
Ce parallèle historique est troublant. Les succès sportifs de l’UBB, avec une finale de Top 14 en 2024 et une présence en Coupe des champions, contrastent avec les déboires des Girondins. Les supporters, eux, suivent la dynamique. « C’est dur de vibrer pour une équipe qui joue en National 2 quand tu peux aller voir du rugby de haut niveau », confie un abonné de longue date. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’UBB compte 17 000 abonnés et remplit le stade Chaban-Delmas (32 000 places) à chaque match, tandis que les Girondins, malgré 6 000 abonnés, peinent à attirer plus de 11 000 spectateurs en moyenne.
- 2011 : L’UBB monte en Top 14, les Girondins sont 7e en Ligue 1.
- 2021 : Premières phases finales pour l’UBB, les Girondins descendent en Ligue 2.
- 2024 : Finale de Top 14 pour l’UBB, rétrogradation en National 2 pour les Girondins.
Le Charme du Stade Chaban-Delmas
Si l’UBB a su conquérir les Bordelais, c’est aussi grâce à son ancrage dans le mythique stade Chaban-Delmas. Ce lieu, surnommé Lescure par les puristes, dégage un charme désuet qui séduit. Contrairement au Matmut Atlantique, où les Girondins évoluent depuis 2015, Chaban-Delmas est en plein cœur de la ville, accessible et chargé d’histoire. Les supporters y affluent, bravant parfois des files d’attente interminables pour une bière ou des toilettes vétustes, mais l’ambiance y est électrique.
« Chaban, c’est notre maison », lance un membre de l’association United BB, qui regroupe 500 supporters. Depuis 2015, l’UBB y joue tous ses matchs, et l’engouement ne faiblit pas. Les 32 000 places sont prises d’assaut, et l’ambiance, portée par des chants inspirés du foot, fait vibrer les tribunes. À l’inverse, le Matmut Atlantique, bien que moderne, semble loin du pouls de la ville. Cette proximité géographique et émotionnelle joue un rôle clé dans l’ascension de l’UBB.
« Chaban-Delmas, c’est plus qu’un stade, c’est un symbole. Les Bordelais y viennent pour vivre une expérience. »
– Un habitué des tribunes
Une Image de Club Proche et Familial
L’UBB ne se contente pas de gagner sur le terrain. Sous l’impulsion de son président, Laurent Marti, le club a bâti une identité forte, celle d’un club familial et accessible. Les joueurs, comme les stars Louis Bielle-Biarrey ou Damian Penaud, prennent le temps de saluer les supporters après les matchs. Des entraînements ouverts, des séances de dédicaces, et même des réponses aux messages sur les réseaux sociaux : tout est fait pour créer du lien.
Ce n’est pas qu’une question de marketing. Les supporters ressentent une vraie connexion avec leur équipe. « À l’UBB, tu te sens impliqué, presque comme un membre de la famille », explique un abonné. À l’inverse, les Girondins souffrent d’une image écornée, notamment à cause de la gestion controversée de leur président. Les tensions entre groupes de supporters, comme les Ultramarines et les North Gate, n’arrangent rien. Résultat : beaucoup se tournent vers le rugby, où l’ambiance est plus chaleureuse.
| Club | Image publique | Engagement supporters |
| UBB | Familiale, accessible | Élevé (17 000 abonnés) |
| Girondins | Controversée, distante | Moyen (6 000 abonnés) |
Le Poids des Sponsors et de l’Économie
Le succès de l’UBB ne se limite pas aux gradins. Les sponsors, eux aussi, suivent la tendance. Une grande chaîne de restaurants, par exemple, a récemment cessé de soutenir les Girondins pour se concentrer sur l’UBB. « On préfère associer notre marque à une équipe qui gagne et qui attire du monde », explique un dirigeant. Les dettes des Girondins et les critiques envers leur direction n’incitent pas à l’optimisme. À l’inverse, l’UBB représente une vitrine attrayante : des résultats, une ambiance festive et un public fidèle.
La nouvelle boutique de l’UBB, ouverte en 2024 sur les quais de la Garonne, illustre cette dynamique. À peine inaugurée, elle attire les foules, au point de manquer de maillots en taille standard avant une grande finale. Pendant ce temps, la boutique des Girondins, située dans une rue commerçante, vit ses derniers mois. Les passants s’étonnent même qu’elle soit encore ouverte. Ce contraste, presque cruel, symbolise le fossé qui s’est creusé entre les deux clubs.
Le Foot, Toujours dans les Cœurs ?
Dire que les Girondins ont perdu leur place à Bordeaux serait exagéré. Le foot reste une passion profonde, et les 6 000 abonnés en National 2 prouvent une fidélité remarquable. Lors d’un récent match contre Saint-Malo, 16 000 spectateurs ont rempli le Matmut Atlantique, un chiffre impressionnant pour une quatrième division. « Les Bordelais aiment leur club de foot, même dans la galère », note un observateur local. Mais l’enthousiasme n’est plus le même.
Certains supporters jouent sur les deux tableaux, vibrants pour l’UBB le samedi et soutenant les Girondins le dimanche. On a même vu des maillots bleus et blancs dans les tribunes d’un match de rugby, preuve que les passions se croisent. Mais pour beaucoup, le rugby offre aujourd’hui ce que le foot ne peut plus : des victoires, une ambiance festive et un sentiment d’appartenance.
« Les Girondins, c’est une histoire d’amour. Mais là, c’est un peu une relation à distance. »
– Un supporter des deux clubs
Une Hype ou un Changement Durable ?
L’engouement pour l’UBB est-il un feu de paille ? Les supporters les plus anciens se souviennent d’années moins glorieuses, où le stade Chaban-Delmas sonnait creux après des saisons décevantes. « Bordeaux, c’est une ville qui suit les gagnants », résume un habitué. Mais depuis quelques années, le public s’est transformé : d’un public de spectateurs occasionnels, l’UBB a créé un noyau dur de supporters, avec des associations comme United BB qui gagnent en influence.
Pour asseoir sa domination, l’UBB doit maintenant marquer l’histoire avec un titre. Une deuxième finale de Coupe des champions approche, et une victoire pourrait ancrer le rugby dans le cœur des Bordelais pour de bon. Les Girondins, eux, rêvent d’un retour en grâce, mais le chemin s’annonce long. En attendant, les drapeaux à damier flottent sur la mairie, et les bars de la ville vibrent au rythme des essais.
- Succès sportifs : L’UBB doit continuer à performer pour maintenir son élan.
- Engagement local : Renforcer les liens avec les supporters via des initiatives communautaires.
- Identité forte : Cultiver l’image familiale et accessible qui fait sa force.
En me promenant sur les quais, j’ai croisé un groupe de jeunes brandissant un drapeau de l’UBB. « Le rugby, c’est l’avenir ici », m’a lancé l’un d’eux, un sourire en coin. Peut-être. Mais à Bordeaux, le foot n’a pas dit son dernier mot. La ville, partagée entre deux passions, vit un moment charnière. L’UBB a pris l’avantage, mais les Girondins, avec leur histoire, pourraient encore surprendre. Et vous, de quel côté vibrez-vous ?
