Il est des matins où l’on préférerait ne jamais ouvrir les yeux. Ce jeudi 5 décembre 2025, peu avant 7 h 30, une femme de ménage pousse la porte d’une chambre d’internat à Toulon. Ce qu’elle découvre la fige sur place. Une lycéenne gît sans vie. Le genre de nouvelle qui vous tombe dessus comme une chape de plomb et qui, l’espace d’un instant, fait vaciller toute une communauté.
Très vite, les autorités prennent la parole. Une enquête pour « recherche des causes de la mort » est ouverte, procédure classique. Mais déjà, une phrase revient en boucle : la piste du suicide est très largement privilégiée. On a presque l’impression qu’on veut clore le chapitre avant même de l’avoir ouvert. Et pourtant… quelque chose cloche. Ou du moins, quelque chose nous interpelle.
Un internat comme tant d’autres, un drame qui résonne partout
L’établissement en question, un lycée connu du centre-ville de Toulon, accueille des centaines d’élèves, dont une partie en internat. Des ados qui, pour la plupart, ont choisi ou accepté de vivre loin de leurs parents pour étudier, préparer leur avenir, parfois fuir un quotidien compliqué. Des chambres exiguës, des emplois du temps chargés, des amitiés intenses et des solitudes abyssales. L’internat, c’est un peu une bulle. Une bulle qui peut protéger… ou étouffer.
Ce matin-là, c’est donc une employée qui fait la macabre découverte. Imaginez la scène : elle passe de porte en porte pour le ménage quotidien, frappe peut-être, n’obtient pas de réponse, entre. Et là, plus rien ne sera jamais comme avant. Ni pour elle, ni pour les autres élèves, ni pour les professeurs qui vont apprendre la nouvelle quelques minutes plus tard.
Que s’est-il réellement passé dans cette chambre ?
À l’heure où j’écris ces lignes, les détails restent flous – volontairement, sans doute. On sait que la jeune fille était scolarisée dans cet établissement. On ignore son âge précis, son nom, son parcours. Tout est verrouillé, comme toujours dans ce genre d’affaires impliquant des mineurs. Et c’est tant mieux. Mais derrière ce voile de discrétion, des questions brûlantes subsistent.
Pourquoi une adolescente en arrive-t-elle à un geste aussi définitif ? Y avait-il des signes avant-coureurs que personne n’a vus ? Ou pire, que certains ont choisi d’ignorer ? Le procureur l’affirme : à ce stade, aucun élément ne laisse penser à du harcèlement scolaire. Vraiment aucun ? Ou simplement aucun élément officiellement porté à la connaissance des enquêteurs pour l’instant ?
« La piste du suicide est très largement privilégiée » – les mots sont lourds, presque trop assurés pour un drame qui vient à peine de se produire.
On a parfois l’impression que cette formulation sert surtout à rassurer. À dire : « Circulez, il n’y a rien à voir, juste une pauvre gamine qui n’a pas supporté la pression. » Sauf que non. Chaque fois qu’un jeune se donne la mort, il y a tout à voir. Tout à comprendre. Tout à changer.
La détresse adolescente, cette grande muette
On le sait, les chiffres font froid dans le dos. En France, le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans. Derrière les accidents de la route, mais devant les maladies. Deuxième. Laissez ça vous imprégner deux secondes. Dans un pays développé, en 2025, nos ados meurent plus par leur propre main que de la plupart des pathologies graves.
Et l’internat, paradoxalement, peut amplifier le phénomène. Loin de la famille, avec parfois des relations compliquées à la maison, l’ado se retrouve dans un entre-deux. Il doit faire semblant d’être autonome, alors qu’il n’a souvent que 15, 16 ou 17 ans. Le soir, quand les lumières s’éteignent, il n’y a plus personne pour dire « ça va aller ».
- Pressions scolaires intensives (bachotage, orientation forcée)
- Solitude dans un lieu censé être collectif
- Absence parfois de véritables adultes référents la nuit
- Réseaux sociaux qui continuent de tourner 24 h/24 dans la tête
- Harcèlement qui, même s’il n’est pas « avéré » ici, reste une réalité quotidienne pour trop d’élèves
Tous ces facteurs forment un cocktail explosif. Et quand on ajoute une possible fragilité personnelle – familiale, affective, psychologique –, la coupe déborde.
Le harcèlement scolaire : l’éléphant dans la pièce
Le procureur l’a dit, je le répète : pour l’instant, rien n’indique du harcèlement. Mais soyons honnêtes deux minutes. Combien de fois a-t-on entendu cette phrase… avant que la vérité n’éclate des mois plus tard ? Combien de familles ont dû se battre pour que l’on reconnaisse enfin ce que leur enfant vivait ?
Dans les internats, le harcèlement prend parfois des formes insidieuses. Pas forcément des coups. Non. Des regards. Des remarques dans les couloirs. Des groupes WhatsApp qui s’enflamment la nuit. Des exclusions systématiques à la cantine. Des rumeurs qui courent plus vite que l’éclair. C’est moins visible qu’une agression physique, mais tout aussi destructeur.
Et puis il y a cette omerta adolescente. On ne « balance » pas. On souffre en silence pour ne pas passer pour une balance ou un faible. Résultat : les adultes, même bienveillants, ne voient souvent rien. Jusqu’au jour où il est trop tard.
La réponse institutionnelle : toujours la même ?
Dans les heures qui ont suivi, une cellule d’écoute psychologique a été mise en place. C’est bien. C’est même obligatoire. Mais permettez-moi une pointe de cynisme : c’est toujours la même réponse. Un drame → on envoie des psy → on fait une minute de silence → et on passe à autre chose. Jusqu’au suivant.
Ne serait-il pas temps de se poser les vraies questions, en amont ?
- Combien de psychologues scolaires pour combien d’élèves dans cet établissement ? (Le ratio national est souvent ridicule)
- Les surveillants de nuit sont-ils formés à repérer la détresse ?
- Y a-t-il seulement un numéro vert affiché dans les chambres ?
- Les téléphones sont-ils confisqués le soir ? (Parfois oui, parfois non – et quand ils restent, c’est la porte ouverte aux pires échanges nocturnes)
- Et surtout : parle-t-on vraiment de santé mentale dans ces établissements, ou reste-t-on dans le déni poli ?
J’ai discuté, au fil des années, avec des dizaines d’anciens internes. Presque tous gardent un souvenir ambivalent de cette période. Liberté grisante pour certains. Prison dorée pour d’autres. Et pour une minorité, un véritable enfer.
Et nous, dans tout ça ?
On peut toujours pointer du doigt l’Éducation nationale, les parents, les réseaux sociaux. Mais il y a aussi notre responsabilité collective. Moi le premier. Quand on entend qu’un ado « va mal », on a parfois tendance à minimiser. « C’est l’âge ingrat », « il/elle fait sa crise d’ado », « ça passera ».
Sauf que parfois, ça ne passe pas.
Parler de suicide, ce n’est pas glauque. C’est vital. Apprendre à repérer les signaux – repli sur soi, changements brutaux d’humeur, phrases comme « de toute façon vous serez mieux sans moi » – c’est une question de survie. Pour eux.
Derrière chaque geste désespéré, il y a une histoire qu’on n’a pas su entendre à temps.
Aujourd’hui, une lycéenne de Toulon n’est plus là. Demain, ce sera peut-être dans une autre ville, un autre internat, une autre chambre. À moins qu’on décide, enfin, de regarder la réalité en face. Pas juste après le drame. Mais avant.
Repose en paix, petite inconnue. Et pardon. Pardon de ne pas avoir su te protéger.
(Article écrit avec toute la prudence requise. Aucun nom n’a été cité, aucune information non publique divulguée. Juste le devoir de ne pas détourner le regard.)
