Vous arrive-t-il parfois de vous demander si les grandes décisions qui bouleversent le monde se prennent vraiment dans des salles de conférence aux dorures impeccables, ou si tout se joue déjà bien avant, dans des conversations à demi-mot, des textos cryptés et des regards échangés ? Lundi prochain, à Londres, quatre hommes vont se retrouver autour d’une table et, franchement, j’ai du mal à me souvenir d’un rendez-vous aussi lourd de conséquences depuis bien longtemps.
Emmanuel Macron, Volodymyr Zelensky, Keir Starmer et Friedrich Merz. Quatre leaders, quatre pays, quatre visions… et une guerre qui dure depuis bientôt quatre ans. On nous parle d’un simple « point sur la situation ». Moi, j’y vois plutôt le moment où l’Europe tente, une fois encore, de ne pas se faire dicter son avenir par d’autres.
Un sommet à quatre qui sent la poudre… diplomatique
Reprenons calmement. Le président français débarque à Londres seulement huit jours après avoir reçu le président ukrainien à Paris. Huit jours. À ce niveau, ce n’est plus du suivi, c’est de l’hyper-réactivité. Et il ne vient pas seul dans sa tête : il emmène dans ses bagages toute la frustration européenne face à la tournure que prennent les discussions sous influence américaine.
Car c’est là le cœur du sujet, même si personne ne le dit aussi crûment : les États-Unis, avec le retour annoncé de Donald Trump, semblent vouloir imposer leur tempo. Et ce tempo-là n’a pas l’air de plaire à tout le monde en Europe.
« Faire le point ensemble sur la situation et les négociations en cours dans le cadre de la médiation américaine »
– Communiqué laconique du président français
Traduction entre les lignes : « On va essayer de ne pas se faire rouler dans la farine ».
Pourquoi Londres, et pourquoi maintenant ?
Le choix de la capitale britannique n’est évidemment pas anodin. Keir Starmer, depuis son arrivée au pouvoir, a fait du soutien à l’Ukraine une priorité absolue – bien plus marquée que son prédécesseur, disons-le. Le Royaume-Uni a repris un rôle de leader militaire en Europe, notamment sur les missiles longue portée et la formation des soldats ukrainiens.
Et puis il y a Friedrich Merz. L’Allemand n’est même pas encore chancelier – les élections sont dans quelques semaines – mais il est déjà traité comme tel. Sa présence en dit long : Berlin prépare déjà l’après-Scholz et veut peser dès maintenant sur le dossier ukrainien. Merz a d’ailleurs été très clair pendant sa campagne : finie la retenue allemande, il veut des livraisons d’armes plus massives, y compris les Taurus.
- France : leader diplomatique auto-proclamé
- Royaume-Uni : fer de lance militaire hors UE
- Allemagne : futur poids lourd prêt à changer de doctrine
- Ukraine : celle qui a tout à perdre… ou à gagner
Vous assemblez tout ça et vous obtenez le noyau dur d’une Europe qui refuse de n’être qu’un spectateur.
Ce que Zelensky vient chercher (et ce qu’il redoute)
Volodymyr Zelensky ne voyage plus pour le plaisir, soyons honnêtes. Chaque déplacement est une opération survie. Il sait que l’hiver arrive, que ses troupes sont épuisées, que les stocks d’armes s’amenuisent et que l’attention mondiale commence à faiblir.
Ce qu’il veut par-dessus tout ? Des engagements concrets. Pas des promesses, pas des « on étudie », mais des livraisons immédiates de systèmes de défense antiaérienne, de missiles longue portée et – rêve ultime – une feuille de route crédible vers l’OTAN. Même s’il sait que ce dernier point est quasi-impossible à court terme.
Mais ce qu’il redoute encore plus, c’est le deal que certains semblent prêts à lui imposer : un accord qui gèlerait la ligne de front actuelle, laisserait la Crimée et une partie du Donbass à la Russie, et repousserait sine die toute perspective d’adhésion à l’OTAN. En échange ? Une vague promesse de sécurité et de l’argent pour reconstruire.
Pour Kiev, ce serait signer un armistice qui ressemble furieusement à une capitulation déguisée.
L’ombre écrasante de Washington
On ne peut pas parler de ce sommet sans évoquer l’éléphant dans la pièce : les États-Unis. Depuis l’élection de Donald Trump, les signaux sont contradictoires. D’un côté, des proches du président élu parlent de « paix rapide ». De l’autre, on voit des nominations plutôt hawkish au département d’État et à la Défense.
Ce qui est certain, c’est que Trump veut un accord avant son investiture, ou peu après. Et il a les moyens de pression : il suffit qu’il menace de couper l’aide militaire américaine pour que tout le château de cartes européen s’effondre.
C’est exactement ce que les Européens veulent éviter. D’où cette réunion à quatre : essayer de parler d’une seule voix, ou au moins de coordonner leurs positions avant que Washington ne tape du poing sur la table.
Et la France dans tout ça ?
Emmanuel Macron joue gros. Très gros même. Ces derniers mois, il a multiplié les initiatives : proposition de brigades internationales, idée de garanties de sécurité européennes, discours sur la « souveraineté stratégique »… Tout ça pour arriver à un constat : sans les Américains, l’Europe est incapable de défendre l’Ukraine seule à court terme.
Mais il refuse de baisser les bras. Ce sommet, c’est aussi sa tentative de reprendre la main. Montrer que la France peut encore rassembler, convaincre, proposer une alternative crédible à la realpolitik brutale qui se profile.
J’ai presque l’impression qu’il joue sa présidence sur ce dossier. S’il échoue à maintenir une ligne européenne ferme, il passera pour le beau parleur qu’on accuse d’être. S’il réussit à imposer un peu de cohésion… il pourrait rentrer dans l’Histoire autrement que par la petite porte.
Les scénarios possibles à l’issue de cette réunion
Alors, qu’est-ce qui peut vraiment sortir de ce dîner londonien ? Plusieurs hypothèses circulent dans les couloirs diplomatiques.
- Un communiqué musclé affirmant que « toute paix doit respecter l’intégrité territoriale de l’Ukraine » – version optimiste, mais peu probable.
- Une annonce coordonnée de nouvelles livraisons d’armes (Storm Shadow/Scalp, Taurus, Patriot supplémentaires) pour montrer que l’Europe peut encore monter en puissance.
- La mise en place d’un « format européen » parallèle aux discussions américano-russes, histoire de ne pas être mis devant le fait accompli.
- Une feuille de route pour des garanties de sécurité européennes post-conflit – le fameux « modèle israélien » dont on parle beaucoup.
- Ou… rien de tout ça. Juste un échange de vues et un dîner entre gentlemen.
Personnellement, je penche pour un mix entre les points 2 et 3. Les Européens n’ont plus les moyens de jouer les jusqu’au-boutistes, mais ils ne peuvent pas non plus se permettre de paraître totalement soumis.
Ce que ça dit de l’Europe en 2025
Ce qui me frappe le plus dans cette histoire, c’est à quel point elle révèle la faiblesse structurelle de l’Europe face aux crises majeures. Quatre pays se réunissent en urgence parce que le grand frère américain risque de leur imposer une paix qu’ils n’ont pas choisie.
On est loin du rêve d’une Europe puissance. On est même revenus à une forme de concert des nations à l’ancienne, où la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne tentent de sauver les meubles pendant que les 24 autres regardent de loin.
Et pourtant… pourtant, il y a quelque chose de touchant dans cette tentative désespérée de coordination. Comme un sursaut. Comme si ces quatre leaders se disaient : « Si on ne le fait pas maintenant, alors quand ? »
Lundi soir, quand ils sortiront de leur réunion, on saura si l’Europe est encore capable de peser sur son destin. Ou si elle a définitivement accepté de devenir un acteur secondaire sur la scène mondiale.
Quel que soit le résultat, une chose est sûre : on vit un moment historique. Et parfois, l’Histoire ne prévient pas avant de frapper à la porte.
