Imaginez la scène : deux des hommes les plus puissants du monde, face à face dans l’immensité du Palais du Peuple, là où se décide parfois le sort de la planète. D’un côté Emmanuel Macron, arrivé avec une délégation d’une trentaine de patrons français. De l’autre Xi Jinping, maître absolu d’un pays qui pèse désormais presque autant que l’Europe entière. Et entre eux ? La guerre aux portes de l’Europe et des centaines de milliards d’euros de commerce déséquilibré. Franchement, on se croirait dans un thriller géopolitique.
Ce jeudi 4 décembre 2025, la visite d’État du président français en Chine a démarré tambour battant. Et comme à chaque fois que ces deux-là se voient, on sent que rien n’est jamais totalement anodin.
Quand la diplomatie française tente l’impossible à Pékin
Il y a des phrases qu’on entend à chaque visite, mais qui, répétées suffisamment, finissent peut-être par porter. Emmanuel Macron l’a redit clairement : la France attend de la Chine qu’elle pèse de tout son poids sur la Russie pour mettre fin au conflit en Ukraine. Pas de condamnation publique de Moscou – on sait que ça, Pékin ne le fera jamais – mais au moins une pression discrète dans les couloirs du Kremlin.
Parce que soyons honnêtes : quand on achète encore des dizaines de milliards de pétrole et de gaz russe, quand on reste le premier partenaire commercial de Moscou malgré les sanctions occidentales, on a forcément une voix qui porte. L’Élysée le sait. L’Europe entière le sait. Et c’est précisément pour ça que Macron est venu, encore une fois.
« Nous avons une attente constante à l’égard de la Chine : qu’elle use de son influence auprès de la Russie pour l’amener à cesser la guerre. »
Un conseiller de l’Élysée, avant le départ pour Pékin
Entre espoirs déçus et realpolitik
Revenons deux ans en arrière. Avril 2023. Même lieu, même décor. Macron avait déjà demandé à Xi de « ramener la Russie à la raison ». Résultat ? Quelques mois plus tard, Vladimir Poutine était l’invité d’honneur aux célébrations des 80 ans de la victoire sur le Japon, aux côtés du dirigeant nord-coréen. Le message était limpide : la Chine ne lâchera pas Moscou. Pas publiquement en tout cas.
Alors pourquoi revenir à la charge ? Parce que la situation a changé. L’Europe est épuisée par trois ans de guerre à ses portes. Les opinions publiques s’inquiètent – plus de la moitié des Européens jugent désormais une extension du conflit possible. Et surtout, l’arrivée de Donald Trump à Washington change la donne : si les États-Unis se désengagent, l’Europe aura plus que jamais besoin que Pékin joue les médiateurs.
Le dossier commercial : l’autre guerre (froide) sino-européenne
Mais ne nous leurrons pas. Si Macron a fait le déplacement avec autant de PDG dans ses bagages – Airbus, EDF, LVMH, Danone… – ce n’est pas seulement pour parler paix dans le monde. Il y a aussi 357 milliards de dollars de déficit commercial qui pèsent lourd. Très lourd.
Pour vous donner une idée : c’est presque le PIB de la Belgique. Chaque année. Et ça ne va pas en s’arrangeant.
- Voitures électriques chinoises qui inondent le marché européen à des prix imbattables
- Acier vendu parfois en dessous des coûts de production
- Métaux rares dont Pékin contrôle 80 % de la transformation mondiale
- Accès limité pour les entreprises européennes en Chine
Face à ça, le président français a une idée fixe : obtenir des investissements croisés. Traduction : vous voulez continuer à vendre massivement chez nous ? Alors investissez aussi massivement en Europe, avec transfert de technologie comme nous l’avons fait pendant des décennies.
C’est le même discours que celui porté par Ursula von der Leyen à Bruxelles. Mais Macron, avec son canal direct vers Xi Jinping – c’est tout de même la quatrième visite d’État depuis 2017 – espère obtenir plus que des déclarations d’intention.
Les contrats : quand le symbole compte autant que le montant
Comme à chaque visite, il y aura des signatures. Probablement plusieurs milliards d’euros de contrats. On se souvient de 2019 : 15 milliards signés en une matinée. Cette fois encore, les caméras seront là pour immortaliser les poignées de main.
Mais derrière le spectacle, la réalité est plus cruelle. La plupart de ces contrats étaient déjà dans les tuyaux. Et beaucoup concernent des secteurs où les Chinois ont besoin de technologie européenne – aéronautique, énergie nucléaire – plutôt que l’inverse.
Quant aux investissements chinois en France ? Ils ont chuté de 80 % en cinq ans. Les entreprises du luxe, l’agroalimentaire, les infrastructures… tout le monde attend toujours la grande vague promise.
La méthode Macron : entre séduction et fermeté
Il y a quelque chose de fascinant dans la façon dont Emmanuel Macron aborde la Chine. D’un côté, il multiplie les gestes d’amitié – les dîners privés, les références à la longue histoire entre les deux pays, le temps passé ensemble qui dépasse largement le protocole.
De l’autre, il ne lâche rien sur les principes. Règles du commerce international. Respect des sanctions. Pression sur la Russie. Accès aux marchés. C’est ce qu’il appelle un multilatéralisme efficace. Une formule qui fait sourire à Pékin, où on préfère largement le bilatéral – chacun pour soi et Dieu pour tous.
« Nous avons parfois des désaccords, mais nous avons la responsabilité de savoir les dépasser. »
Emmanuel Macron, lors de son discours au Palais du Peuple
Est-ce que ça marche ? Difficile à dire. Mais force est de constater que la ligne directe entre Paris et Pékin existe toujours, même quand les relations sino-européennes sont au plus bas.
Et demain ? Les scénarios possibles
À l’issue de cette visite de trois jours, plusieurs issues sont possibles.
- Le scénario optimiste : Xi Jinping accepte de jouer un rôle plus actif dans la recherche de la paix en Ukraine, même discrètement. En échange, l’Europe assouplit certaines enquêtes anti-dumping.
- Le scénario réaliste : quelques contrats signés, de belles déclarations sur le partenariat stratégique, et chacun repart de son côté en attendant la prochaine crise.
- Le scénario pessimiste : la guerre commerciale s’intensifie, avec de nouveaux droits de douane européens sur les voitures électriques chinoises, et Pékin riposte sur les vins, le cognac ou l’aéronautique.
Personnellement, j’ai tendance à pencher pour le scénario numéro 2. Parce que c’est celui qu’on vit depuis dix ans. Mais il y a quand même un élément nouveau : l’incertitude américaine. Avec Trump de retour, l’Europe n’a plus vraiment le choix. Elle doit parler d’une seule voix. Et pour ça, avoir la Chine dans la boucle – même partiellement – devient presque vital.
Alors oui, Macron joue gros. Peut-être plus gros qu’on ne le croit. Parce qu’au-delà des contrats et des discours, c’est toute la capacité de l’Europe à peser encore dans le monde du XXIe siècle qui se joue en partie dans ces salons dorés du Palais du Peuple.
Et quelque part, c’est aussi ça qui rend ces visites passionnantes à suivre. Parce qu’on a beau connaître la chorégraphie par cœur, on ne sait jamais vraiment ce qui se dit vraiment quand les caméras s’éteignent.
En attendant, une chose est sûre : tant que la guerre durera en Ukraine et que le commerce sino-européen restera aussi déséquilibré, Emmanuel Macron continuera de prendre l’avion pour Pékin. Quatrième visite, cinquième, sixième… jusqu’à ce que quelque chose bouge. Ou jusqu’à ce que tout bascule.
À suivre, donc. Très attentivement.
