Quand un président français prend l’avion pour Pékin en pleine tempête géopolitique, on sait que ça ne va pas être une simple promenade touristique. Emmanuel Macron entame ce mercredi sa quatrième visite d’État en Chine depuis 2017, et franchement, le timing est tout sauf anodin. Entre la guerre en Ukraine qui s’enlise, un déficit commercial français qui explose et une Europe qui cherche désespérément sa place entre Washington et Pékin, cette escapade de trois jours s’annonce comme un numéro d’équilibriste de très haut vol.
Et pourtant, l’Élysée met en avant un détail qui fait sourire : le couple présidentiel finira le séjour à Chengdu, berceau des pandas géants, pour un dîner « exceptionnel dans le protocole chinois ». Sympa les pandas, mais derrière les peluches, il y a des dossiers brûlants. Alors, que va vraiment chercher Macron à 8 000 kilomètres de Paris ?
Un voyage à haut risque dans un monde qui bascule
Reprenons depuis le début. Décembre 2025, l’Europe grelotte, l’Ukraine résiste toujours mais l’hiver s’annonce rude, et la Chine, elle, continue tranquillement sa route vers le statut de première puissance mondiale. Dans ce contexte, Emmanuel Macron a décidé de jouer encore la carte du dialogue direct avec Xi Jinping. Pas évident quand on sait que la relation sino-européenne s’est passablement refroidie ces dernières années.
J’ai toujours trouvé fascinant ce mélange de pragmatisme et d’audace chez le président français. Là où d’autres dirigeants préfèrent les sommets multilatéraux bien cadrés, lui continue de croire qu’un tête-à-tête, même avec un dirigeant aussi imprévisible que Xi, peut faire bouger les lignes. Naïf ? Peut-être. Mais l’histoire montre que parfois, ça paye.
L’Ukraine, le dossier qui empoisonne tout
Commençons par le plus explosif : la guerre en Ukraine. Depuis février 2022, la Chine joue un jeu ambigu. Soutien rhétorique à la Russie sans franchir la ligne rouge des livraisons d’armes létales, achats massifs de pétrole et de gaz russes, et en parallèle, discours lénifiants sur le respect de l’intégrité territoriale. Résultat ? Moscou tient bon économiquement, et l’Europe paie la facture.
Macron, lui, arrive avec un message clair : il faut que Pékin pèse de tout son poids pour pousser Moscou vers des négociations sérieuses. L’Élysée parle même d’une possible « implication plus constructive » de la Chine dans un futur processus de paix. Belle formule. Mais dans les faits ? Xi Jinping a déjà reçu plusieurs dirigeants européens sur ce sujet, et à chaque fois, c’est la même rengaine : « nous sommes pour la paix », sans jamais condamner vraiment l’agression russe.
« La Chine peut jouer un rôle majeur dans la résolution du conflit, mais elle ne le fera que si cela sert d’abord ses intérêts stratégiques. »
– Un diplomate européen expérimenté sur l’Asie
Et là est toute la difficulté. Pour Pékin, maintenir la Russie comme contrepoids à l’Occident reste une priorité absolue. Alors oui, la Chine craint une victoire russe trop nette qui déstabiliserait encore plus l’ordre mondial, mais elle redoute encore plus une humiliation de Moscou qui la priverait d’un allié clé. Autant dire que les marges de manœuvre sont minuscules.
Le déficit commercial, ce boulet de 40 milliards
Passons maintenant à l’argent. Et là, les chiffres font mal. Très mal. En 2024, le déficit commercial français avec la Chine a dépassé les 40 milliards d’euros. Autrement dit, on importe massivement (voitures électriques, panneaux solaires, smartphones) et on exporte… beaucoup moins (aéronautique, luxe, vins, mais ça ne suffit plus).
Macron ne vient pas les mains vides. Une délégation d’une cinquantaine de patrons l’accompagne : Airbus, LVMH, EDF, Sanofi, et même des PME. L’objectif ? Signer des contrats, bien sûr, mais surtout obtenir des gestes concrets sur l’ouverture des marchés chinois. Accès aux appels d’offres publics, allègement des barrières réglementaires, meilleure protection de la propriété intellectuelle… La liste est longue.
- Rééquilibrage des échanges : moins de dumping, plus d’accès pour les entreprises européennes
- Coopération sur le climat : nouveaux projets communs dans les énergies propres
- Stabilité des chaînes d’approvisionnement : moins de dépendance aux matières premières chinoises
- Contrats nucléaires : EDF espère toujours des projets EPR en Chine
Mais soyons honnêtes : depuis 2018, Macron tente ce rééquilibrage à chaque visite. Et à chaque fois, les résultats sont… mitigés. Les Chinois signent des contrats (Airbus adore ça), mais les barrières structurelles restent. Et pendant ce temps, les voitures électriques chinoises inondent le marché européen, souvent avec des subventions massives que Bruxelles commence à sanctionner.
Nucléaire, climat, espace : les vrais succès possibles ?
Il y a quand même des domaines où la coopération avance. Le nucléaire civil, par exemple. La Chine construit des réacteurs à un rythme effréné et reste intéressée par la technologie française, même si les projets EPR traînent en longueur. Idem pour le spatial : des discussions sont en cours sur de possibles coopérations scientifiques.
Sur le climat aussi, il y a un terrain d’entente. Pékin sait qu’il doit verdir son image, et la France peut apporter son expertise. Mais attention : la Chine reste le premier émetteur mondial de CO2, et ses engagements restent en deçà de ce que l’urgence climatique exigerait.
La touche personnelle Macron : pandas et protocole
Et puis il y a cette fameuse escapade à Chengdu. Officiellement, c’est un honneur rare : recevoir un dirigeant étranger dans sa province natale (le Sichuan pour Xi Jinping) sort complètement des standards protocolaires chinois. En 2019, déjà, Macron avait eu droit à un dîner intime. Cette fois, c’est le couple présidentiel au complet qui est invité.
Certains y voient du pur marketing diplomatique. D’autres estiment que ces moments « personnels » créent une forme de confiance. Personnellement, je penche pour un mélange des deux. Xi Jinping, comme tout dirigeant autoritaire, cultive l’image d’un homme accessible dans des cercles très restreints. Et Macron, maître dans l’art de la relation bilatérale, sait en jouer.
D’ailleurs, les pandas ne sont jamais loin dans cette diplomatie. Même si la France ne ramènera pas de nouvel animal (le contrat avec Beauval arrive à échéance), le symbole reste fort : la « diplomatie du panda » est une arme de soft power que Pékin manie avec talent.
Et l’Europe dans tout ça ?
Une question mérite d’être posée : Macron parle-t-il vraiment au nom de l’Europe ? Officiellement, oui. Il coordonne avec Berlin et Bruxelles. Mais dans les faits, chaque dirigeant européen y va de sa petite musique. L’Italie de Meloni flirte avec les BRICS, l’Allemagne d’Olaf Scholz reste prudente, l’Espagne de Sánchez cherche des contrats… Résultat : Pékin divise pour mieux régner.
L’aspect peut-être le plus intéressant, c’est que cette visite intervient juste après l’élargissement des BRICS et alors que Donald Trump (ou son successeur) pourrait revenir aux affaires à Washington. Dans ce monde qui se rebipolarise, la Chine sait qu’elle a des cartes à jouer. Et l’Europe, elle, risque de se retrouver coincée au milieu.
Ce qu’il faut retenir (et ce qu’on saura vendredi soir)
Alors, bilan ? Macron va probablement rentrer avec quelques contrats signés, de belles images avec les pandas, et des déclarations communes sur le climat et la paix. Mais sur le fond – l’Ukraine et le rééquilibrage commercial – les avancées risquent d’être minces. Voire symboliques.
Est-ce un échec ? Pas forcément. Dans la diplomatie sino-européenne actuelle, maintenir le dialogue est déjà une forme de succès. Et puis, qui sait : parfois, une graine plantée aujourd’hui germe des années plus tard.
En attendant, une chose est sûre : ce voyage montre à quel point la France reste l’un des rares pays européens à oser encore la grande diplomatie tous azimuts. Quitte à marcher sur une corde raide, très très haut au-dessus du vide.
Rendez-vous vendredi soir pour le bilan. Et peut-être une petite pensée pour Yuan Meng, le panda né en France, qui doit se demander pourquoi on fait autant d’histoires pour ses cousins du Sichuan.
