Imaginez : un colonel sort de l’ombre, l’armée prend le pouvoir sans un coup de feu dans la capitale, l’ancien président s’envole discrètement vers l’étranger et, un mois plus tard, le chef de l’ancienne puissance coloniale appelle pour dire « on est là pour vous aider ». C’est exactement ce qui vient de se passer à Madagascar. Et franchement, ça donne le vertige.
Le 29 novembre 2025, Emmanuel Macron a décroché son téléphone pour parler pour la première fois avec Michaël Randrianirina, investi président de la « Refondation de la République de Madagascar » depuis le 17 octobre. Ce n’était pas un simple coup de fil de courtoisie. C’était une prise de contact officielle, avec annonces concrètes à la clé. Et ça change pas mal de choses dans le paysage géopolitique de l’océan Indien.
Un coup d’État pas comme les autres
Revenons un peu en arrière, parce que l’histoire est dingue. Fin septembre 2025, la jeunesse malgache – celle qu’on appelle la génération Z là-bas – descend dans la rue. Pas pour rigoler. Contre la vie chère, contre la corruption, contre un système qui les étouffe. Et là, surprise : une unité d’élite de l’armée, la fameuse Capsat, se range du côté des manifestants. Quelques jours plus tard, l’ancien président quitte le pays. Pas de bain de sang, pas de chaos. Juste un départ précipité et un colonel qui prend les rênes en disant : « On est là pour éviter l’anarchie ».
Ce qui est fascinant, c’est la légitimité que s’est donnée le nouveau pouvoir. Il parle d’intervention à la demande de la Haute Cour constitutionnelle, remercie publiquement les jeunes, promet des réformes radicales contre la corruption et des élections « dans des délais raisonnables ». En clair : on n’est pas dans le schéma classique du putsch militaire africain des années 70-80. On est dans quelque chose de plus… hybride.
Pourquoi la France réagit si vite (et si généreusement) ?
L’Élysée n’a pas traîné. Dès l’annonce du coup, Paris dit qu’il est prêt à « accompagner la transition dans un esprit d’ouverture ». Et là, bam, appel présidentiel avec un paquet cadeau : aide budgétaire directe, nouveaux financements contre l’insécurité alimentaire dans le Grand Sud, envoi de médecins à Antananarivo, projets d’aménagement urbain… On sent la volonté de marquer des points rapidement.
« La France souhaite accompagner et soutenir la transition en cours, conformément aux aspirations exprimées par le peuple malgache, en particulier la jeunesse.
La phrase est belle. Très belle même. Mais elle cache aussi une réalité plus froide : Madagascar, c’est 28 millions d’habitants, une position stratégique dans l’océan Indien, des ressources naturelles énormes (vanille, nickel, terres rares…), et une influence française qui s’était nettement érodée ces dernières années. Avec ce coup, Paris voit une fenêtre. Une vraie.
Le piège du ressentiment anti-français
Parce qu’il y a un hic, et pas des moindres. L’exfiltration de l’ancien président par la France a profondément choqué une partie de l’opinion malgache. On a vu des drapeaux français brûlés, des slogans « France dégage » dans les manifs. Le souvenir colonial est encore vif, et l’idée que Paris ait « sauvé » celui que beaucoup considèrent comme corrompu a laissé des traces.
Du coup, Macron marche sur des œufs. Il insiste sur le fait que l’aide sera conditionnée à l’inclusion de la jeunesse et de la société civile, à la lutte contre la corruption, calendrier électoral clair. En gros : « On vous aide, mais pas à n’importe quel prix ». C’est malin. Ça permet de garder une posture morale tout en avançant ses pions.
Qu’est-ce que la France y gagne, concrètement ?
- Un retour en force dans une zone où la Chine, l’Inde et même la Turquie gagnent du terrain
- La sécurisation de la route maritime vers l’Asie (90 % du commerce européen passe par là)
- L’accès privilégié aux ressources malgaches (terres rares indispensables aux batteries électriques)
- Une base d’influence dans la Commission de l’océan Indien
- Et surtout : éviter que Madagascar ne bascule complètement dans le camp des « non-alignés » hostiles à l’Occident
Parce que oui, derrière les discours sur la démocratie et la jeunesse, il y a de la realpolitik pure et dure. Et ça, Michaël Randrianirina le sait très bien. Il a d’ailleurs déjà commencé à parler avec tout le monde : Chine, Russie, États-Unis… Il ne va pas mettre tous ses œufs dans le panier français.
Et la jeunesse malgache dans tout ça ?
L’aspect le plus intéressant, à mon sens, c’est le rôle de la génération Z malgache. C’est elle qui a déclenché le mouvement. C’est elle que le nouveau pouvoir remercie à longueurs de journées. Et c’est elle que Macron cite en priorité dans son communiqué.
Est-ce que cette jeunesse va se laisser acheter par des projets d’aménagement urbain et des médecins français ? J’en doute. Elle veut du changement structurel : fin de l’impunité, vraie décentralisation, accès à l’emploi, justice sociale. Si la transition accouche d’une souris, on risque de revoir les rues d’Antananarivo s’enflammer. Et là, même l’aide française ne suffira pas.
Un modèle de « coup d’État 2.0 » ?
Ce qui se passe à Madagascar pourrait bien faire école. Un coup militaire qui se présente comme une « correction de trajectoire démocratique », qui s’appuie sur la rue plutôt que de la réprimer, qui promet des réformes avant des élections… On a vu des choses approchantes au Soudan ou au Burkina Faso, mais jamais avec cette rapidité d’acceptation internationale.
Paris, en ouvrant grand la porte, envoie un signal clair : tant que vous parlez démocratie, inclusion et lutte anticorruption, on peut discuter. Même après un coup d’État. C’est un virage majeur dans la doctrine française en Afrique.
Et maintenant ?
Les prochains mois vont être décisifs. Est-ce que le nouveau pouvoir va vraiment organiser une concertation nationale inclusive ? Est-ce que les élections auront lieu dans des délais raisonnables ? Est-ce que l’aide française sera perçue comme un soutien sincère ou comme une nouvelle ingérence ?
Une chose est sûre : l’histoire entre la France et Madagascar est en train de s’écrire sous nos yeux. Et elle est loin d’être terminée.
Personnellement, je trouve ça passionnant à suivre. Parce que derrière les communiqués lisses et les poignées de main, il y a des enjeux énormes : la fin (ou la mutation) de la Françafrique, l’émergence d’une jeunesse africaine qui ne veut plus des vieilles recettes, et la redéfinition des équilibres dans l’océan Indien. Rien que ça.
À suivre, donc. De très près.
